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Je n'ai certainement pas agi ainsi par courage. En fait, je crois que je n'ai même pas réfléchi. Je m'en voulais trop d'avoir laissé sortir Mike.
Je suis montée à l'avant de la voiture et Nathalie n'a même pas protesté. Elle ne m'a même pas regardée. Elle s'est contentée de mettre le contact. Aujourd'hui encore, je me demande pourquoi elle ne m'a pas renvoyée dans la maison. Peut être qu'elle n'avait pas les idées très claires, elle non plus. Ou alors, elle était contente que quelqu'un l'accompagne. Ou elle pensait que c'était sérieux, entre Mike et moi. Elle ne pouvait pas savoir qu'on s'était embrassés pour la première fois, une heure plus tôt. Ou bien, elle avait estimé, en voyant mon menton, qu'il fallait me conduire à l'hôpital, moi aussi. Elle avait peut être remarqué que je n'arrêtais pas de toucher mes lèvres.
Mais je n'étais pas malade. Je ne pouvais pas être malade !

Nathalie a installé Mike a l'arrière pour qu'il puisse s'allonger, et je préférais ça. Je n'étais pas obligée de le regarder, mais je l'entendais toujours gémir et haleter.
Nathalie et Antoine vivaient en pleine montagne. Les routes sont très étroites et tortueuses. Pas moyen de voir où l'on es. C'est déjà pénible en plein jour alors de nuit, on se croirait dans un labyrinthe. J'ai commencé a avoir mal au cœur.
-Stop ! Surtout pas ! est intervenue Nathalie quand j'ai voulu baisser ma vitre.
Il ne pleuvait plus mais elle avait raison. Le feuillage des arbres pouvaient goutter sur la voiture. De temps en temps, elle activait les essuies-glaces.
Je n'arrivais pas à me faire à l'idée qu'une chose aussi banale puisse rendre quelqu'un malade comme l'état de Mike.
Mortel, avait dit Antoine.
J'ai fermé les yeux, inspire profondément et tenté de me faire le vide dans ma tête. J'avais hâte d'arriver sur la route principale. Nathalie pourrait enfin accélérer. On arrêterait de zigzaguer.

J'avais été trop optimiste. Des centaines de véhicules encombraient la chaussée dans les deux sens. On a du continuer à rouler en slalomant.
J'ai fermé les yeux. Je ne voulais pas voir les voitures et encore moins penser à ce qu'il y avait dedans. Des gens malade, comme Mike.
L'hôpital était à des kilomètres de là. Il y en avait bien plus près, mais il ne traitait pas les urgences. D'après maman, on ne pouvait même pas y aller pour se faire retirer une écharde.
C'est mortel.
J'ai respiré à fond et écouté le moteur. Quand la voiture a recommencé à tanguer, j'ai cru que Nathalie avait pris un raccourcis et rejoint une route secondaire.
Ça m'a rappelé un jour où mon père nous avait emmenés en bateau, Sacha et moi. Sacha c'est mon demi-frère. Il a douze ans et c'est le roi des casse-pieds, mais je l'adore.
Et comme papa est séparé de sa mère aussi, on a le même problème de famille décomposée.
La conduite de Nathalie me donnait tellement mal au cœur que j'ai rouvert les yeux. J'ai coulé un regard vers elle. Elle avait le front trempé de sueur. J'ai d'abord pensé qu'elle était stressé, qu'elle paniquait... C'est seulement quand nous sommes passé sous des files de lampadaires que j'ai remarqué sa main. Elle n'arrêtais pas de la plier, comme si elle lui faisait mal. Je l'ai examinée attentivement. Sa paume était ensanglantée.
-La serviette éponge, à t'elle commenté d'une voix calme.
J'ai pivoté vers Mike.
-Ne le touche pas, a murmuré Nathalie.
Il avait roulé sur le côté. Son visage était sombre, luisant de sang. Il regardait fixement le siège devant lui en grognant. Son corps était agité de tremblements.
Je me suis détournée, paniquée.
Puis la voiture a pilé.
-Merde ! s'est exclamée Nathalie en grimaçant de douleur.
Elle s'est mise à claquer des dents, comme si elle avait froid, alors que son visage était trempé de sueur.
-Changement de programme, a-t-elle annoncé. Je te dépose chez toi.
Je n'ai pas discuté. J'étais pressée de voir ma mère. Mon menton me lançait horriblement.
Nathalie a redémarré et a tourné brusquement le volant vers à gauche. Des coups de klaxon furieux ont fusé, tandis qu'on roulait de travers, à moitié sur la route, à moitié sur le trottoir. Finalement, nous sommes arrivés derrière une voiture stationnée si près du bord qu'elle nous barrait le passage.
Nathalie a klaxonné. Le véhicule n'a pas bougé. Derrière nous, d'autres voitures qui avaient employé la même rues réclamaient qu'on les laisse passer. Un conducteur a même tenté de nous pousser.
-Ça ne passe pas ! ai-je crié, même si je savais qu'ils ne pouvaient pas m'entendre.
-Fais chier ! a pesté Nathalie.
On a finalement réussi à franchir l'obstacle.
-Ça va ? m'a demandé Nathalie en arrivant au carrefour.
Elle a évité de justesse un feu tricolore et a accéléré à nouveau. Puis elle m'a regardé en souriant. Je ne sais pas comment elle a fait...
Je lui ai rendu son sourire.
-Ouais.
Cinq minutes plus tard, elle s'arrêtait devant chez moi. Il m'a semblé que je devais lui dire quelque chose mais j'ai manqué d'inspiration. « Merci de m'avoir raccompagnée. » me semblait faible.
Amir, posté à la fenêtre du salon, guettait les alentours d'un air préoccupé.
-Ton père est là, a commenté Nathalie.
-Ce n'est pas mon père, ai-je répondu machinalement.
Je me suis retournée vers Mike. Il avait les mains sur le visage, si bien que je n'ai pas vu ses yeux. Juste sa bouche.
-Mike ?
Ses lèvres ont bougé. Peut être chuchotait-il « Annanas ». Oh peut être ne disait-il rien du tout...
-Vas-y, m'a encouragé Nathalie. Attention de ne pas toucher l'extérieur de la portière.
Je suis descendue. Des cris, des plaintes et des alarmes fusaient autour de moi.
Quand je me suis retournée vers la maison, Amir n'était plus à la fenêtre et les volets étaient fermés. La porte d'entrée aussi.
Étrange.
J'ai couru vers le porche et j'ai cogné au battant.
-Amir ? Maman ? Maman !
Je distinguais leurs formes mouvantes à travers le verre. Je les entendais même se disputer à voix basse.
-Maman ! ai-je hurlé en frappant de plus belle.
Il y avait une clé de secours « spéciale Anna » cachée dans le jardin mais je me voyais mal farfouiller dans l'herbe trempée. J'ai continué à tambouriner contre la porte.
-MAMAN !
Le visage de Amir est apparu derrière la vitre.
-Anna, il faut que tu retires tes bottes avant d'entrer. Fais attention, tu ne dois absolument pas toucher l'eau. C'est compris ?
-Oui ! ai-je hurlé.
Il avait raison, j'étais hors de moi.
Alors seulement, il a ouvert la porte. Maman, au fond du couloir, s'est étranglée en me voyant.
-Anna ! Oh mon dieu ! Ton visage !
Un bref instant, j'ai cru qu'il s'était plus facile de leur laisser croire que j'avais attrapé cette « chose » plutôt que d'avouer ce que j'avais fait.
-J'ai juste embrassé un garçon... ai-je lâché. Ça m'a irrité le menton.
-Tu n'as rien ?
-Non ! ai-je sangloté.
Maman m'a souri. Un pauvre petit sourire misérable. Son visage était rouge et bouffi. Elle avait pleuré, mais au moins elle n'était pas couverte de sang. Elle a du se dire la même chose en me concernant.
J'ai retiré sans difficulté les bottes en caoutchouc dix fois trop grandes pour moi et je suis entrée dans la maison en piétinant un sac poubelle. J'avais à peine passé la porte que Amir ma barre le passage avec un balai. Je l'ai regardé, les yeux ronds. Il avait une expression terrible et étrange. Pas son air furieux habituel, avec les mâchoires crispées. L'air tremblant. Contrarié. Terrifié.
-Entre là dedans, m'a t'il commandé en indiquant le prit bureau à l'avant de la maison.
Il portait des gangs en caoutchouc. Un instant, j'ai cru qu'on avait fait le ménage. Tu parles !
-Quoi !? me suis-je étranglée.
-Oh, Anna ! a hoqueter ma mère.
Elle a fait quelque pas vers moi.
-Sarah, n'avance pas ! l'a avertie Amir.
Puis il a lancé :
-Entre dans cette pièce, Anna, s'il te plaît.
J'ai consulté maman du regard puis j'ai obéi en pensant que Amir allait me suivre. J'étais tellement habituée à me faire engeuler que j'étais persuadée qu'il voulait me passer un savon. Est ce que je les avais prévenus que j'allais à une fête ?
Mais Amir à claqué la porte derrière moi et il a tourné la clé dans la serrure.

The RainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant