III, Tempus edax rerum « Le temps détruit toute chose. »
Barnabé
Le bois dur du dossier de la chaise piquait les os de son dos. Des fourmis commençaient une à une à envahir ses jambes immobiles pendant trop longtemps. Le psy en face de lui était silencieux depuis le début de la séance. Barnabé préférait encore lorsqu'il déblatérait ses conneries pendant des heures. Là, le silence était acide et s'infiltrait sous sa peau tel un parasite.
son faux sourire, un semblant désolé, je n'y croyais pas une seconde
Il était juste trop content d'être payé à ne rien faire.
j'avais une envie folle de crier, de me lever subitement et de le secouer dans tous les sens
Ça lui rappela l'autre gars qui se faisait appeler Larch ievrac, surement pour se donner un genre. L'acronyme n'était pas si mauvais mais ce n'était pas très original tout de même.
Son téléphone vibra, il déverrouilla lascivement l'appareil pour voir s'afficher un message de ce dernier l'informant qu'il était sur le toit, sans être le moins du monde gêné par les yeux qui se voulaient gros de l'homme qui lui faisait face.
Il comptait l'ignorer mais cela l'intriguait de savoir comment il avait eu toutes ces infos sur lui. Les psychopathes qui espionnent leurs proies dans leurs sommeils, valait mieux ne pas les offenser. Il souhaitait une mort plus digne qu'un simple égorgement pendant la sieste digestive.
Il se dit qu'il n'avait rien à perdre alors il le rejoint. Il ne voulait pas que Charlie soit trop enthousiaste alors il précisa qu'il fuyait juste comme la dernière fois, son psy – ce qui était parfaitement juste après tout.
Un sourire beaucoup trop vrai pour être beau l'accueillit, ainsi qu'une accolade amicale.
Ils s'installèrent en silence sur le muret comme la dernière fois, les pieds et les yeux dans le froid.
- S'il n'y avait pas toute cette pollution lumineuse on devrait pouvoir la grande ourse juste là ! déclara Charlie au bout d'un temps.
Il acquiesça simplement de la tête, il ne savait pas quoi répondre, il n'avait jamais eu envie de démystifier le ciel et l'immensité de l'univers. Heureusement, Charlie ne semblait pas attendre qu'il ajoute quoi que ce soit.
- C'est ce que t'aurais voulu faire, si t'avais pas été malade ? finit-il par ajouter
Le gringalet semblait troublé par sa question. Mais il n'avait pas peur d'être indiscret, Charlie aussi en savait déjà trop sur lui...
- Je veux dire bosser sur les étoiles et tous ces machins, repris-il doucement
- L'astrophysique ?
Il étouffa un grognement devant le sourire moqueur qui accueillit sa question un poil maladroite, face au manque de vocabulaire scientifique ou cette soudaine curiosité qui l'étonnait lui-même.
- Je suis allé à la fac de physique pendant un temps, mais j'ai vite compris que ça allait être incompatible
- T'es aussi vieux que ça ?
- J'ai tout juste 21 ans.
Il se sentit un peu bête d'avoir fait cette remarque. C'est vrai que pour quelqu'un en train de mourir il était bien loin d'être vieux...- Un peu jeune pour mourir c'est vrai... murmura-t-il pour lui-même
Son vis-à-vis se mis à froncer les sourcils, il avait dû entendre ces quelques mots lancés dans le vent.
- Toi aussi t'es pas un peu jeune ?
- Ça n'a rien à voir, et puis je suis aussi majeur
A en croire son visage, son interlocuteur ne semblait en rien convaincu.
pour qui se prenait-il, il ne me connaissait pas, il ne pouvait pas se permettre d'émettre de tels jugements
- Bon vu que tu n'as pas l'air d'être branché sciences, c'est quoi ton truc ? reprit Charlie, ne souhaitant pas s'éterniser sur ce sujet délicat.
Le regard noir n'eut pas l'air de le dissuader comme il l'avait espéré.
- Enfin, je suppose que tu es au lycée, alors quelle filière ? Continua Charlie, malgré tout.
- L, mais je vais plus au lycée, lâcha-t-il enfin du bout des lèvres
- C'est un peu cliché, ça fait le poète ou l'artiste incompris et suicidaire
Charlie était vraiment le seul à plaisanter à propos de ça, c'était à la fois insupportable et vachement naturellement vrai.- Bof, j'ai plus de mots en tête depuis longtemps... et puis j'ai toujours préféré le silence et la solitude, c'est ma forme d'art on peut dire
- Je chante et je joue de la guitare
- Et ?
- Et je pourrais être la rock star et toi mon parolier !
- Est-ce que tu as cru une seconde à ce que tu viens d'avancer ?
- Nan j'suis pas con à ce point, mais c'est dommage d'avoir laissé tomber ta plume
- C'est marrant que tu dises ça, enfin nan c'est pas drôle mais le psy a proposé la même chose
- D'écrire des super paroles de chansons pour ton nouveau meilleur ami ?
Insupportable. Pourquoi était-il encore là ?
- Sérieusement, pourquoi tu n'écris plus ?
Il n'y avait même pas pensé ces derniers temps, jusqu'à ce soir...
- Parce que je n'ai rien à dire...
- Tu m'as l'air d'avoir beaucoup de choses à dire au contraire
et il recommençait avec ces remarques comme s'il me connaissait mieux que moi-même
- Tu te trompes, ajouta-t-il d'un ton neutre, cherchant à clôturer cette conversation qui n'allait pas dans une bonne direction pour lui.
- D'accord, mais même si tu n'as rien à dire aux autres, tu peux toujours écrire pour toi, laisser une trace
- Je préfère disparaître
- Moi, tout ce que je sais c'est que je n'veux pas que tu partes , déclara-t-il, comme si c'était évident
Il esquissa un sourire, qu'est-ce qu'il racontait ?
il pensait vraiment que j'allais me gêner pour lui que je ne connais que depuis quelques jours? je plongeai mes yeux méfiants vers son regard sérieux
- J'aime ta compagnie, mais y'a pas que moi, je suis sûre que c'est aussi le cas de ta famille et d'un tas d'autres personnes, repris le jeune-homme, se justifiant face au regard noir qui semblait vouloir l'atomiser.
Il ricana, il n'y avait pas un tas de personne qui se seraient battu pour sa vie mais ce n'était même pas le problème...
- T'as rien à perdre, sauf quelques pages et un peu d'encre.
Le brun s'allongea en équilibre sur le muret, le bras droit dans le vide, l'autre le long du corps, le sommet de ses boucles ébène contre les fines hanches de Charlie.De temps en temps, Charlie lui posait d'autres questions qu'il ignorait parfois.
Au bout d'un moment, il rentra chez lui, les doigts le démangeaient d'une ferveur qu'il pensait perdue pour toujours.
Au hasard, il ouvrit un cahier vierge, et ses mains confuses griffonnèrent des mots en vrac.
***
[la tête me passe par les mots]
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À nos chrysanthèmes
RomanceBarnabé frôle la vie, Charlie frôle la mort. Pourtant Barnabé veut la mort, Charlie veut la vie. Barnabé rencontre Charlie, Charlie rencontre Barnabé. Barnabé trouve que Charlie est niais. Charlie trouve que Barnabé est triste. Mais Barnabé est vid...