Chapitre 12 : Bataille navale dans la salle de bain

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Solal

Jeudi soir, nos parents se sont rappelés de notre existence.

Nous étions dans le salon d'Amine et Sami, en train de regarder un film d'horreur accompagné d'un buffet de bonbons. Leurs parents étant partis pour la soirée chez leur oncle, nos deux hôtes ont sauté sur l'occasion pour "profiter de la télé". Nous avons cru comprendre que c'était un sujet épineux dans la famille, et avons donc proposé aux deux frères de choisir le film qu'ils voulaient regarder. Après cinquante propositions d'Amine et une de Sami, nous avons gardé celle du grand frère et promis au petit frère de retenir son "idée du turfu" - le buffet de bonbons, donc. Tout allait pour le mieux, jusqu'à ce que nos chers géniteurs manifestent un apparemment pressant désir de nous contacter.

- Thomas, on a un problème.

Les boucles de mon frère me frôlent les chevilles lorsqu'il se dévisse le cou pour se tourner vers moi. Dans la pénombre du salon, j'aperçois son regard monter jusqu'à mon visage.

- Quoi ? répond-t-il silencieusement à mon murmure.

Je lui désigne d'un air discret mon téléphone, posé sur la table basse jonchée d'emballages de Carambar. L'écran contre le plateau de bois s'allume à intervalles réguliers depuis maintenant une bonne demi-heure. Je sens, sans vraiment le voir, que Thomas se renfrogne. Il sort son téléphone de sa poche et fait le même constat :

- Dix appels manqués, marmonne-t-il.

Amine, trop concentré sur le film, ne s'aperçoit de rien, mais Sami, enfoncé dans le coin du canapé à ma droite, s'agite légèrement. Je lui jette un coup d'oeil en coin, puis me penche à nouveau vers mon jumeau, assis devant moi par terre :

- Je sais pas si ça m'inquiète ou si ça me rassure. Aucune nouvelle pendant six jours et là ils se mettent à nous bombarder ?

- Si tu veux mon avis, ils commencent à nous prendre au sérieux. Maman a dû penser qu'on était simplement partis quelques jours avec les copains. Et puis là, elle se rend compte que tous nos potes sont encore à Hendaye, et elle s'inquiète. Et si tu veux savoir le fond de ma pensée, elle a prévenu papa aujourd'hui, termine Thomas d'un air sombre en désignant les cinq appels manqués provenant de notre père.

Je soupire profondément. C'est facile, avant de partir, de se dire ok, je pars, je fugue, je fais un doigt à mes parents et je me retourne pas. C'est moins facile de le faire en vrai, et d'en accepter les conséquences. Je veux dire, mon père, je m'en fous, il nous a abandonné depuis un moment de toute façon. Mais ma mère n'a rien demandé.

Comme s'il avait entendu mes pensées, Thomas se retourne à nouveau et me lance un regard assassin. Je lève les yeux au ciel pour toute réponse. Il me connaît par cœur. J'entends presque sa voix dans ma tête : "Elle aussi elle veut nous séparer Sol ! On a dit qu'on leur répondrait pas, fin de l'histoire !"

Tandis que Sami sursaute et qu'Amine hurle d'effroi, Thomas et moi ne réagissons même pas. J'ai tellement les pensées ailleurs que je ne suis même pas le film. L'écran de mon téléphone s'éclaire à nouveau et je me penche pour l'attraper. Avant que j'ai pu l'atteindre, Thomas tend la main et me le confisque. Cette fois, ni Amine ni Sami ne loupent la scène. Ils tournent des yeux ronds vers nous. Mon frère leur fait signe de laisser tomber tandis que je me renfrogne et me recale au fond du canapé.

Bientôt, le film se termine et mon esprit est encore accaparé par le visage inquiet de ma mère. Je me l'imagine très bien, seule dans le salon, à se ronger les sangs devant une tasse de thé froid. La culpabilité me tord le ventre. Il faut que je pense à autre chose le plus vite possible.

Les enfants de l'océanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant