Chapitre 14 : Les insultes

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Solal


Jeudi 14 mars 2019

Qu'est-ce que tu lis ?

Déconcentré, je lève les yeux. Une tornade de cheveux châtains pose ses fesses sur le banc que j'occupe depuis une vingtaine de minutes.

- Eduardo Galeano. Je l'ai emprunté à la bibliothèque hier.

Las venas abiertas de América Latina, déchiffre ma meilleure amie de son accent plat. Et c'est bien ?

- C'est plus que bien. C'est important.

Aurélie hausse les épaules, peu impressionnée par ma véhémence.

Il doit être autour de quatre heures et demi et c'est une des rares journées de mars qui nous laisse profiter du soleil. Sa lumière pâle éclairant la rivière devant nous produit des reflets sur l'eau paisible. Comme d'habitude à cette heure-ci, la promenade Albert Pose est bondée. C'est le lieu de prédilection des collégiens et lycéens qui ont du temps à tuer après les cours, et on est aussi sur l'heure de pointe de la sortie des écoles. Je préfèrerais lire tranquillement chez moi, mais j'ai décidé d'attendre Thomas, qui finit les cours à cinq heures, pour prendre le bus pour Hendaye.

-  Alors, comment ça s'est passé pour toi ? je fais en fermant mon bouquin et en le fourrant dans mon Eastpack jaune.

- Bof, statu quo. Ce mec est trop bizarre. Il me plait mais je pense que ça va me prendre beaucoup d'énergie pour pas grand chose. Peut-être que je vais laisser tomber.

Je secoue la tête en la regardant d'un air ironique. Elle a toujours le chic pour se mettre dans des situations cocasses. En l'occurrence, elle a rencontré un type sur les réseaux sociaux il y a quelques semaines, qui habite à Bordeaux (rien que ça), et elle ne l'a rencontré qu'une fois en vrai.

Mais comme d'habitude, elle ne s'investit pas vraiment dans la chose. Elle prend ce qu'il y a à prendre, elle laisse de côté le reste. Elle ne s'implique pas.

Notre conversation concernant le prochain devoir de philosophie est interrompue par l'arrivée d'un groupe de terminale qui s'installe non loin de nous contre la rambarde qui surplombe la rivière.

- Ils étaient obligés de se mettre là, ceux-là, crache Aurélie d'un air dégoûté.

Même si j'essaie de ne pas y porter attention, je sais exactement qui sont les jeunes en question. C'est la bande de la classe de Jésus. Ce sont les "populaires" du lycée. C'est drôle de dire ça, parce que d'une certaine manière, Thomas et Jésus aussi font partie des "populaires". Dans le sens où tout le monde connaît leurs noms, une grande partie du lycée les suit sur les réseaux sociaux, et cette même frange d'élèves voudraient être invités à leurs soirées.

Mais c'est compliqué. Jésus est dans une terminale ES et Thomas est en S. Malgré cela, tout le monde sait qu'ils sont meilleurs amis, et ils sont un duo notoire, que ce soit auprès des professeurs, des élèves ou des pions. Le teuffeur et le clown. Ils sont les rois du lycée. Du moins, c'est ce qu'ils pensaient, ce que toute la bande d'Hendaye pensait.

Thomas et Jésus, Chad et Maui aussi mais un peu moins, faisaient plus ou moins partie de cette bande, la bande de la classe de Jésus. Ils nous avaient un peu intégrés dedans, Aurélie et moi, ainsi qu'Ines lors des soirées. Au final, ça faisait un groupe d'une vingtaine de personnes, et là, on avait les "rois du lycée" au complet. Bien sûr, ça puait le fake depuis le début, mais il n'y avait que Chad, Maui et moi pour le voir. Aurélie aussi sûrement le savait, mais elle s'en fichait, après tout ce n'était que des gens de plus dans son répertoire. Elle connaît tous les 16-25 ans de la Côte Basque, alors quinze de plus ou de moins, ça lui faisait ni chaud ni froid.

Les enfants de l'océanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant