XII - Ultima cave

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XII, Ultima cave « Craint la dernière heure. »


Charlie

Les quelques affaires qu'il avait fourré à la hâte dans un sac à dos ne pesaient pas lourd sur ses épaules ferles. Pour la première fois depuis longtemps, les choses, le monde et ses problèmes tordus, ses règles sans queue ni tête, n'importaient plus.

Stephen Hawking relatait dans une brève histoire du temps, l'histoire d'une jeune fille qui lui affirmait, dur comme fer, que l'univers reposait sur le dos d'une tortue géante. Il aimait bien ce passage qui montrait à quel point on pouvait être confiant dans notre ignorance. Tout ça pour dire que plus il pensait, plus il se sentait comme cette tortue, fatigué mais toujours aussi ignorant. Car après tout penser ce n'est pas savoir...

Pourtant, ce matin-là, les choses étaient différentes, il pleuvait mais il ne voyait plus les larmes du ciel, plutôt l'horizon azur au-delà des nuages menaçants, qui se soulageait elle aussi d'un poids. Il ne faisait pas beau, mais d'après Barnabé, la beauté n'est que mensonge et rien n'est à la fois beau et vrai. Il savait bien que Barn dramatisait la quasi-totalité de ses propos – à part quand il parlait déjà de drames – mais en considérant que son idée tenait malgré tout la route, on aurait pu dire qu'en ce matin-là, il faisait vrai.

Le paysage défilait à mesure qu'il avançait sur le bitume. Il roulait beaucoup plus vite que la limite, c'était presque comme rouler sans le permis : libérateur et source de frissons.

Il filait donc seul entre les pins et les oliviers. Rapidement, l'odeur marine vint titiller ses narines trop habituées au doux parfum urbain, et faisant remonter toutes sortes de souvenirs de vacances.

Avec le peu d'argent qu'il avait en poche, il réserva le plus de nuits possibles dans un motel et se mit en quête, avec le reste de son maigre pactole, d'un repas frugal.

Avant de se coucher, après douze heures d'absence et de silence, il alluma son téléphone, jusque là éteint au fond de son sac. Sans surprise, les montagnes de messages venaient de ses parents, fous d'inquiétude. Au départ, il ne voulait pas leur répondre mais il estima qu'ils s'étaient déjà beaucoup trop inquiétés pour lui ces dernières années. Il leur devait bien des explications :

Je vais bien

C'était la fugue la moins crédible de l'histoire. Était-ce seulement une fugue ? A 21ans ? Il ne voulait pas que ces quelques jours aient le gout amer de la fuite. Malgré tout – la maladie – il était avant tout adulte et responsable.

Cette nuit-là, ses rêves furent peuplés de créatures hybrides. Il eut la visite du cancer sous le masque de Giselle : inquiétant, celle de sa mère et Maelle s'embrassant à pleine bouche : dégoutant. Finalement le reste était flou, mais il croyait se souvenir d'un Barnabé, menaçant, un couteau dans la main, un sourire narquois dans l'autre.

Après s'être réveillé subitement, il lui fût impossible de se rendormir.

Il foulait le sable sombre, les yeux perdus dans l'immensité noire qui lui faisait face. Il avait décidé de se rendormir sur la plage, enveloppé dans le sable chaud, bercé par la mélodie des vagues et les premiers rayons du soleil encore timide. Il s'en voulu aussitôt l'idée formulée en tête, mais il aurait voulu avoir la chaleur des bras de Barn autour de lui. Que ses lèvres explorent sa peau, que ses boucles chatouillent son cou, que ses cils caressent son visage.

Ce furent les vibrations du sol qui le sortirent de cette torpeur matinale. Barnabé, qui avait été aussi muet qu'une carpe venait de donner signe de vie avec un message intriguant.

pourquoi meme quand t'es pas la, t'es la ?

Etrange, mais pas plus que Barnabé

??

Mystérieux, comme Barnabé

pourquoi j'etouffe encore plus quand t'es pas la ?

Inquiétant.

Pas juste le message, mais surtout son ventre qui se tordait. Parce que lui, il respirait mieux depuis qu'il avait quitté le monde du brun. Quelques kilomètres avaient suffi. Aussi, peut-être parce que ça le rassurait que Barn pensât ça, qu'il ait eu le besoin de le lui dire. Que dans l'esprit de l'adolescent, il n'était pas vraiment parti. Qu'il ne partira jamais complètement.

La vérité était qu'il ne voulait pas partir, pour personne et jamais.

Quelle idée de penser qu'il pouvait disparaitre, juste pour quelques instants. Ca n'allait pas tarder à arriver et pourtant...

Il tenta : Ca va ?

Pour mieux saisir la situation, qu'il sentait lui glisser des mains avec la distance.

Puis : Je reviens bientôt

Sa question resta sans réponse tandis que son deuxième message ne trouva même pas son destinataire

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