Alchimia

L'Abandon

Je m'éveillai dans une obscurité moite, silencieuse et flottai, dans une semi inconscience bien heureuse. Je retenais les mouvements de mon corps, me berçant seulement de ma respiration lente et bloquais toutes pensées parasites, me contentant de savourer cette minute bénie, hors du temps.

Puis la lumière jaillit, douloureuse et implacable.

Erell pénétra dans ma bulle et l'éclata de son verbe haut.

" Alors? Bien dormi petite sorcière? "

Dans ses mains fumait une tasse de thé noir que, de mes doigts tendus, je reçus avec reconnaissance. Les yeux mi-clos, je laissai le liquide chaud couler le long de ma gorge avec délectation. Du bout du lit sur lequel je reposais, mon amie me fixait de ses yeux gris pâle. Je soutins son regard, faussement contrariée.

" Tu as osé me droguer! Sans mon consentement!" la taquinai-je "N'est-ce pas contraire aux règles de la parfaite petite maîtresse des potions que tu es? " le nez plongé dans les effluves d'épices qui s'envolaient de mon breuvage, je dissimulai un sourire.

" Je t'ai soignée petite ingrate.. " se défendit-elle " tu étais épuisée mais incapable d'accepter le sommeil. Toute cette électricité en toi..." sa voix baissa d'un ton et son regard prit une lueur grave "cela pourrait être terriblement dangereux Danaé ... tu ne maîtrises rien .. tu devrais consulter notre grande prêtresse et la supplier de te reprendre en notre sein.. elle est une femme de coeur.. elle ne t'abandonnera pas et aura sans doute les réponses qui me font défaut .. mais que fais-tu? "

D'un geste sec j'avais posé mon mug et tentai de me débarrasser de la lourde couette qui m'entravait.

" Je dois partir ... j'ai mille choses à préparer pour mon départ ... car non Erell je ne changerai pas d'avis." elle leva les yeux au ciel en soupirant d'agacement " mais je te remercie pour ce que tu as fait pour moi .. tu m'as recueillie et soignée ... " Ma soeurcière chassa d'un geste de la main la suite de ces remerciements qui nous auraient toutes deux embarrassées et me désigna un petit pot en raku sur la table de chevet de la petite chambre d'amis que j'avais occupée pour la nuit. La manière dont elle s'y était prise pour me déplacer jusque dans ce lit restait d'ailleurs un mystère mais je savais Erell pleine de ressources.

" Il te reste assez d'onguent pour que la guérison soit totale. Pour autant, cela ne règle rien .. si un démon croise de nouveau ta route .. hé bien sors un autre tour de ton chapeau car celui ci visiblement ne convient guère !"

" Si tu avais vu l'état dans lequel j'ai mis celui qui me poursuivait hier tu ne dirais pas ça .."

J'avais beau me pavaner, je savais au fond de moi que j'avais consumé mes réserves et que je me trouvais dans un état de faiblesse qui me rendait particulièrement vulnérable. Je ruminais ces pensées inquiètes dans le tram qui m'emmenait vers ce qui serait ma dernière journée étudiante.

Mr B. avait accepté de m'accorder un peu de son temps si précieux. Lui annoncer mon désir de mettre mon mémoire sur pause ne serait pas compliqué- je ne connaissais pas de professeur moins concerné par la direction de mémoire que lui. Pourquoi l'avais-je choisi, je l'avais oublié .... ses jolies boucles brunes et son air à la Oscar Wilde sans doute ....

Annoncer à Charline mon départ anticipé serait, pour moi, plus délicat. 7 ans que nous traînions toutes deux, inséparables perdantes, éternelles dernières places de toutes les promotions auxquelles nous nous étions accrochées. Charline, jolie blondinette aux faux airs d'une célèbre chanteuse folk américaine que nous faisions, elle et moi, semblant de détester. Charline, ma co-équipière, mon amie qui m'avait tant soutenue lors du départ de mamig. Charline qui serait bientôt à plus de 1000 kms de moi. Absorbée par mes réflexions, le regard fixé sur les poussières de lumière que les rais du soleil hivernal suspendaient dans l'air, je sentis une langueur lasse me gagner. Tel un rideau de scène tiré sèchement devant moi, la scène banale de ce wagon de tram et de ses occupants s'évanouit brusquement et un flot de lumière brutale m'emporta.