Pendant notre dispute, des nuages sont apparus dans le ciel. Des petites traînées blanchâtre pas très impressionnantes, mais pourrait-on s'y fier ?
–Anna, il faut vraiment que j'y aille, a dit Amir.
–Tu ne peux pas me laisser, ai-je répété pour la énième fois.
Il a fini par céder. Il n'avait pas trop le choix.
–Ne regarde pas, m'a t'il recommandé en ouvrant la porte.
Il n'a pas précisé quoi, mais je le savais, et j'ai regardé quand même. En voyant le visage de Mme Fitch couvert de mouches, j'ai été envahie par un mélange de chagrin, de surprises et d'horreur. Pas tellement pour Mme Fitch, en vérité, mais parce qu'elle m'a fait penser à maman.On n'avait pas franchi le portail du jardin que j'avais déjà une furieuse envie de faire demi-tour pour aller me cacher sous ma couette, et regarder Oiseaux des îles de Grande-Bretagne jusqu'à ce que tout s'arrête.
Le portail s'est refermé en claquant, et le bruit a fait aboyer les chiens des voisins.
On a pris la voiture et roulé jusqu'à l'extrémité de Cooper's Lane. Les rues étaient toujours aussi encombrées que le soir où la mère de Félien m'avait raccompagnée. J'ai mis un moment à comprendre que la plupart des véhicules étaient à l'arrêt, abandonnés ou pire... Il y avait des gens immobiles à l'intérieur. Les voitures des vivants essayaient de se frayer un passages dans les interstices en klaxonnant. C'était la pagaille dans les deux sens, mais la circulation était un peu moins dense en provenance du centre-ville. Amir a enclenché la marche arrière.
–On va plutôt y aller à pied, a-t-il décidé.
On s'est à nouveau disputés devant le portail. C'est Amir qui a commencé.
–Anna. Je voudrais vraiment que tu restes ici...
–Tu ne peux pas me laisser seule.
Les alarmes et les sirènes hurlaient, les chiens des voisins aboyaient, les mouches bourdonnaient. Les nuages empoisonnés s'amassaient, grossissaient, s'épaississaient. J'ai eu gain de cause, mais à quel prix ! Même s'il paraissait évident qu'il n'allait pas pleuvoir tout de suite, Amir m'a fait rentrer dans la maison, enfiler des bottes en caoutchouc, un pantalon imperméable et deux K-ways l'un sur l'autre. Il a relevé les capuche, puis m'a tendu un de ses chapeaux d'ornithologue, genre Indiana Jones.
-Pas question. Plutôt mourir !
Voilà ce qu'on dit quand on parle de réfléchir. Je ne le pensais pas vraiment, bien sûr. Amir n'a pas relevé. Il m'a plaqué le chapeau sur la tête et a serrer le cordon de la capuche à m'étrangler.
En signe de protestation, j'ai tiré sur le cordon, qui frottait contre ma bouche et mon menton éraflé.
–Et pour les mains, on fait quoi ? ai-je demandé.
J'avais posé cette question pour souligner l'absurdité de notre accoutrement. Certainement pas pour inciter Amir à aller nous chercher deux paires de gants pour la vaisselle !
Il les a agités devant mon nez.
–Si tu refuses de les mettre, on reste tous les deux à la maison et on meurt de soif, m'a-t-il prévenue.
Cette menace m'a paru inutilement brutale, mais j'ai enfilé et resserré le cordon de la capuche. Après tout, moins on voyait mon visage, moi j'avais de chance d'être reconnue.
Amir m'a tendu le grand parapluie de maman.
-Ah non ! ai-je marmonné à travers la toile.
–D'accord, a-t-il concédé. Mais tu l'ouvres si je te le demande.
-OK.
Il a sorti des sacs de courses du coffre de la voiture.
–Anna, tu fais ce que je te dis quand je te le dis, entendu ?
–Oui !
Mon intonation aurait pu suggérer que j'étais énervée, mais la vérité, c'est que j'étais morte de peur.La chaleur est étouffante, et je me suis retrouvée en nage avant d'avoir fait trois pas. En arrivant sur la route menant au centre-ville, je suais à grosses gouttes.
Est-ce que je vous ai déjà dit que Dartbridge est la capitale hippie de l'Univers ? La mecque du tye-dye et des légumes bio. Les gens marchaient pieds nus dans la rue, pas parce qu'ils sont pauvres, mais pour être davantage connectés à la terre (qu'importe si elle est recouverte de bitume). Même les graffiti sont hippies ; on a des peace&love tagués à tous les coins de rue.
Sous les alarmes, les sirènes et klaxons, on entendait un bruit de verre brisé.
–Est-ce que il y a une émeute ? ai-je demandé.
J'avais vu des émeutes dans les reportages, à la télé. Ça se passer le plus souvent dans d'autres pays, mais aussi parfois en Angleterre, quand la population était remontée contre des décisions du gouvernement. Ron prétendait qu'il y en aurait beaucoup plus souvent si on savait vraiment ce qui s'est passait.
–Une émeute à Dartbridge ? Ça m'étonnerait, a répondu Amir. Les gens paniquent un peu, c'est tout...Au lieu de prendre le chemin habituel, qui menait directement au centre-ville en passant par le parking de la bibliothèque, Amir a bifurqué à droite dans South Street. Ça m'allait très bien, parce que je ne voulais pas m'approcher du George. L'inconvénient, c'est qu'un type était affalé parterre sur le trottoir, la tête contre un mur.
On aurait dit qu'il s'était endormi sur place, comme un ivrogne, et qu'il ronflait au soleil.
–Ne regarde pas, m'a lancé Amir.
J'ai ignoré son conseil.
L'homme ne dormait pas. Son visage était couvert de sang et ses yeux avaient disparu, laissant des orbites vides. Je ne le savais pas sur le moment, mais ce sont les oiseaux qui font ça. Ils picorent les parties les plus tendres du corps. Charmant, non ?
Jusqu'à la veille, je n'avais encore jamais vu de cadavre. Avec celui-ci, et sans le couple du parking, qui était peut-être encore en vie, j'en étais à quatre. Et oui, je comptais encore...
C'est peut-être bizarre de dire ça, mais j'étais contente que ma mère soit à la maison avec Louis, plutôt qu'allongée dans la rue, ou dans le jardin des voisins en chemise de nuit, comme Mme Fitch.Amir se trompait. C'était bien une émeute.
South Street est parallèle High Street sur plusieurs centaines de mètres, avant de bifurquer pour la rejoindre. En croisant une rue adjacente, on a eu un bref aperçu de la seconde. De petits groupes de gens arpentaient la chaussée en criant. Certains avaient des foulards noués devant le visage, et poussaient des caddies pleins à craquer.
La scène à laquelle on avait assistés sur le parking n'était donc pas une exception.
–On va aller à l'autre supermarché, a décidé Amir.
C'est là, je crois, que j'ai mesuré la gravité de la situation. Maman et lui ne mettaient quasiment jamais les pieds dans l'autre magasin -alias le «bon supermarché». Trouver dans notre frigo un article en provenance de l'autre supermarché m'emplissait d'un mélange de surprise et d'extase. Les parents d'Asya y faisaient régulièrement leurs courses, et ils avaient toujours des trucs géniaux à manger : des glaces, des plats tout près à réchauffer au micro-ondes en quelques secondes, des chips... Tous mes copains s'approvisionnaient là-bas, au moins de temps en temps. Même Nathalie et Antoine, les parents de Félien. Pas les miens, hélas !
On a rebroussé le chemin et tourné dans Snow Hill, puis on a pris les ruelles qui serpentaient jusqu'à la rivière. Au loin, on apercevait où High Street croise un tas d'autres rues : celle qui traverse le pont pour rejoindre les quartiers est, où vivait Asya, la route du bord de mer qui dessert des villes comme Paignton et Torquay, et celle qui mène à l'hôpital et au supermarché.
Le carrefour était encombré de voitures à l'arrêt et du conducteur excédés, qu'on entendait crier de loin.
Au milieu de ce chaos, il y avait une voiture de police, gyrophare allumé. Un policier perché sur le toit braillait dans un porte-voix, conseillant aux gens de rentrer chez eux.
Amir a regardé la scène d'un air consterné. Le genre d'expression qui se peignait sur son visage quand Louis hurlait dans ses bras.
Pour rejoindre le supermarché, il faudrait traverser ce bazar. Ou bien...
–On peut couper High Street plus haut, ai-je affirmé. Ça ira plus vite.
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The Rain
AdventureUne pluie mortelle s'abat sur la Terre : les moldus sont menacés de disparition. Anna, 15 ans, par à la recherche de son père mais reçois une lettre. Je m'appelle Anna Wilson, et voici mon histoire. Si vous la lisez, vous avez énormément de chance d...