La pluie tueuse, selon Anna Wilson

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Voilà, comme promis, une synthèse de ce qu'on nous a dit à la télé et à la radio, à l'époque. Il y a des choses que j'ai entendues, d'autres que Amir m'a apportées.
Des choses qu'il a lui-même entendues, certaines qu'il a devinées. Plus quelques trucs que j'ai appris et compris plus tard. Je pense que ça résume à peu près ce que tout le monde sait.
Au départ, on ne connaissais pas avec certitude les causes de la catastrophe. Certaines personnes, pas n'importe qui : des scientifiques, commençaient à dire que c'était lié à l'astéroïde. Qu'au moment où il avait été pulvérisé, il avait fait pas mal de bazar. Des tonnes et des tonnes de poussière rocheuses s'étaient diffusées dans l'espace. Au bout de quelques temps, presque sept ans, ces poussières avaient été absorbées par la gravité terrestre, et pop ! pop ! pop ! elles étaient entrées dans l'atmosphère en faisant un joli feu d'artifice qu'on avait pu voir d'à peu près partout sur la planète. Sauf à Dartbridge, où il faisait si nuageux que personne n'avait rien remarqué. Quelques gros morceaux étaient arrivés sur la terre, ce qui avait mis la communauté scientifique et quelques politiciens en émoi. Mais le gros du bazar avait été réduit en particules encore plus minuscules, qui s'étaient répondues partout dans le ciel.
Tout le monde était au courant pour ces poussières. Elles étaient responsable des couchers de soleil devant lesquels on se pâmait. Le genre de crépuscule qu'on avait eu à la fête chez Félien. La mort écrite dans le ciel, et les gens s'extasient en prenant des photos : « Waouh, c'est sublime ! Allez ! Un selfie avec saucisse devant le coucher du soleil. Il est pas beau, mon week-end ? »
Ce que personne ne savait (à part peut-être Ron), c'était qu'il y avait quelque chose dans ces poussières.
Une minuscule créature venue de l'espace. Une bactérie. Une chose qui avait vécu à l'intérieur de l'astéroïde pendant des millions voir des milliards d'années. Ça paraît dingue, mais apparemment, même sur terre, certaines bactéries, appelées extrêmophiles, sont capables de survivre pendant des siècles et des siècles dans des conditions qu'aucun organisme vivant ne pourrait supporter. Par exemple, en engloutissant du souffre dans des torrents bouillants, au fond de l'océan... ou en se cachant sous les aisselles de certains garçons.
Les scientifiques ont qualifié cette bactérie de l'espace de polyextrêmophile, car, contrairement aux extrêmophiles basiques, elle est insensible à des tonnes de trucs : le chaud, le froid, les radiations... En revanche, ce qu'elle a elle était très contente de voir, après avoir passé tout ce temps coincée dans son astéroïde, c'est de l'eau. Car l'eau, elle adore !
Notre batterie se plaît tellement dans l'eau qu'elle s'y multiplie à toute vitesse. Imaginez : Braoum ! L'astéroïde plein de bactéries écrabouillé par la fusée, et une minute plus tard le ciel tout entier, notre magnifique ciel, grouille de ces saletés. Les nuages sont empoisonnés !
Personnellement, je n'ai jamais aimé la pluie. Mais si elle redevenait propre, je serais la première à danser sous l'averse !

« C'est juste une petite douche.
–Tu as raison, maman ! J'adore la pluie ! »
« Arrête ton cinéma !
–D'accord, m'sieur Amir ! Pas de problème.»

Toutes les gouttes de pluie, jusqu'à la dernière, ont été contaminées. Et ces gouttes sont tombées sur la Terre. Quand la pluie toute la peau humaine, il y a un petit laps de temps pendant lequel il ne se passe rien. On pourrait presque penser que tout va bien, jusqu'à ce que ça commence. Une éruption qui démange, puis qui peut brûle si fort qu'on a envie de s'arracher la peau. Et alors, plus moyen de s'arrêter ! Parce qu'en fait, on donne un coup de main à la bactérie, qui se nourrit de notre chair. Elle s'attaque à nos terminaisons nerveuses. Elle est très agressive, prête à tout pour obtenir ce qu'elle veut. Et ce qu'elle veut, c'est se frayer un chemin dans nos veines, dans nos artères, dans notre sang.
C'est après lui qu'elle en a. Après notre sang. Les scientifiques pensent qu'elle se nourrit de fer qu'il contient, et après s'être répliquée comme une folle, laissez-moi vous dire qu'elle est affamée !
Ensuite, tout dépend de la façon dont vous avez été exposé. Si vous avez été plongé dans l'eau de la tête aux pieds, la première explosion de douleur peut suffire à vous tuer net. Dans ce cas, vous avez de la chance. Pareil si vous avez bu de l'eau : ça revient à ouvrir en grand la porte de vos entrailles en disant : « Je vous en prie, faites comme chez vous ! »
Si vous avez reçu quelques gouttes d'eau sur la peau, comme ma mère, vous allez mourir plus lentement. À moins que vous ne soyez tout petit, comme Louis (mon pauvre petit trésor !) Dans ce cas, ça va vite.
Que dire de plus ? Les bactéries dévoreuses font la fine bouche : elles ne mangent que vos globules rouges. Elle se plaisent beaucoup dans votre organisme. C'est tellement agréable de se goinfrer enfin, après avoir eu soif pendant des millions et des millions d'années ! Elles continuent à se répliquer à mesure qu'elles prennent des forces, jusqu'au moment où -Pop !- ! vos entrailles explosent, cellule après cellule.
Il n'y a rien –RIEN– à faire. Les bactéries se moquent des antibiotiques. Aucun médicament sur terre ne peut vous sauver. Il n'y a pas de remède. Ils ont conseillé du paracétamol contre la douleur. L'aspirine, apparemment, ne fait qu'accentuer les saignements.
Mais c'est totalement inutile !
Plus tard, trop tard, ils ont dit que les victimes, et toutes personnes soupçonnée d'être malade, devaient être placées en quarantaine pendant 24 heures. C'est une fumisterie. Le terme « quarantaine » laisse supposer que vous pourriez vous en sortir vivant. C'est faux ! Je n'ai jamais vu, ni entendu parler de quiconque ayant survécu plus de trois heures. En plus, la maladie ne se transmet pas par la respiration. La bactérie de l'espace ne peut pas entrer par vos poumons. Pour l'attraper, il faut que votre peau soit en contact avec le sang d'une personne malade, ou morte, je suppose.
Si j'avais un conseil à donner aux habitants du futur, ce serait le suivant : si un astéroïde se dirige vers votre planète, soit vous le faites exploser bien avant qu'il entre dans son champ de gravité, soit vous changez de planète.
Je cherche désespérément quelque chose de positif à ajouter. Du genre : « Désormais, plus personne ne risque de trouver la facture de téléphone planquée sous votre lit ! » ou bien : « Réjouissez-vous : on ne vous obligera plus jamais à randonner sous une pluie battante ! »
Trêve de plaisanterie, ça pourrait être pire, semble-t-il.
Il y a de l'humidité dans l'air, d'infimes gouttelettes d'eau en suspension, partout. Je ne parle pas de la rosée, ni de la condensation, ou de ce genre de choses. Les gouttes en question sont invisibles et, bien sûr, elles sont infectées, elles aussi. Le truc, d'après les scientifiques, c'est qu'en dessous d'un certain volume de bactéries notre corps est capable de se défendre. Hourra ! Mais quel volume exactement, mystère !

Voilà c'est tout ce que j'ai à dire.
Quoi que...
À l'école, on nous a toujours affirmé que, pour décrocher de bonnes notes, il ne suffisait pas de répéter bêtement ce qu'on avait lu ou entendu. Il fallait montrer qu'on était capable de raisonner.
Je vais donc vous livrer mes réflexions sur le sujet.
Je suis convaincue que les adolescents auraient dû profiter de cette occasion pour prendre le contrôle du monde.
À l'image des cafards qui a survivraient à une catastrophe nucléaire, les ados me semblent parfaitement capables de s'adapter au monde tel qu'il est devenu.
Réfléchissez-y. On n'aime pas sortir quand il pleut. On n'aime pas boire de l'eau (c'est rasoir) On n'aime pas manger de fruits et de légumes frais (parce que les adultes nous bassinent avec ça).
Bon, il faudrait régler la question des douches, mais franchement, je n'avais pas mis de savon sur mon visage depuis plus d'un mois (depuis que Asya avait lu un article disant que ça donnait des rides), et je vous garantis que, pour la toilette quotidienne, les lingettes de bébé font parfaitement l'affaire.
L'autre avantage des adolescents, c'est qu'ils sont beaucoup plus sympa que les adultes*. Notre monde aurait été bien meilleur.
Bon, c'est ma conclusion. Elle n'est peut-être pas tout à fait objective, mais elle a le mérite d'exister. Je me décerne un A+.

*À quelques exceptions près.

The RainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant