XIX, Cogito ergo sum « Je pense donc je suis »
Barnabé
- Pourquoi est-ce que j'existe ?
- Après tout ce temps tu te poses encore la question ?
- Oui...
- Ne pas pouvoir répondre à cette question ne doit pas t'empêcher de trouver ton bonheur, et trouver la réponse à cette question ne doit pas constituer ta quête de bonheur, sinon tu ne seras jamais heureux...
- Ca veut dire que moi ou personne ne pourra jamais répondre à cette question ?
- Je crois bien, mais ce n'est pas dramatique. Je me souviens de la première fois que tu m'as posé cette question. Tu avais neuf ans et tu dépendais beaucoup de choses à cette époque
Je perçu une pointe de regret dans la voix de ma mère. Son fils de neuf ans curieux et plein de joie de vivre lui manquait, mais il n'était plus là, moi aussi il me manquait par moment...
- Maman, pourquoi est-ce que j'existe ?
- Parce que ton papa et moi avons fait l'amour, puis un spermatozoïde de papa a fécondé un de mes ovules...
Ne fait pas semblant d'avoir ton âge, ajouta-t-elle alors que je mimais une mine dégoutée
- Oui mais pour-quoi?
- Et bien nous voulions un enfant, alors nous n'avons pas utilisé de contraception...
Je ne savais pas ce que contraception voulait dire, mais je compris qu'elle ne répondait pas à ma question. Je chercherai plus tard ce que ça signifiait...- Je ne crois pas que la raison de mon existence soit la conséquence de votre envie de procréer...
Il avait déjà entendu à l'école une fille dire qu'elle était un "accident". Et puis il y avait aussi leurs voisins de palier qui n'arrivaient pas à avoir d'enfants. Il était donc évident que le désir d'avoir des bébés n'étaient ni nécessaire, ni suffisant...
- Enfin maman, pour -- quoi, pour-quoi faire, dans quel but existais-je ?
- Y-a-t-il besoin d'une raison ?
- Oui !
- Je ne crois pas, mon chéri
- Alors comment je fais pour vivre, si je ne sers à rien ?
- Ca ne devrait pas être la préoccupation d'un enfant de neuf ans, tu as toute ta vie, mon amour, pour trouver la réponse à cette question...
Ça faisait long toute une vie...
- Je fais quoi en attendant ?- Contente-toi de changer l'univers
- Comment ?
- Et bien que se passe-t-il si tu nages dans l'océan ?
- Je suis déjà allé dans l'océan ?
- Non, mais imagine !
- Donc je suis dans l'océan !
- C'est ça, tu fais la planche par exemple.
- Je nage ou je fais la planche ?
- On s'en fiche !
- Mm, mais il fait super chaud, j'enlève mon haut
- Mon loulou, on est en hiver, il neige dehors !
- Quoi mais je croyais qu'on était à la plage !
- Bon oublis mon exemple...
- Nan, nan, continue !
- Ok, mais tu ne m'interromps plus!
- Promis !
- Bon reprenons, tu es dans l'océan
- C'est lequel d'océan, je sais qu'il y en a plusieurs !
Le regard noir de sa mère le dissuada d'insister. Il nota dans sa tête de se renseigner plus tard sur internet.- Prenons l'atlantique, Barnabé
Elle l'appelait toujours par son prénom quand ses nombreuses questions l'excédaient...
- D'accord, mais je ne comprends pas ou tu veux en venir maman...
- Tu bouges l'eau autour de toi, la disposition des molécules d'eau est différente...
Il n'était pas sûr, mais il devina que ce que sa mère entendait par « molécules » étaient les morceaux d'eau.
- J'ai changé l'Aclantique !
- Oui, l'Atlantique, et donc l'univers !
- Juste pas la pensée en plus!
- Ce n'étais pas ce que je voulais dire...
- Je suis Dieu !
- Tu es athée !
- Ah, n'empêche chacun de mes mouvements modifie l'univers.
- C'est là où je voulais en venir mon chéri.
- Enfaite c'est un petit peu comme si à chaque seconde qui passe, une nouvelle version de l'univers prend la place d'une autre ?
- Je dirais même plus, si on applique ça à chaque être vivant...
- Ca fait beaucoup de possibilités...
- Des gogolplex d'univers possibles, et pourtant un seul ne peut exister à la fois et est destiné à être remplacé à l'infini.
- En tout cas jusqu'à la fin de l'univers qui le précède.
- C'est ce qu'on appelle communément l'infini.
- Dis, c'est quoi un gogolplex ?
- Un très, très grand nombre.
- Presque l'infini donc.
- Presque oui.
- Maman, j'ai sommeil
- D'accord mon chéri, bonne nuit »
En réalité il n'était pas vraiment fatigué, mais il avait besoin de réfléchir seul de ce qu'il avait appris et compris, ce dont sa maman lui avait fait prendre conscience aujourd'hui...
Ça n'avait jamais été facile de dormir, passer au travers du tourbillon de pensées.
Sa maman n'avait pas tiré les rideaux, il était en tête à tête avec la lune. La lumière sélène pénétrant son iris lui faisait des yeux de chat. Il aurait voulu être un félin, agile sur les toits, se faufilant dans la nuit pour pouvoir assister à toutes les conversations partagées entre les parents et leurs enfants. Il pourrait faire le tour de la terre à la vitesse du soleil, fuir le jour, ne plus connaitre que la nuit fraiche et pleine d'histoire lancées au chevet.
Il était de nouveau dans cette même chambre mais il n'était plus ce gamin. Des gogolplex d'univers c'étaient succédés jusqu'à celui-ci. Et il avait fait partie de chacun d'eux à sa manière.
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À nos chrysanthèmes
RomanceBarnabé frôle la vie, Charlie frôle la mort. Pourtant Barnabé veut la mort, Charlie veut la vie. Barnabé rencontre Charlie, Charlie rencontre Barnabé. Barnabé trouve que Charlie est niais. Charlie trouve que Barnabé est triste. Mais Barnabé est vid...