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Ce samedi là, comme la majorité des Anglais, les parents de Félien étaient invités à un barbecue. C'était comme une tradition : au premier rayon de soleil, tout le monde se déshabille et dîne dehors. La pluie peut bien menacer, ça nous fais pas peur. Il faut qu'il tombe des cordes pour que les gens rentrent chez eux.
Les parents de Félien n'étaient pas censés rentrer chez eux, ce soir là. Du coup, en les voyant débarquer, on s'est tout de suite doutés que quelque chose clochait. Mais le plus troublant, c'est qu'ils étaient complètement flippés. En temps normal, ça ne les aurait pas dérangé de nous voir faire la fête chez eux. C'est un truc que j'adorais chez Félien. En plus du jacuzzi, de la grange, des champs et de tout le reste, c'est que ses parents étaient totalement décontractés. Ils fumaient des joints devant nous et ils filaient même de l'herbe à Félien !
Sauf que là, ce n'étaient plus les mêmes. Nathalie et Antoine nous ont carrément fait un plan à la Amir : ils ont commencé par nous rassembler dans la cuisine.
-Putain ! Putain ! Putain ! répétait Antoine, en boucle.
Il a tiré le verrou de la porte de la cuisine.
-Tu leur fais peur... a signalé Nathalie.
Il ne l'écoutait pas. Il a fermé les volets et les fenêtres de la cuisine puis est passé aux pièces voisines.
Ce n'étais pas effrayant. Pas encore. En fait, on avait juste envie de rire. Sauf moi. J'étais occupée à me sécher avec des serviettes. Toutes nos affaires étaient restées dans la grange.
-Maman, qu'est ce qu'il se passe ? a demandé Félien.
-On ne sait pas trop exactement. Une connaissance de Antoine l'a appelé et...
BOUM BOUM
-Maman ? a insisté Félien.
Antoine a redescendu les escaliers.
-Demande à ton père.
Ça aussi, c'était bizarre. Félien n'appelait jamais sa mère « maman » et Nathalie ne faisait jamais référence à Antoine en disant « ton père » Les parents de Félien étaient un peu allumés, c'est sûr, mais ils étaient adorable avec nous. Quant à leur fils, il était immunisé contre leurs bizarreries. A sa place, n'importe quel ado aurait été mort de honte. Mais lui, rien ne lui semblait l'embarrasser. Il a alors interrogé son père :
-Papa qu'est ce qu'il a ?
-Allume la radio, a commandé Antoine en guise de réponse.
Félien a obéi.
Antoine et Nathalie n'avaient pas la télé. Ils n'avaient même pas de radio numérique. Et devinez quelle émission passait à ce moment-là ?
Les questions du jardinier.
Un type expliquait comment soigner la rouille des rosiers. Quelqu'un a pouffé et son rire était contagieux.
-Ce n'est pas normal, a marmonner Antoine. Ça devrait passer aux infos.
J'ai rigolé, moi aussi. C'était irrésistible d'entendre le présentateur décrire les tâches marrons sur son arbre fruitier. N'empêche, j'ai eu un mauvais pressentiment. J'ignorais quelle émission passait d'habitude à cette heure là. Je savais juste que ce n'étais pas Les questions du jardiniers.
Ma mère adorait ce programme, elle l'écoutait tous les dimanches. Le dimanche pas le samedi ! C'était étrange.
-Allez vous rhabiller ! nous a lancé Nathalie.
Elle ne nous parlait jamais sur ce ton. J'ai frissonné. Mike m'a attiré contre lui et Asya m'a pris la main.
-Nos vêtements sont dans le garage, à répliqué Fiona.
-Dans ce cas, empruntez les nôtres, a insisté Nathalie. Prenez ce que vous voulez, mais rhabillez-vous !
Quelqu'un, je ne sais plus qui, s'est dirigé vers la porte en râlant.
-NE SORTEZ PAS DE LA MAISON ! a aboyé Antoine.
On a quitté la pièce en file indienne en trainant des pieds. Dans l'escalier, quelqu'un a pouffé. On a foncé dans la chambre de Antoine et Nathalie.
-Qu'est ce qu'il leur arrive à tes parents ? a demandé Mike.
-Aucune idée !
Félien a haussé les épaules, mais il avait l'air inquiet.
-Viens voir ! a t'il lancé à Ronnie, le plus geek de nos potes.
Ils ont disparu dans la chambre de Félien. Pendant ce temps là, on a joué aux déguisements avec les fringues de ses parents. C'était tellement drôle qu'on a oublié le reste. Mike a enfilé un caftan et joint les mains pour prier.
-Ohhm !
J'ai ri si fort que j'ai failli me faire pipi dessus.
-Il faut que j'aille aux toilettes !
Asya m'a emboîté le pas. Je suis entrée la première dans la salle de bain, au bord de l'explosion et je me suis laissé tomber sur les WC. Puis Asya s'est soulagée à son tour pendant que je me regardais dans la glace, drapée dans une robe hippie de Nathalie. Oh putain ! Pour le look de model, c'était raté ! Mes lèvres paraissaient à peu près normales, mais j'avais des yeux de zombie cernés de mascara et mon rouge à lèvre avait bavé sur mon menton. Comme Nathalie n'était pas du genre à avoir du lait démaquillant, j'ai déchiré un petit bout de PQ, tapoté le savon, et je me suis frotté le menton. Merde. Ce que j'avais pris pour une trace de rouge à lèvre était en faite une brûlure. Ça piquait méchamment.
Comme je ne pouvais rien faire, je me suis occupée du mascara. Quand Mike a tambouriné à la porte.
-Vous avez bientôt fini ? Nina a envie de vomir !
Génial ! J'allais devoir lui faire face avec ma tête de déterrée ! On a ouvert, Nina s'est jetée sur les WC en dégobillant. Dans des circonstances normales, il aurait de notre devoir de lui tenir compagnie. Mais rien que le bruit de ses hoquets me retournait l'estomac. C'était déjà assez grave d'avoir l'air d'une mutante devant Mike. Il n'aurait plus manqué qu'il me voir vider mes boyaux.
Alors, j'ai pris Asya par la main et on est redescendues. On est passé devant la chambre de Félien qui se chamaillait avec Ronnie pour le contrôle de l'ordinateur.
-Pourquoi c'est aussi lent ? Clique ici ! Vas y clique ici ! disait t'il en essayant de lui piquer la souris.
Dans la cuisine, le présentateur de radio parlait des plantes pour les zones ombragées. Antoine, l'air captivé, regardait par la fenêtre de la cuisine. J'ai suivi son regard et j'ai constaté qu'il pleuvait des cordes. Ok, maintenant la fête était vraiment fichue. Les autres ne s'en étaient pas encore aperçus. Il étaient trop occupés à se marrer comme des baleines.
-Asya, tu veux bien mettre la bouilloire à chauffer, s'il te plaît ?
-Oui, Nathalie, a marmonné Asya.
Antoine a composé plusieurs numéros sur son téléphone portable.
-Merde. Merde. Merde. a t'il pesté en constatant qu'il n'arrivait pas à joindre ses correspondants.
Puis l'émission Les questions du jardiniers s'est arrêtée au milieu d'une phrase, remplacée par un message d'alerte.
« La pluie. »
C'est tout ce que je me rappelle avoir entendu, au départ.
« C'est dans la pluie. »
On a fixé la radio comme si c'était une télé. Sauf Antoine qui a laissé son portable et qui s'est approché du téléphone fixe accroché au mur. Asya a mis la bouilloire sur le gaz puis elle est revenue vers moi et m'a pris la main droite (la gauche était dans celle de Mike).
-Anna. Tu crois qu'on va mourir ? a t'elle chuchoté.
-Non !
Évidemment que personne n'allait mourir. Ma mère était dehors, invitée au barbecue des voisins.
C'est dans la pluie.

The RainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant