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Je ne sais pas comment on est redescendu. Je sanglotais si fort que j'avais du mal à respirer.
J'ai voulu dire à Amir que j'avais compris. Je savais ce qu'il s'était passé. J'ai vu les cachets tomber sur la pelouse. Maman avait dû sortir sa main sous la pluie pour lancer la boîte à Mme Fitch. C'est pauvre conne de Mme Fitch.
Pourquoi n'avais-je pas réagi?
Pourquoi n'avais-je sais pas crié?
Pourquoi n'avais-je pas réfléchi?
Et après ? Maman avait-elle compris immédiatement ?
Non : sans quoi, elle n'aurait pas touché Louis. Elle avait effleuré son petit visage, tout doucement, pour ne pas le réveiller. La plus légère des caresses sur la joue. J'y avais encore droit, moi aussi. Même après une dispute. Je faisais semblant de dormir pour avoir ma caresse et mon petit baiser...

Il a plu jusqu'au soir. Avec Amir, on a dressé le camp dans le salon. On s'est fait des nids à la manière de Sacha. Ni lui ni moi n'avions envie d'être seuls.
Ensuite, mes souvenirs sont flous. Je ne sais plus vraiment ce qu'on a fait, ce qu'on a dit. Je me rappelle seulement certains détails. Par exemple, que le moindre bruit était une torture pour moi. Amir a éteint la télé et c'était une bonne chose, parce que même muettes les images m'agressaient. La musique, les films joyeux, les films tristes ou stupides, tout me semblais affreusement déplacé. Et, à moins de monter le volume à fond, on entendait toujours le crépitement de la pluie.
Finalement, on a opté pour des documentaires rasoir. Amir en avait des tonnes, à commencer par un coffret de DVD d'observation des oiseaux, et ces séries historiques qu'il me conseillait de regarder depuis des semaines, convaincu que ça m'aiderait pour mes révisions.
On a parlé un peu, aussi. On a évoqué maman, Louis, et ce qui c'était passé... Puis on arrêté, parce que c'était trop douloureux.

Pendant ce temps là, je continuais à les imaginer tous les deux, là-haut. C'était plus fort que moi.
Je me suis mise en colère contre Amir ; je lui reprochait de ne pas m'avoir prévenue. De ne pas m'avoir laissé leur dire adieu. Il m'a expliqué qu'il ne savait pas. À un moment, il avait entendu Louis pleurer, et mis ça sur le compte de sa rage de dents. Il s'apprêtait à monter à l'étage avec un de ses anneaux réfrigérés qu'on stockait dans le frigo, quand les pleures avaient cessé. Du coup, il avait préféré les laisser dormir. Il avait veillé toute la nuit, regarder les infos, essayer de se connecter à Internet et de téléphoner à des gens.
À 7h du matin, comme Louis était toujours silencieux, Amir était monté voir. C'était trop tard.
Mais pourquoi m'avait-il laissée dormir et fait asseoir à table pour débiter sa liste à la noix, alors que...
J'ai essayé de réfléchir à ce que ta mère aurait voulu, m'a-t-il répondu.
Comment maman avait-elle réussi à ne faire aucun bruit, mystère ! Ça dépasse mon entendement. La plupart des gens frappés par cette maladie hurlent de douleur.
Pourquoi ne nous a-t-elle pas appelés? ai-je demandé, au milieu d'un documentaire sur les fauvettes des marais.
J'imagine qu'elle a eu peur de nous transmettre la maladie, a dit Amir sans quittés l'écran les yeux.
Il s'est tourné vers moi pour ajouter :
Elle a dû s'inquiéter. Si j'étais tombé malade, il y aura une personne pour veiller sur toi.
Amir m'a rappelé à l'ordre à plusieurs reprises. Principalement quand il me voyait prête à ouvrir le robinet. Une fois parce que j'ai failli renverser une bassine d'eau. Finalement, il a enfilé des gangs en caoutchouc et pousser avec précaution tous les récipients dans un angle de la cuisine. Puis il a fait une barrière avec des chaises et la poubelle. J'ignore pourquoi il ne s'est pas contenté de les vider dans l'évier. De peur des éclaboussures, j'imagine. Alors, notre petite mer empoisonnée est restée là, affreuse à voir.

J'avais envie d'appeler mon père.
Tout est coupé, Anna.
Amir m'a quand même passé les téléphones : le fixe, son portable et celui de ma mère.
J'ai essayé de joindre papa, puis Asya. Je ne connaissais pas d'autres numéros par cœur. Ma mère et Amir avaient en mémoire, dans leur téléphone presque tous ceux de la famille, et les parents de mes amis, mais il n'y avait même pas de tonalité. Les deux portables étaient muets ; un biiip continu s'échappait du fixe.
Et les mails ? ai-je demandé.
Amir m'a apporté l'ordinateur. Le navigateur Internet était ouvert, mais il n'y avait pas de réseau. J'ai fait plusieurs tentatives pour me connecter. J'ai réessayé pendant une éternité, tandis que le gars du DVD parlait des Tudor et des Stuart. Ce n'était même pas au programme du lycée. Pas plus que la guerre civile, dont parlait le présentateur quand Amir m'a repris l'ordinateur et les téléphones.
Je n'ai pas protesté. Je pleurais.
Ils essaient peut-être de nous appeler, s'est-il justifié.
Il a posé les téléphones sur l'appui de la fenêtre, devant les photos de famille. L'ordinateur a atterri sur la table basse.
On essaiera toutes toutes les heures, m'a t'il promis.
C'est ce qu'on a fait. Chacun à notre tour. À la fin, on ne prenait même plus la peine de se mettre au courant.

The RainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant