Chapitre 5 : La main dans le sac

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Alors qu'après cette condamnation, les festivités de la journée tentaient de reprendre, je sentis un petit coup dans mon épaule. C'était Jake. Les lèvres pincées, il me fit un signe de la tête. Je compris tout de suite. Le temps suivait son cours. La condamnation nous enlevait déjà de précieuses minutes à cette journée. J'inspirais un grand coup, comme pour me donner du courage après les dernières confidences de Will, en réalisant que le danger me frôlait de trop près. Ce n'était qu'en ce jour que je m'en étais rendue compte, peut-être parce que je me reflétais dans l'image d'Angel. Nous étions jeunes, et pourtant, les condamnations ne nous épargnaient pas.

— Will, on va se promener avec Jake pour voir les chars de fleurs. Profite de la journée pour rester avec Alevtina. On se retrouve ce soir à la maison.

— Fais attention à toi, me répéta mon frère, non dupe sur la réalité de notre départ.

Il me fit un petit sourire forcé, pour me souhaiter bonne chance. J'embrassais son front, avec cette étrange impression que le temps ralentissait. Ses yeux larmoyants par la peur, Will semblait étudier chaque expression de mon visage. Je préférais imaginer ses mêmes yeux clairs ce soir, pétillant de joie face à la nourriture que je ramènerais. Ce n'était pas la première fois que je partais à l'entrepôt du Centre, et je savais que ça le rassurait un peu de savoir que nous pourrions manger convenablement pendant quelques temps. Je posais une dernière caresse sur sa joue, avant de partir discrètement du milieu de la foule.

Jake m'amena jusqu'à une barrière où il avait attaché des chevaux. Je me retournais souvent pour vérifier qu'aucune personne n'avait pu nous voir. La foule focalisait l'attention des gardes, craignant peut-être un léger mouvement de contestation après la condamnation d'une jeune fille. Même si cela m'étonnerait. 

Les deux chevaux patientaient calmement, fouillant le sol encore humide à la recherche de quelques brins d'herbe. Jake avait pu les garder, et faisait partie des rares personnes qui en possédait. Malgré l'aspect assez glorifiant que pouvait avoir la propriété de chevaux, ces derniers étaient assez pratiques. Jake peinait à les entretenir dans le petit enclos qui bordait sa maison, mais les animaux n'étaient pas maigres pour autant. Jake arrivait surtout à se faire de l'argent au marché noir et ainsi acheter du foin pour nourrir ses animaux aux jours les plus durs. Avec leurs robes foncées comme la terre, ses animaux avaient une élégance que j'admirais depuis toute petite, avec un brin de sauvagerie. Je m'approchai de celui qui était légèrement plus petit. Il me reconnu instantanément, ayant l'habitude que je parte avec Jake sur son dos, où que je m'occupe tout bonnement de lui. Et parce qu'il aimait les épluchures de légumes que je lui apportais souvent.

— On y va ? me pressa Jake.

On se mît tous les deux à cheval, Jake insista pour me passer devant, afin d'ouvrir la marche. Soi-disant pour me protéger, même si je lui répétais que je me débrouillais très bien toute seule. Il rigolait toujours, et continuait à se montrer protecteur envers moi. C'était quelque chose qui avait évolué au fil des années. Quand on était jeunes, pour nous, nous étions égaux. En grandissant, est-ce que Jake voulait faire sortir son côté héroïque, ou faire naître celui gentleman ? En tout cas, depuis quelques années, il ne cessait de s'inquiéter sur tout ce qui pourrait me toucher. Je n'étais pas en sucre, ce à quoi il répondait que l'on s'entraiderait toujours, et qu'il donnerait le meilleur pour moi. Je n'avais pas comme certaines filles au lycée à chercher désespérément son attention, elle venait naturellement. Je m'en rendais compte.

Nous partions dans un petit trot au travers les forêts et les plaines. Le soleil était magnifique en cette belle journée d'été, il transperçait les branches fines des pins et faisait scintiller l'eau miroitante de la rivière qu'on longeait par moments. Les oiseaux chantaient, j'aperçus même quelques lapins, ainsi qu'un magnifique caribou, qui détala à notre vue. C'était une des rares choses que j'appréciais au Canada : la nature des bons jours, et ses espaces sauvages et magiques en même temps. Jake se retournait de temps en temps pour vérifier que je le suive bien. Probablement une dizaine d'années que l'on montait à cheval tous les deux et il gardait cette habitude.

ArizonaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant