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« Au secours ! Ça va être ma fête... »

Voilà ce que j'ai pensé. Le monde entier étais plongé dans le chaos à cause de cette bestiole venu de l'espace, c'était l'hécatombe, et moi, j'étais restée coincée à la page d'avant. La veille. Je voyais bien que les choses avaient changé, mais je pensais encore que j'étais provisoire.
Que tout redeviendra comme avant. Quand ? Plus tard. Demain.

Je ne suis pas complètement idiote : je savais qu'il s'était passé quelque chose de grave, mais, à ce moment précis, j'avais juste envie de voir mes amis. Je voulais récupérer mon téléphone pour appeler Mike, ce que je n'avais encore jamais fait. On s'était juste envoyé quelques textots anodins : une espèce de flirt virtuel. Mais je m'y sentais autorisée, maintenant. À cause des baisers qu'on avait l'échangés, et des souffrances qu'il devait endurer.
Je voulais juste l'appeler, comme j'avais envie d'appeler Asya. Mais Mike avait-il encore son portable, ou l'avait-il laissé chez Félien ? Dans ce cas, je pourrais toujours passer le prendre et le lui apporter...
Anna, il faut que tu m'écoutes attentivement, a dit Amir.
Je l'écoutais ! Je ne faisais que ça ! J'étais même disponible disposé à déployer des trésors d'attention pour arriver à mes fins. J'ai pris mon assiette, je me suis levée, et j'ai posé la main sur le robinet.
Non ! a braillé Amir.
Je suis allée me rasseoir et je lui ai souri d'un air contrit. Il a soupirer tristement et tirer sa chaise vers la mienne.
J'ai besoin que tu m'écoutes vraiment, a-t-il insisté.
« OK, fais-lui ce plaisir », ai-je pensé. J'ai hoché la tête.
Personne ne sait ce qui se passe, a-t-il commencé. Personne n'a de certitude. Tant qu'on ne sait rien, on se tient à ces règles.
C'est là qu'il m'a sorti sa liste infernal, digne d'une catastrophe planétaire : « ne pas faire ceci, ne pas faire cela. » Toutes les consignes qu'ils avaient données à la radio, plus d'autres, que je ne me rappelais pas avoir entendues. Amir avait dû les inventer.
-Ne sors pas sous la pluie. «Pffff ! » Ne touche pas quelqu'un qui a touché l'eau. Ni un animal. Ni quoi que ce soit qui a été en contact avec de l'eau.
Cette liste me paraissait un peu dingue, mais j'ai compris où Amir voulait en venir. J'imaginais cet horrible insecte microscopique en train de ramper partout.
La mère de Félien m'a dit de ne pas toucher la portière de la voiture, ai-je fayoté.
Bien. C'est exactement ce que je veux dire.
Bingo ! Si je me montrer assez coopérative, peut-être que Amir me laisserait utiliser son ordinateur. Il trônait juste devant moi, et...
Anna, s'il te plaît ! Concentre toi.
J'ai obéi. La consigne suivante était totalement flippante :
Ne touche pas quelqu'un qui est malade. Ou mort.
C'est horrible !
Amir a acquiescé d'un signe de tête.
Ne touche pas et ne bois pas l'eau du robinet. Personne n'avait dit qu'elle était contaminée, a-t-il signalé. Mais si elle ne l' était pas déjà, elle le serait bientôt. Les gens avaient dû paniquer et vider leurs citernes, ce qui avait fait remonter l'eau du réseau dans les canalisations. 
Il avait rempli tous les récipients qu'il avait pu trouver dans la maison, mais on avait aucun moyen de savoir si l'eau qu'ils contenaient était saine.
Avant qu'il est plus continuer, j'ai lu la suite à voix haute :
N'utilise pas les toilettes. Pas de bains. Pas de douches. Ne mange rien qui a été dehors. Pas de fruits frais, pas de légumes, de poisson ni de viande.
L'allusion à la viande m'a agacée. En principe, j'étais végétarienne. Seulement, j'avais parfois un peu de mal à m'y tenir, et Amir le savait.
Ouaip ! ai-je fais dans ton énergique.
Et, Anna, la chose la plus importante...
Tout en haut de la liste, il a inscrit un mot, en majuscules, qu'il a souligné. Il l'a réécrit plusieurs fois. Un seul mot :
Réfléchis.
Tu comprends?
J'avais hâte que cette conversation se termine, mais je savais qu'un simple « oui » ne suffirait pas à me tirer de là.
Par exemple, avant de remplir la bouilloire?  ai-je suggéré.
Exactement !
Ouf !
–C'est capital, Anna ! Il faut que tu prennes le temps de réfléchir, quelle que soit la situation, quels que soit tes sentiments. Tu t'arrêtes et tu réfléchis.
–Je comprends.
–Quoi ? Qu'est-ce que tu comprends ?
–Que je dois réfléchir.
–À quoi ?
–Ah... Je ne sais pas... À l'eau, et tout.
–Oui.
Il s'est retourné et il a pris mon visage entre ses mains. Ça m'a fait mal au menton, mais j'étais trop angoissée pour penser à me plaindre.
Il faut que tu réfléchisses, Anna, a-t-il répété.
C'était le regard le plus terrible qu'il m'ait jamais adressé.
Il faut que tu pense à toi. Que tu te places en premier, a-t-il repris.
Ah ! Ça, c'était nouveau ! Lui qui m'avez toujours reproché d'être égoïste...
Il faut que tu pense d'abord à toi, Anna. À ta survie.
Amir ne me lâchait pas.
Avant de faire quoi que ce soit, par quoi dois-tu commencer?
–Pas réfléchir.
–À quoi?
–À moi.
Est-ce que je l'allais devoir crier pour qu'il me fiche la paix?
–Qu'est-ce que tu vas faire?
–Réfléchir.
–À quoi?
–À moi. C'est bon, Amir, j'ai compris. Il faut que je réfléchisse !
–À quoi?
–À la survie.
–De qui?
–La mienne ! ai-je crié.
Je crois que je ne l'avais jamais haï à ce point.
La mienne. À moi !
Il m'a lâché le menton. La maison était toujours silencieuse. Pourtant, j'ai fait un sacré boucan.
Maman?!
Réfléchis ! m'a rappelé Simon.
Il a essayé de m'attraper le bras mais j'étais trop rapide pour lui. J'ai monté l'escalier en trombe et j'ai ouvert la porte leur chambre.
Ma mère était allongé sur le lit, blotti contre Louis.
Les draps étaient tous chiffonnées. Je ne me suis pas élancée vers elle, au cas où elle aurait été endormie. Je pensais encore que c'était possible.
Maman?
Elle avait une position bizarre, couchée sur le côté, un bras étendu par-dessus l'oreiller. Sa main ensanglantée avait imbibé la taie. L'autre, intacte, reposait sur le ventre de Louis. Lui aussi était étendu sur le dos, complètement immobile. Il n'y avait qu'une minuscule tâche rouge sur sa joue.
Maman?!
Amir a noué les mains autour de ma taille et m'a tirée en arrière. Il m'a serrée contre lui.
Mon hurlements est mort dans l'air. Il a rejoint tous les autres ; ceux qui vivent comme des fantômes, comme des échos dans l'esprit des vivants.
Mon cri a éclaté, et il est mort. Mes poumons ont refusé de se remplir. Je voulais mourir, moi aussi. M'éteindre avec ce cri.
Respire ! disait Amir. Respire !
Il pleurait. Il refusait de me lâcher.
Au final, c'est notre corps qui décide, indépendamment de notre volonté. Mais poumons ont inspiré de l'air.
J'étais à un souffle d'elle. Puis deux, trois quatre, cinq...

Maman, je respire encore.

The RainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant