« Mauvaise idée. »
« C'est toi qui me bloque ? »
« Hm. »
« Eh ! Mais laisse-moi lui donner un leçon ! »
« Non. »
— Lâche-là, Danick.
— Eh ! Prononce-pas mon nom devant elle ! protesta le concernée.
Il me lâcha pour se tourner vers le nouvel arrivant. Pour faire bonne mesure, je me laissai tomber au sol.
— Elle risque pas de s'en servir, elle est muette. Si tu écoutais ce qu'on te dit, tu le saurais, râla mon sauveur, dont je ne voyais que les pieds.
— Elle est encore plus inutile qu'on le pensait, se moqua le compagnon de Danick.
Il me jeta un regard d'en haut, grogna.
— Laissez tomber, les gars, poursuivit mon sauveur. Croyez-moi, tout le monde fait beaucoup de bruit pour rien.
Sur plusieurs bruits dédaigneux et autres paroles agréables, les deux fauteurs de trouble s'éloignèrent.
— Ça va tiote ? m'interrogea mon sauveur.
Je relevai les yeux pour croiser deux iris couleur de ciel d'orage et une main tendue. J'agrippai son poignet et le laissai me remettre sur mes pieds. Il était plus vieux, la vingtaine, la peau trop mate pour être originaire d'ici et des cheveux sombres.
— Faut pas faire trop attention à eux, ils ne sont pas méchants, juste crétins, continua le jeune homme, un rictus amusé aux lèvres. Mais bon, tu devrais pas rester trop longtemps loin de Gilda, y'a des gens ici qui risquent de te mener la vie dure.
Je l'interrogeai du regard mais il m'ébouriffa les cheveux d'un geste distrait.
— Je vois que vous faites connaissance, constata Gilda.
Elle posa deux plateaux sur la table avant de se tourner vers nous.
— Tu devrais mieux veiller sur ta protégé, Gilda, elle vient de faire la connaissance de Danick et Folhok.
Les yeux de la jeune femme s'agrandirent et elle s'approcha de moi.
— Ils ne t'ont pas fait de mal, n'est ce pas ? s'inquiéta-t-elle.
Elle posa une main sur mon épaule et je me raidis mais secouai négativement la tête.
— Je suis arrivé à temps pour lui éviter des ennuis, la rassura-t-il.
Gilda soupira et sa main se logea entre mes omoplates dans un geste qui se voulait apaisant.
— Merci, Cal. On va faire plus attention.
Le jeune homme approuva du menton et s'éloigna. Ma tutrice m'installa à ma place et prit une chaise près de moi. Je jetai un œil au plateau devant moi, stupéfaite de la quantité de nourriture. Du pain et des légumes en quantité et même une belle tranche de viande garnissaient mon assiette et un ramequin de ce qui me semblait être des fruits coupés en dés attendaient sur le côté.
Gilda rit devant mon air affamé avant de me saisir les poignets.
— Tu manges lentement et avec tes couverts, d'accord ? Tu sais t'en servir ?
Je soufflai et hochai la tête. Je n'avais pas utilisé d'ustensiles pour manger depuis un moment, mais je savais comment faire. J'attaquai mon assiette avec appétit sous l'œil vigilant de ma tutrice. Quand elle vit que je me servais bien de mes couverts, elle commença à manger. Son assiette était plus remplie que la mienne et je me souvins de quelque chose qu'elle avait dit à propos de réhabituer mon estomac à absorber plus de nourriture petit à petit.
Les couverts m'aidaient à manger à une vitesse raisonnable mais ça ne m'empêcha pas de finir mon plat bien avant elle. Je m'employai ensuite à vider la coupelle de fruits sans comprendre d'où ils pouvaient venir vu la saison. Le repas terminé, j'accompagnai ma tutrice pour ramener les plateaux et elle m'entraîna à sa suite dans les couloirs. Nous passâmes à la laverie, à la blanchisserie et d'autres endroits de cette immense bâtisse pour récupérer toutes les fournitures nécessaires à ma nouvelle vie ici.
Je me couchai exténuée, les jambes molles et l'esprit brumeux. J'avais tellement de choses à apprendre sur mon nouvel environnement que cela me semblait impossible. Durant la nuit, je rêvais d'un cavalier qui galopait au clair de Lune.
Les jours se suivirent, puis les semaines. Je ne tardai pas à m'adapter à ma nouvelle routine. Gilda me réveillait à la demie de la septième heure, nous allions nous laver puis manger. Je passais ma matinée à apprendre à lire et à écrire puis, après le repas de midi, nous exécutions les tâches qui nous étaient assignées. Ménage, lessive, cuisine ou jardinage devinrent bientôt des corvées familières. Le soir, tandis que la neige tombait dehors, je me surprenais à griffonner sur les pages vierges de mes cahiers ou à tenter de déchiffrer le livre de contes que ma tutrice m'avait offert. Je savais que tôt le matin et tard le soir, Gilda se rendait à des services religieux, mais elle ne m'obligeait pas à y assister en revanche, elle m'emmenait à celui du dernier jour de la semaine, de bonne heure le matin.
J'appris lentement mais sûrement les codes de ma nouvelle maison. À l'Abbaye, presque trois cents âmes vivaient sous l'œil bienveillant de la Déesse et de ses Héros, la plupart maîtrisant les bases de la magie, souvent curative. Me repérer dans l'immense bâtiment, ou plutôt les bâtiments, devint plus simple au fur et à mesure que je prêtais moins attention au décor et plus à la direction que j'empruntai aussi étrange que cela puisse paraître, je commençai à m'habituer au luxe dans lequel je vivais. La serre se transforma vite en mon endroit préféré. J'aimais y travailler et prendre soin des fruits et légumes que je retrouvais ensuite dans mon assiette. Gilda s'en aperçut et me confia qu'elle aimait aussi le lieu.
La voix se fit discrète pendant ces semaines. Je sentais sa présence, comme un regard par dessus mon épaule. Nous échangions surtout le soir, avant que je ne m'endorme. Je commençais à apprécier son humour et son caractère, bien plus aimables depuis que nous marchions dans la direction qui l'intéressait. Pour une raison inconnue, elle voulait se tenir à distance de ma tutrice.
Nous vivions toutes les deux à l'écart des autres. Nous les côtoyions sans les fréquenter. Gilda avait bien sûr des connaissances et des amis dans les gens qui vivaient avec nous, mais elle semblait les tenir à distance de moi. C'est d'ailleurs une des premières longues phrases que j'écrivis sur mon ardoise, alors qu'une tempête de neige soufflait à l'extérieur :
« Pourquoi les autre ne vive pas avec nous ? »
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L'Âme du Cavalier Rouge
FantasySur le continent de Gardif, les noms ont un pouvoir. Personne ne connaît le mien, depuis que ma famille est morte. Je vis dans la rue avec pour seule compagnie la voix dans ma tête. C'est à se demander si tout ceci ne m'a pas rendue un peu folle. E...