— Je suis désolée, si tu savais, murmura la magicienne à la fin de ma confession.
— Je voulais pas... C'était pas...
— Chut, je sais.
J'étais blottie dans ses bras, assise sur une chaise. Elle me berçait tandis que je pleurai. Je ne savais plus quand j'avais commencé, mais je ne parvenais pas à m'arrêter.
— Ils sont morts... tous morts...
— Ne te soucie pas de cela... Je vais arranger cette histoire.
— Vous ne pourrez jamais les ramener à la vie.
— Non, mais je peux faire en sorte que mes... confrères ne mettent pas fin à la tienne.
— Comment ?
Elle hésita et resserra son étreinte autour de moi.
— Ne me mentez pas.
— Je ne sais pas encore mais je vais trouver. Je dois trouver. Je ne peux pas te perdre.
Je levai les yeux sur son visage. La détermination que j'y lu ralluma l'espoir de me sortir de cette situation. Elle passa ses doigts sur mon front, le long de ma tempe et posa sa paume sur ma joue.
— Pourquoi ? soufflai-je
Il y avait plusieurs questions dans ce mot et j'espérais qu'elle les comprendrait toutes.
— Parce que tu es spéciale, plus qu'ils ne pourront jamais le concevoir, me chuchota-t-elle.
C'est seulement quand mon cœur s'emballa dans ma poitrine que je compris qu'elle avait utilisé cette langue étrange pour me répondre. Une langue qu'Ulrich comprenait et qui me donnait l'impression qu'on fouillait dans le fond de mon âme.
—, Parce que je veux changer la façon dont ils voient les mages sauvages comme nous. continua la magicienne.
Je me crispai, agrippai son vêtement. La sensation devenait presque douloureuse.
–- Parce que j'ai probablement plus d'affection pour toi qu'il n'est raisonnable.
Ses mots déclenchèrent une violente réaction et je bondis sur mes pieds, fit deux pas en arrière pour me mettre hors de portée de ses bras. Elle ne pouvait pas me dire ça, pas comme ça, pas maintenant. Je ne sais pas ce qu'elle lut dans mon regard, j'étais trop confuse pour faire le tri dans mes émotions, mais elle ferma les yeux et soupira.
–- Je ne veux pas te faire peur, souffla-t-elle en retournant à la langue ordinaire. Je sais que tu es perdue, que tu es effrayée par ce qu'il s'est passé.
Elle rouvrit les paupières, planta ses yeux dans les miens.
–- Je suis de ton côté, je ne veux que ton bien, il faut que tu me crois. J'ai eu tort de ne pas jouer cartes sur table avec toi. Je t'ai sous-estimée à la fois par ton intelligence et par la puissance de ta magie. Et j'ai probablement renié la gravité des traumatismes que tu as subi.
Elle se leva et je reculai. Un éclair de tristesse passa dans ses yeux, mais j'en prendrais conscience plus tard. Pour l'instant, tous mes instincts hurlaient dans mes oreilles. Celui de l'enfant des rues, axé sur ma survie, celui, magique, qui dormait dans ma poitrine et dont je sentais l'énergie pulser dans mes veines et celui, primaire et sauvage, de la proie qui se demande comment le prédateur va la tuer. Ulrich cognais contre les murailles de la peur irrationnelle qui s'était emparée de moi, incapable de m'aider.
La magicienne se rassit en douceur, les mains posées sur ses cuisses, paumes tournées vers le haut.
–- Laisse-moi t'aider, t'aider vraiment, souffla-t-elle. Laisse-moi réparer mes erreurs.
Le silence s'installa et dura. Je restais là, au centre d'un tourbillon incompréhensible, à observer ces mains presque tendues vers moi. Au fond de mon esprit, Ulrich fredonnait, dans l'espoir de me calmer, de provoquer une réaction face à la tempête. Je pris progressivement conscience que la Dame blanche faisait de même. Les deux mélodies formaient une étrange harmonie qui apaisa enfin la tempête.
Je pris une profonde inspiration, puis une deuxième, et encore une autre. Je glissai un regard vers la magicienne qui continuait de chantonner, immobile. Confiance. Tout ici, allais se jouer sur cette simple question. Est-ce que j'allais lui faire confiance ? Je lui avais demandé de me croire, elle l'avait fait sans hésiter. Elle me demandais la même chose.
« Tu n'as rien à perdre, au pire, on sera mort bientôt. »
Encore une inspiration, un pas en avant. Le chant continuait, rien ne bougeait à part moi.
Un pas encore, puis un nouveau. J'y était presque.
Un dernier et j'étais à sa portée, mais elle resta figée, elle attendais.
Elle m'attendais.
Alors je tendis une main vers elle et elle vers moi. Sa paume caressa la mienne, chaude et rassurante et elle soupira, le soulagement visible dans ses yeux clairs.
Sa main libre se déplaça avec précaution, attentive à ma réaction. Elle glissa sur mon épaule, remonta vers mon visage et se posa sur ma joue. Un sourire étira mes lèvres et trouva un jumeau sur le visage de la magicienne qui me regardait. Nous restâmes un moment ainsi, le temps pour moi d'apaiser mon esprit et pour elle de s'assurer de mon consentement.
— Merci, articulai-je finalement.
— C'est moi qui devrait te remercier, répondit la magicienne.
Je soupirai et appuyai ma joue contre sa paume. Elle tira doucement sur mon poignet, une question muette au fond des yeux. J'acquiesçai d'un hochement du menton et me retrouvai à nouveau blottie sur ses genoux, ma tête nichée dans le creux de son épaule. La chaleur qui m'envahit n'avait rien à voir avec mes émotions en pagaille ou ma magie incontrôlable, elle naissait d'un ressenti de satisfaction et de sécurité. J'étais bien entre ses bras. J'hésitai encore à nommer ce sentiment, mais il me plaisait beaucoup.
— Je sais comment nous allons faire, annonça la Dame blanche.
Je relevai la tête vers elle, intriguée.
— Ils ont immanquablement senti le chaos provoqué par ta magie et tes émotions. Je n'ai plus qu'à prétendre t'avoir exorcisée d'une malédiction ou sorcellerie d'un ennemi quelconque et ils te laisseront en paix.
J'émis un bruit pensif.
— Ils n'avaleront jamais pareils bêtises.
— Tu serais surprise de ce qu'ils sont capables de croire. Surtout si cela viens de moi. Je suis là plus haute autorité de cette région, ma parole est quasiment loi.
— Oui mais quel ennemi allez-vous accuser ? Il y a vraiment des gens pour essayer de s'en prendre à vous ?
— Premièrement, quand nous sommes seules, tu peux me tutoyer. Deuxièmement... Il y a des gens qui n'apprécient guère de me voir occuper un poste de cette importance.
« Elle minimise le problème. »
« J'avais compris. »
« Il semblerait qu'on s'en sorte. »
« Je te redirais ça quand on sera sortit d'ici et qu'on saura exactement ce qu'il nous attend. »
« Hm, il faudra que nous discutions de quelques petites choses que j'ai découvertes pendant que tu comatais. »
L'interrogation dans ma tête se dessina clairement mais il n'y répondit pas. Mon silence prolongé n'était pas passé inaperçu aux oreilles de la magicienne qui passa une main dans mes cheveux.
— Ne t'inquiète pas de ça, entre les murs de l'Abbaye, ni toi ni moi ne risquons quoi que ce soit.
J'hochai la tête et la reposa sur son épaule.
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L'Âme du Cavalier Rouge
FantasíaSur le continent de Gardif, les noms ont un pouvoir. Personne ne connaît le mien, depuis que ma famille est morte. Je vis dans la rue avec pour seule compagnie la voix dans ma tête. C'est à se demander si tout ceci ne m'a pas rendue un peu folle. E...