« Tu ne peux pas faire ça Danaë! Pas sur un simple coup de tête! Tu as pensé à ton mémoire? Et à ton concours? »
Le bruit du livre jeté par Gabriel sur la banque de prêt et la stupeur aiguë de sa voix firent sursauter une première année échevelée.
« L'annonce mentionne le mois de juillet ... ma soutenance a lieu fin juin. Et qu'est ce qu'un concours comparé à une telle opportunité? Je pourrais le passer plus tard ... si j'en ressens encore l'envie.»
Ses yeux et sa bouche s'arrondirent tant que je le cru capable durant un instant d'exploser comme ces personnages de cartoon.
« Respire Gab tu frôles l'apoplexie! Je te parle d'un break ... d'une pause ... d'une expérience nouvelle ... et ... »« Un break? - la colère lui fit retrouver immédiatement ses moyens- et ce break vaut il également pour nous? »
Nous ... ce nous qui n'avait de sens qu'à ses yeux ... Ce Nous qu'il tentait de rendre sérieux mais qui me semblait si léger, biaisé par toutes ces années de camaraderie, de jeux d'enfant, de flirts d'adolescents maladroits.
« Dix ans Gabriel. Dix ans que ni toi ni moi n'avons vécu autre chose. Dix ans que nous prenons pour acquis ce que nous vivons ... Dix ans que ... »
« Dix ans que je construis ma vie sur la certitude que tu en fais et en feras partie! ~rugit-il ~ je n'ai jamais douté ni eu besoin de vivre autre chose » il grimaçait, singeant ma voix, reprenant mes mots et les entourant de guillemets volants furibonds.
Qu'aurais je pu lui répondre?
Rien ne me vint.
Ni explications, ni justifications, ni excuses.Mon silence et mon regard baissé eurent raison de lui et je ne relevai la tête que plusieurs minutes après son départ.
Le responsable du département m'observait avec réprobation derrière ses lunettes à doubles foyers.
C'était grâce à Gabriel que j'avais eu ce petit boulot. Gabriel brillant étudiant en médecine ... aujourd'hui interne en pédiatrie. Promis à un avenir professionnel émérite.
Gabriel, mon ami d'enfance devenu mon petit ami comme nos deux familles l'espéraient depuis que nous avions échangé nos microbes, nos poux, nos doudous et nos enchantements involontaires lors de notre dernière année de maternelle.
Face à lui j'étais peu de choses.
Je collectionnais les années d'étude et les échecs.
Je m'étais péniblement hissée jusqu'en année de maîtrise après 7 années d'errance universitaire.Selon Mamig, en niant l'alchimie en moi je l'empêchais de devenir la guide qu'elle devait être pour chaque sorcière.
Ses dons avaient fait d'elle une psychomotricienne pleinement à l'écoute de chaque mots et maux de ses patients.
Sa créativité et son empathie naturelles, exacerbées par cette énergie magique qu'elle chérissait et domptait, lui assuraient de trouver les exercices parfaitement adaptés à chaque besoin.Mamig ... penser à elle me faisait encore tellement mal ...
Je secouai la tête, me forçant à reprendre le cours de l'instant présent.
Un chariot rempli de documents divers à ranger m'attendait.
Lui et moi allions partir en balade au pays de la Biologie cellulaire, de l'histologie-embryologie et autres joyeusetés.J'entrais en section gynécologie lorsqu'un souffle chaud sur la nuque me prévint de la présence d'une autre sorcière autour de moi.
Quelques instants suffirent et mon regard rencontra le sourire de Rachel.Cette élève sage femme illuminait de sa seule présence la salle de consultation dans laquelle elle s'installait chaque mardi après-midi.
Comment les autres étudiants pouvaient ils ne rien voir ?
Sa magie jaillissait de toutes parts.
Lumineuse. Blanche.Je lui fis un petit signe de la main.
Son oeil se fit doux puis interrogatif.
La conversation avec Gabriel devait avoir laissé des traces sur mon visage car jusqu'à moi ses ondes compatissantes se mirent à déferler.J'enviais Rachel et sa sérénité invincible face à ses propres pouvoirs. Elle aussi avait trouvé sa place. Elle serait une maïeuticienne formidable, à l'écoute des femmes, de leurs douleurs et angoisses, de leurs joies et désirs et mettraient ses dons à leurs entières dispositions.
Oui je l'enviais. Sa magie avait le goût de l'espoir. La mienne celui des cendres.Les heures défilèrent au fil de mon impatience. J'avais hâte de répondre à l'annonce, hâte d'organiser ce périple que ce matin en me levant je n'imaginais même pas.
Par chance le flux et reflux de documents à ranger, archiver et cataloguer m'occupèrent totalement et l'heure de fermeture de la bibliothèque arriva plus vite que je n'aurais pu l'espérer.
En sortant de l'université de médecine je ressentis le besoin de marcher jusque chez moi. L'adrénaline et son goût de fer montait dangereusement en moi et seules les marches rapides réussissaient à dompter ces crises.
Je traversai le Square Mercoeur quand un picotement électrique sur ma joue se fit sentir.
Il ne me fallut pas longtemps avant d'en repérer l'origine.
Calixte était assis en tailleur sur une des pelouses à ma droite, ses yeux suivant ma silhouette au dessus de lunettes de soleil totalement déplacées en ce début de soirée de février.
« Rien pour toi ce soir Calixte! Désolée! »
Le jeune démon haussa les épaules, réinstalla ses écouteurs et, avec un petit rictus moqueur, se mit à chantonner ...« Au jardin de ma grand-mère
Tralalère tralalère
J'ai rencontré une sorcière ... »Mes yeux roulèrent au ciel et mes pas s'accélèrent...
« Elle avait un chapeau vert
Tralalère tralalère
Et mangeait des vers de terre... »Un petit rire s'échappa de mes lèvres.
Satané petit diable!Depuis notre rencontre sur les bancs du lycée, qu'il avait quitté prématurément, Callixte avait partagé mon secret.
À l'insu de mon plein gré cependant.Notre capacité à ressentir la présence d'autres créatures évitait toutes mauvaises surprises mais violait cette discrétion que je chérissais tant.
Je payais pour celle de Callixte à coups de petites potions euphorisantes dont ce démon raffolait.
Je lui avais demandé un jour ce qu'il ressentait lorsqu'une sorcière se trouvait près de lui.
Je m'étais senti inutilement vexée par sa réponse :
« Une putain de migraine Danaë! Toi et tes semblables me collez un putain de mal de tronche! »
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Alchimia
FanfictionDanaë, 25 ans , fille et petite fille de sorcières , refuse cet héritage qu'elle juge mortifère . Toutes les femmes de sa lignée disparaissent à l'aube de leur cinquantième anniversaire. Une annonce , pour un emploi en Toscane, dans la cité de Volte...