Prologue

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Solal

Apocalypse - Cigarettes after sex


Arrête de respirer.

Ferme les yeux.

Ne pense plus à rien.

Laisse toi sombrer.

Laisse toi sombrer dans cette eau noire, dans cette eau froide, dans ce silence étouffé. Tu n'entends plus rien, l'eau est entrée dans tes oreilles et pénètre dans ton corps, dans ton cerveau, dans ton esprit, et soudain tout ce qui est autour de toi cesse d'exister.

Il n'y a plus que ce jeune homme qui tombe, au ralenti, que le silence et la masse liquide engloutissent lentement. Comme si une force obscure remontait des profondeurs aveugles pour dévorer silencieusement ce corps dérisoire.

Je me sens glisser, je me sens partir, je n'ai plus conscience de ce qui m'entoure. Pour la première fois depuis des heures, des jours, des semaines, je ne ressens plus rien.

Le tissu de mon t-shirt flotte le long de mon ventre, de mon dos, de mes épaules. Une vague glacée remonte le long de mes joues, de mon nez, gagne mes cheveux. Mon corps frissonne malgré lui, mais je suis loin, très loin de tout ça. De ces sensations physiques.

Moment suspendu. Une chute à l'infini. Des bulles parfaitement rondes qui remontent paresseusement le long de ce corps immobile qui s'enfonce inexorablement vers des fonds ténébreux. Un monde entier qui retient sa respiration pour ne pas se laisser engloutir par cet élément dévastateur.

Une chanson me vient en tête. Elle illustre parfaitement cet instant. Les accords sourds d'une basse résonnent dans ma tête ; une voix veloutée vibre paresseusement à mes oreilles. Apocalypse. Et mon corps qui glisse lentement dans l'eau. Ce moment hors du temps, il prend tellement sens à ce moment-là.

Cette musique, je l'ai écoutée dans des occasions très spéciales, dans lesquelles j'avais besoin de réconfort, dans lesquelles j'avais besoin de me retrouver avec moi-même, et d'oublier. D'oublier tout ce qui m'entourait, d'oublier toute ma vie et de basculer dans un état dans lequel je ne suis réduit qu'à un corps, fait de chair et de sang, qui existe dans le sens le plus simple du terme, qui est sur cette Terre, qui repose, là. Des moments dans lesquels je voudrais être simplement ce corps atone, amorphe, qui flotte dans l'espace-temps qui l'entoure.

Là, alors que mon corps s'enfonce dans cette eau glacée, la chanson résonne. Ça prend sens, et je comprends soudain pourquoi je suis en train de sombrer dans cette étendue sombre que personne ne voulait approcher. En vérité, elle n'attendait que moi.

On m'a poussé, je ne sais pas qui, je ne sais pas pourquoi. Ça fait un moment qu'on me heurte, de toutes parts, de tous côtés. Finalement, peut-être que cette fois-là, c'est seulement la manifestation physique de ce qui m'arrive depuis des mois.

Et c'est tellement tragique comme pensée que, bizarrement, ça me fait rire. Je veux dire, physiquement. Mes lèvres se retroussent, et soudain, ma gorge se remplit d'eau. Non mais quel idiot. Je m'étouffe et la magie du moment disparaît, je réintègre mon corps, violemment.
Alors que la gravité réapparaît et que je sens mon corps remonter vers la surface, deux bras apparaissent soudain devant moi, deux mains tendues, qui cherchent à m'attraper.

Là aussi ça me fait sourire - alors que je m'étouffe encore, putain. C'est tellement évident. Il n'y a qu'une personne qui viendra me chercher quand on me pousse par-dessus bord. Une seule personne qui peut me sauver, et qui le fera toujours, qui le fera toute sa vie s'il le faut. Naturellement, mes bras se lèvent vers ces mains tendues que j'attrape, et avant que je n'ai pu enchaîner deux pensées, une force brute me hisse hors de l'eau.

Je me retrouve à cracher sur le bord de la piscine.

Mes sens réapparaissent. Des rires moqueurs, des voix autour de moi, de la musique, forte. Ma vision s'ajuste soudain sur des dalles sombres que je me rappelle avoir vues passer dans mon champ de vision au moment de ma chute. La sensation, soudaine et puissante, du tissu glacé contre ma peau, des chaussettes trempées qui collent à mes pieds. Un frisson me parcourt alors que je vois - encore une fois - une main se tendre vers moi pour m'aider à me relever.

- Ben alors Solalito, tu t'es noyé ?

La réplique, qui se voulait taquine, me traverse de part en part. Le sourire narquois de mon jumeau n'y change rien. Oui, je viens de me noyer. Et il se peut qu'il vienne de me sauver la vie. 

Les enfants de l'océanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant