L'annonce

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L'annonce semblait briller de milles feux .

Quelques lignes brèves, noyées au milieu de dizaines d'autres, qui m'avaient sautées aux yeux au moment où je parcourais le couloir rempli d'étudiants las et lents.

J'y devinais la trace de cette magie que je craignais depuis que Mamig n'était plus.

Pour autant, je n'avais jamais ignoré un appel et les quelques mots de cette offre d'emploi étudiant de réceptionniste dans une demeure Italienne en étaient un ... les picotements électriques aux bouts de mes doigts pouvaient en attester.

J'arrachai le bout de papier du panneau - nul ne devait le lire - l'enfouis au fond d'une des poches de mon jean et rejoignis tête baissée la salle de mon cours de philosophie morale et politique.

Trois mois qu'elle avait été vaincue.
Trois mois que je dérivais.
Le cancer avait eu sa peau et ma joie d'être en bonus .
Mamig était partie à 50 ans ... comme sa mère avant elle ... comme la mère de sa mère ... comme chaque femme de notre lignée aussi loin que mon doigt sur notre arbre généalogique put aller ...
50 ans ...
Accidents divers, maladies, suicides ..
Rien que notre magie n'ait pu éviter.
Bien au contraire.
Ce pouvoir en nous, transmis de mères en filles ne pouvait être offert sans contrepartie funeste.

Et malgré les encouragements de Mamig à penser autrement, à me forcer à accueillir cette sorcellerie comme un cadeau, je ne souhaitais que la renier depuis le jour où le crabe s'était invité de force en son sein.
Dix ans de combats. Dix ans que je tentais de taire la magie en moi.
De toutes mes forces .

-Le Palais des Prieurs (Palazzo dei Priori). Centre historique de Volterra. Province de Pise. Recrute Femme . CDD de 6 mois renouvelable . Début Juillet 2019 . Réceptionniste bilingue Anglais.
Discrétion exigée.
Envoyer CV complet: À l'attention de Heidi Volturi .Piazza dei Priori, 20, 56048 Volterra PI, Italie
No.762061-

Le papier tamponné par le CROUS semblait me brûler les doigts.

La Toscane ...
Des paysages fantasmés par l'abus de feuilletons à l'eau de rose défilèrent dans mon esprit ...
Volterra ...

Mes doigts volèrent sur la recherche Google de mon téléphone.

Écrasée par le flot de Nantais présents dans la rame du tram qui me ramenait en centre ville, je tentai de conserver un peu d'équilibre tout en collectant quelques informations sur cette cité au style gothique.

~ Province de Pise ... plateau à 550 m d'altitude ...entourée de remparts et dominée par une forteresse devenue prison ~

Je cherchai à identifier les raisons de mon obsession vibrante pour cette annonce au travers des bribes de mots attrapés au vol entre deux secousses .

~ Florence ... les Médicis .. révolte des prêtres ... Popolo ... République aristocratique ... Festival de Saint Marcus ... San Gisuto et sa fête médiévale~

Je rangeai mon téléphone dans mon sac et les yeux clos me laissais bercer au rythme des élans du tramway.

Je reformulai silencieusement une énième fois la lettre de motivation qui accompagnerait mon maigre CV .

« Hôtel Dieu . Arrêt Hôtel Dieu »

Le vent glacial me fît frissonner au moment de l'ouverture des portes. Je remontai le col de mon duffle-coat et m'élançai sur le trottoir.
Cent mètres me séparaient de la BU de médecine dans laquelle je bossais quelques heures chaque après-midi.

Aujourd'hui serait la dernière fois.
Quelle que soit la réponse que cette Heidi voudrait bien donner à ma candidature, et quoi que Gabriel et Virgile pourraient en penser j'avais décidé de quitter Nantes et de rejoindre Volterra.

Ce lieu m'appelait ... mon sang vibrait à son nom.

Je n'étais pas idiote ou naïve.
La magie exerçait bien son charme par le biais de ce message.

Un emploi en Toscane affiché sur un panneau branlant et jauni par le temps dans un campus de Loire-atlantique en France ...
Si je n'avais pas senti l'attraction électrique j'aurais pu croire à une plaisanterie.

Mais la chaleur dégagée par un tout petit bout de papier replié et glissé dans la poche arrière de mon jean ne prêtait pas à rire. Il requérait mon attention et j'allais la lui offrir toute entière.

Pour le moment rien ne me retenait ici.
Bien au contraire.
Je me sentais inexorablement là où je devais être... sur le départ .

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