Regarde, regarde-moi

Chapitre 1

Regarde, regarde-moi
Regarde-moi danser

Oui, aujourd'hui je danse

Regarde, regarde-moi
Regarde cet air de triomphe sur mon visage
Regarde cette expression de défi
Que j'adresse à des milliers de personnes
Dont toi

Regarde, regarde-moi
Observe bien cette pancarte que je tiens
Observe-la bien

Regarde, regarde moi
Il fallait que tu partes
Tu oppressais mes ailes
Et tu disais que j'oppressais les tiennes
Quand, le soir, je rentrais après toi

Mais regarde attentivement
Quelque chose a changé non ?
Hormis mon comportement

Oui, tu as bien vu, c'est ça
Je m'habille autrement

Autrement que ces robes et corsets
Que la loi me force à enfiler

Autrement que ces gigantesques bouts de tissus
Qui selon toi me plaisaient

Oui, aujourd'hui
Il faisait froid, alors par choix
J'ai mis un pantalon

Eh, détourne pas les yeux
Regarde, regarde moi

Moi que tu pensais être une femme gentille et attentionnée
Qui s'occuperait de toi une fois rentré

Tu es surpris hein ?
Tu t'y attendais pas à ça

A ce pantalon qui remplace mes bas
A cette pancarte que je tiens au bras
A ce changement qui se forme
Grâce aux filles comme moi

Toi, tu pensais ça normal
Que je travaille plus que toi
Avec même pas la moitié de ton salaire,
Hein ?

Toi, tu trouvais ça logique
Que, épuisée, à peine rentrée chez moi
Je te fasse la cuisine
Pendant que tu étais au bar,
N'est-ce pas ?

A vrai dire, je ne protestais pas
C'est vrai que jamais un autre comportement
Ne me serais venu à l'esprit
Si la guerre ne t'avais pas écarté.

J'étais presque contente, tu sais ?
Au bout de quelques mois
Quand la guerre ne finissait pas
Que je pouvais faire des métiers d'homme
Puis-ce qu'ils, comme toi, étaient au front.

La guerre c'est pour les hommes
La maison c'est pour les femmes
Alors qui il y avais pour faire les métiers intermédiaires ?

Ils ont été forcés d'embaucher des filles
Et d'admettre leurs compétence
Comme de vrais civils

J'ai pu mener une vie tranquille, c'était sympa t'imagines ?
Être bien payé
Avoir du temps libre
Et ne pas me faire frapper,
Tu comprends quoi

J'avais pas l'habitude de ce mode de vie
il était bien plus facile que celui que vous m'imposiez

Et puis, j'ai rencontré des femmes, des vrais
Qui m'ont dit que ma vie avec toi était infernal
Qu'être esclavagée n'étais pas normal
Qu'il fallait que ça change,
Et je les ai suivies

Mais quand t'es revenu
Ça t'a pas plus, hein ?

T'as pas aimé ça,
Être aussi bien payé que ta femme
Ne pas être en possession de toutes ses activités
Et même le simple fait que j'en ai

Toi, tu voulais
Que je me taise, que je range
M'occupe de toi sans broncher
Que je me casse les doigts à la couture
En bavassant avec d'autres femmes

Haha, si tu savais
Ce que je faisais,
Pendant que tu étais au bar
A te bourrer pour oublier
Ces "atrocités" que tu venais de vivre

Haha, moi, ce que je pensais
C'était "Bien fait"
C'est dur, hein, de pas contrôler sa vie ?
De pas avoir le dernier mot ?

Je suis méchante, je sais
Ce n'est pas entièrement ta faute
C'est celle de la société