Partie 1

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« Je t'avais dit que c'était pas une bonne idée. »

— La ferme !

« Ils nous rattrapent. »

— Putain, mais la ferme !

La voix avait raison, les bruits de bottes se rapprochaient. Je devais trouver une solution. Autre que courir dans le noir sans aucun objectif.

Clac.

Un bruit sourd, une douleur qui résonna de ma cheville jusqu'à ma hanche. Un cri m'échappa et je m'écroulai, étalée dans la boue. L'idée de me relever me traversa, mais je savais que je n'y arriverais pas.

« Entorse, voir pire. »

— Merci, j'avais pas remarqué, grognai-je.

« Ils vont arriver et on sera fichus. »

— Je serais foutue, tu veux dire, toi, tu n'existes même pas.

« Toujours aussi peu de considération pour moi. »

— Parce que tu en as pour moi ?

« J'ai essayé de t'aider, mais tu ne veux pas. »

— Parce que tu n'as que des idées stupides ! Hors de question que je m'embarque dans un voyage à travers la moitié du continent alors que je crève la dalle !

« Mais maintenant on est fichu, ils sont là. »

Je levai les yeux sur les ombres qui m'entouraient. Quatre silhouettes cuirassées à l'aspect peu amène.

— Cette fois-ci, tu te sauveras pas, morveuse ! C'était ton dernier coup ! ricana l'un des gardes.

— Putain, dire que ça fait des mois qu'on court après... après ça ! râla un autre en me poussant du bout de sa botte.

— Ouais, aller debout, on a suffisamment perdu de temps avec toi, continua un troisième.

Le quatrième me saisit sous les côtes et me remit debout. Je grognai, gardai l'équilibre sur mon pied valide pendant une demie seconde avant de retomber au sol.

— 'tain, tu te fous de nous ? Lève-toi !

Deuxième tentative, deuxième échec.

— Peut pas, articulai-je.

— Qu'est-ce t'as dit ?

— Peut pas marcher ! répétai-je plus fort.

— Tu courrais comme un lièvre y'a pas deux minutes, morveuse, arrête de te foutre de nous.
— Au cas où vous ne l'auriez pas remarqué, j'étais rétamée par terre quand vous m'avez rattrapée, ironisais-je. Je me suis probablement fait une entorse à la cheville en courant.

— Tu fais chier, franchement. Hal, embarque-la.

— Pourquoi moi ? protesta le concerné.

— Parce que je donne les ordres, couille de poney !

Après une série de grommèlement incompréhensibles, le soldat Hal me saisit à la taille et me chargea sur son épaule tel un sac de patates. Je serrai les dents pour ne pas gémir.

Me voilà donc transportée sans ménagement à travers les ruelles sombres et mal famées de Égaris. Il ne fallut qu'une dizaine de minutes aux soldats pour quitter le quartier gris et entrer dans la première enceinte. En deux temps, trois mouvements, me voilà jetée sur un sol dur et froid, mais sec.

— Au moins, tu pourras pas bouger d'ici, ricana le gardien en claquant la porte de la cellule.

« Merveilleux, nous voilà en prison sans espoir d'échappatoire »

— Il fallait bien que l'histoire se termine un jour, répliquai-je. De toute façon, j'entendais des voix, j'étais déjà foutue.

« Tu entends d'autres voix que la mienne ? »

— Nan, tu es suffisamment casse-couille à toi tout seul.

« Comme si j'avais demandé à partager ma conscience avec toi. »

La présence de mon invité indésirable s'effaça et me laissa seule. Je savais que je l'avais vexé, ou choqué mais je commençais à le connaître, et je savais qu'il reviendrait, plus tôt que tard.
Je me tournais sur le dos et m'assit. Un regard sur ma cheville suffit, malgré le peu de lumière, à me faire comprendre que cette fois-ci, j'étais cuite. Pas moyen de m'échapper si j'étais incapable de m'appuyer sur ma jambe. Je réalisai soudain que je n'en avais probablement plus pour très longtemps. Ça faisait des mois que je volais tout et n'importe quoi dans les marchés de la première enceinte. Les gardes de la cité m'ont poursuivie plus de fois que je ne peux me rappeler, et pour les gens comme moi, il n'y a ni amende, ni jugement. Plutôt une pendaison haute et courte en place publique avec une dizaine d'autres de mes congénères.

— Et sous la lumière implacable du soleil, se tient le cavalier rouge. Son épée pointée devant lui, il défie ses adversaires. « Venez valser avec la mort et voir la fin de votre vie car il n'y a pas sur cette Terre de place pour les créatures impies ».

Je pivotai, alarmée par la présence que je n'avais jusque ici pas remarqué. Mon colocataire avait la quarantaine, ses vêtements étaient dans un état pire que les miens, ce qui n'était pas peu dire. Il était appuyé sur le mur du fond. Ses cheveux filasses masquaient à moitié des yeux d'une incroyable couleur. Ils étaient bleus, aussi bleu que le ciel pendant les chaleurs d'été et ils me transperçaient.

— Pourquoi tu déblatères des âneries de prêtres, demandais-je aussitôt.

— Parce que c'est très adapté à notre situation, tu ne trouves pas ? répliqua-t-il.

— Je vois mal le rapport, grognai-je.

— Nous sommes les créatures impies...

— Je vois pas comment un cavalier sensé vivre il y a dix siècles puisse venir nous massacrer avec son épée magique...

— Oh lui non, mais la justice divine exercée par le bras du bourreau viendra nous prendre.

Très bien, j'allais donc passer les derniers instants de ma vie avec un mendiant à moitié fou, puisque la voix ne semblait pas vouloir revenir. À l'aide de mes mains, je me déplaçai lentement jusqu'au mur le plus proche et m'appuyai dessus. Ma cheville me lançait de plus en plus et je grimaçai malgré moi.

— Eh, je m'étonnais qu'ils aient attrapé une jeune comme toi, mais tu es blessée, hm ? interrogea mon compagnon.

— Ouais, les pavés du quartier gris sont vraiment pas réguliers.

L'homme hocha la tête. Il était peut être plus sain d'esprit que je ne le pensais.

— Je m'appelle Pog, reprit-il.

— Or, répondis-je.

L'Âme du Cavalier RougeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant