La Bannie

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Ma patience (toute relative, je vérifiais 20 fois ma messagerie, fut récompensée, cinq jours plus tard, par une invitation à passer un entretien préalable avec la Signorina Volturi par vidéo conférence.

Une signorina qui s'étonnait du chemin parcouru par son annonce destinée, originellement, aux étudiants italiens.

Mon profil, cependant, l'intriguait et elle était, selon ses propres mots: « assolutamente pressée d'en savoir plus sur moi».

Le message se concluait par un rendez vous fixé au jeudi soir suivant.
Il me restait donc 48 heures pour m'y préparer et effacer de mon visage les traces de ces cinq journées infernales.

Ballottée entre une préparation méthodique que je m'imposais (démarches administratives, recherche d'un hébergement sur place, mémoire et cours à travailler...) et des péripéties toujours inattendues que mon nouveau statut de nomade avait enclenchées, je tentais tant bien que mal de finir chaque journée indemne et saine d'esprit.

Et Morgane sait que je ne fus pas aidée!

Cate ne m'avait pas trompée. Mon éviction du Coven de Dónall avait provoqué une réaction en chaîne d'incidents que, péniblement, je circoncisais de justesse à chaque fois.
Mes accès de magie involontaires furent plus nombreux et mes visions plus intenses, mais sans intérêts ( Charline qui allait se brûler avec son thé ... le prof de Métaphysique qui serait dans l'impossibilité de faire cours... ).
Chacune de ces manifestations m'épuisait inutilement.

Mon propre corps me trahissait lâchement et je dus souvent m'assurer que nul ne pu repérer ces petites flammes au bout de mes doigts qui intervenaient toujours aux moment les plus inopportuns.
Mes émotions étaient au centre de ce tourbillon d'énergies, j'en étais consciente évidemment, mais je peinais à reprendre le contrôle et passa même à un doigt de la catastrophe à deux reprises.

Ma première victime fut une pauvre poubelle, posée près du bureau sur lequel je révisais, seule, à la bibliothèque de section.
Elle prit feu en une fraction de seconde après que j'y eus jeté mon devoir médiocre de logique et mathématique. Mon 2.15 sur 20 m'avait fait voir rouge ... littéralement.

Par chance j'avais toujours sur moi une bouteille d'eau et je pus noyer les flammes qui commençaient à lécher le plastique.

La seconde fut ce crapaud visqueux de Philibert Roubic.
Il fallut l'intervention de deux étudiants et d'une paire de ciseaux pour le délivrer de sa si jolie cravate rouge que, chaque jour sans faute, il mettait.

Ce fut lorsque son visage se coordonna parfaitement à la teinte de son jabot que je regrettai mon accès de colère et desserrai enfin les poings.
Cependant l'idée que, peut être, il réfléchirait un instant avant de s'en prendre une nouvelle fois à une étudiante de première année calma un peu mes remords.

Je constatai aussi rapidement que ma soudaine liberté attirait autour de ma personne l'intérêt grandissant de plusieurs créatures.
Il semblait bien que mon âme de sorcière récalcitrante avait été mise à prix.

Combien pouvait donc rapporter la corruption de la plus mauvaise sorcière du Coven de Dónall?

La décision de ses grandes prêtresses de me renier m'offrit une renommée inattendue chez les démons et Calixte dut me sauver plusieurs fois de situations très gênantes.
Son agacement était proportionnel à ma totale saturation.

-« Je roule en solo Tabatha! Je te le rappelle! » s'emporta-t-il. « Hors de question que je me coltine une pythie chipie comme toi. Lâche les chiens! Tu n'as pas besoin de moi pour te défendre! Réveille la Harpie en toi ! Si tu ne le fais pas maintenant ils seront plus nombreux demain! » me prédit-t-il sombrement. « J'ai ma vie et pas de temps à perdre ... je ne suis pas S.O.S Sorcière en détresse! »

Pourtant, chaque jour je le trouvais sur ma route, guetteur mal élevé et grossier, mais peut être unique ami depuis que le cercle m'avait bannie.

Le dernier démon à s'être frotté à moi avait dilapidé mes dernières réserves et c'est en larmes que je m'écroulais ce soir là dans mon lit.

C'est dans cet état de délabrement avancé que me trouva donc le courriel tant attendu.

Je décidais d'éviter tout contact extérieur, jusqu'au rendez vous, afin de réparer ma petite personne et lui redonner forme humaine.
Je ne souhaitais prendre le risque d'effrayer la Signorina Volturi par mon teint blafard, mes cernes violacées et mon regard écarlate de lapin pris dans les phares.

Je sombrais immédiatement dans un sommeil agité durant lequel Calixte, en chapelier démoniaque, servait un thé brûlant à une Charline-Alice aux yeux injectés de sang. Quant à moi, petit lapin myxomatosé, je courais autour d'eux les mains en feux et un démon collé aux talons.

Les 48h qui suivirent furent donc dédiées uniquement à la préparation physique et mentale que ce face à face virtuel, qui m'attendait, exigeait.

J'alternais répétitions devant mon miroir et séances de relaxation.
L'adrénaline qui coulait en moi rendant ces dernières bien précaires.

Au vu du défilé démoniaque qui avait débuté en bas de chez nous, je ne pouvais partir courir, seule activité pourtant capable d'apaiser ces crises. Cela aurait titillé et diverti l'âme chasseresse de ceux dont je souhaitais m'éloigner.

Virgile avait fini par quitter l'appartement et s'était installé dans le bureau attenant à sa galerie.
Le va et vient de nomades de toutes espèces dans le quartier avait eu raison de lui et de sa santé mentale.

Ce fut donc en maugréant qu'il prépara, dès le second soir, une petite valise.
« Sexe Argent ... Sexe Pouvoir ... Sexe Drogues ... totalement binaires ces suppôts de Satan! » marmonnait-il. « Aucune imagination... raaaah et ils pensent si fort ... totalement dépourvu d'inhibition! Désolée Dana ... c'est trop pour moi! »

Je n'en étais quant à moi nullement accablée.

Ni pour lui - s'il entendait les pensées des créatures postées devant chez nous c'était bien parce qu'il n'était qu'un fouineur désireux de donner un petit coup de pouce à son imaginaire de peintre sans talent! Ni pour moi - avoir silence et espace pour moi seule n'avait pas de prix.

Une heure avant le rendez-vous je me tenais prête, face à l'écran de mon Mac dont j'avais testé la connexion une dizaine de fois déjà.

J'avais misé sur une robe débardeur noire, qui mettait en valeur la blancheur laiteuse de ma peau et relevé mes cheveux en un chignon bohème qui laissait quelques boucles blondes s'échapper.

Je ne portais aucun bijou comme à mon habitude. J'avais opté pour un maquillage très léger et seuls mes yeux brillants semblaient donner un peu de vie à mon visage.

Un courriel s'annonça enfin d'un bip bref .
La Signorina Heidi Volturi m'invitait à rejoindre la vidéo conférence débutée quelques instants plus tôt avec une dénommée Sienna Comelli.

J'ignorais la raison de la présence de cette invitée.

L'entretien à venir s'annonçait encore plus délicat que prévu et c'est le cœur aux bords des lèvres que je cliquai sur le lien proposé.

Après quelques secondes d'attente la connexion se fit et je fus accueilli par une créature sortie tout droit d'Hollywood.

Rita Hayworth en personne me souriait par caméra interposée.

Une Rita au visage ivoire, parfait, encadré par de belles et larges boucles rousses retombant sur ses épaules, le tout soutenu par un regard Ocre électrique et des lèvres lourdes et rosées.

Je déglutis devant la perfection de cette apparition et ne pus détacher mon regard du sien.

« Benvenuta Dana ! Come va ? Je suis Heidi et suis enchantée de faire enfin votre connaissance.»

AlchimiaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant