La très haute

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Le froid me paralysait.

Pieds nus dans la neige, je guettais les sons qui me parvenaient étouffés.

Il arrivait.

Son long manteau rouge sang glissait sur le sol ivoirin, dans un bruit de soie.

Je n'étais étrangement pas effrayée.

Juste terriblement impatiente.

Je tremblais de froid et d'empressement.
Combien de nuits, combien de jours étaient passés depuis notre séparation ?

Soudain il fut là !

Fulgurante apparition !

Ses cheveux ébène tranchaient sur sa peau diaphane .

Ses yeux, tels des miroirs, reflétaient mes deux petits nævus grenat sur lesquels ils s'étaient immobilisés.

Tout mon corps frémît au son de sa voix.« Dana, tesoro, eccoti qui ! Finalmente ! »

Des éclats de lumière et de voix brisèrent soudain le silence de la nuit encore sombre.

- « Debout! 6h30! On t'attend dans la cuisine! »

Hébétée et désorientée je tentai de remonter à la surface.
Une odeur forte de café vint chatouiller mes narines et plusieurs voix, que j'identifiai immédiatement, me parvinrent comme assourdies.

Un rêve ! Ce n'était qu'un rêve !
Pendant un instant j'en fus dépitée et la tentation de refermer mes yeux et de le rappeler à moi me tenta ardemment.

Mais je n'allais pas échapper à ceux qui m'attendaient dans la cuisine, dussent-ils me sortir de force de sous ma couette.

J'entrai d'un pas lourd dans la toute petite pièce aux murs jaune tournesol (une idée de Mamig ... ma lumineuse Mamig) et sentis peser sur ma nuque le poids de la puissante énergie qui volait dans la pièce.

Un début de migraine me guettait.

Gabriel, une tasse de café à la main, debout devant la fenêtre, me fixait d'un air lugubre. Sa mère, Cate, grande prêtresse de notre Coven, siégeait au bout du petit comptoir branlant sur lequel infusait son thé noir.
Virgile semblait, quant à lui, avoir totalement déserté les lieux.

Le regard incisif de Cate m'accueillit . Son visage sec frémissait de réprobation.

Sans un bonjour, sans une seule sommation, elle arma, visa et tira !

- « Comment oses tu prendre une telle décision ? Quitter Nantes ! Quitter notre cercle ! En ces temps si ardus pour notre sororité! Pour combien de temps ? Tu ne le sais pas toi-même ! Tu refuses encore de suivre le chemin que la magie de nos familles crée pour chacun d'entre nous ! Nous avons tenté au mieux de te comprendre, de t'accompagner tout au long de ton deuil et de tes doutes. Mais là tu vas beaucoup trop loin ! »

Subjuguée par sa bouche rouge carmin qui semblait ne plus pouvoir s'arrêter de tressaillir, je ne réalisai pas immédiatement qu'elle reprenait son souffle et attendait de moi une réaction à la logorrhée qu'elle avait dû ruminer depuis la veille.

- « Tout ce Drama pour une année à l'étranger! » je n'étais clairement pas d'humeur à la joute verbale qui s'annonçait. Il était trop tôt, mes yeux étaient encore collés du peu de sommeil que j'avais pu récupérer et je n'avais pas même bu ma première tasse de thé de la journée. « Combien d'étudiants partent chaque année travailler en Angleterre, Espagne ou Italie? Combien prennent une année pour voyager avant de se lancer dans la vie active? »

AlchimiaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant