Chapitre 23

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Coucou toi ! Avant de commencer ce chapitre, je t'invite à aller jeter un coup d'œil à mon nouveau roman : Aveuglément. Mafia, amour, handicap, suspens, guerre seront au rendez-vous !

Je ne t'embête pas plus, bonne lecture ! ;)

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— T’as une sale tête, petite ? Tu te sens bien ? me demande le coach entre deux conseils hurlés à son équipe.

D’abord étonnée qu’il se préoccupe de mon sort, ça me fait chaud au cœur qu’il ait remarqué mon mal-être. Il m’aurait certainement ignoré il y a quelques semaines. Si l’on enlève le fait que je n’ai quasiment pas dormi de la nuit — ajoutant de la fatigue à mes deux derniers jours mouvementés —, tout va bien. Pur optimisme. Je ne sais plus comment me comporter avec lui. Parfois, j’ai cette envie de balancer le professionnalisme aux oubliettes.
 
Lavé de ses « péché » par la vérité, il me semble être un homme bien qui n’a pas eu beaucoup de chance dans la vie. On pourrait penser le contraire : il fut sportif de renom et il est aujourd’hui l’entraîneur d’une des meilleures équipes de hockey d’Amérique ! Beaucoup pourraient l’envier. Néanmoins, comme on le dit souvent, l’argent et la célébrité n’apportent pas le bonheur. Aussi le coach a-t-il vraiment été heureux dans sa vie ? Peu d’amis, pas de famille, acharnement professionnel… je ne le crois pas.
 
— Oui, oui… Au fait, je n’ai pas eu l’occasion de vous remercier pour l’autre fois, alors…
 
— Ce n’est rien ; me coupe-t-il.
 
Pendant un moment, le bruit des patins qui cisaillent la glace comble le silence. Archibald se montre plus redoutable qu’une bête sauvage, si bien qu’Andrew l’a enjoint à se calmer à plusieurs reprises et à réserver cette « belle énergie » pour les Buffalos, qu’ils doivent affronter cette semaine. Je ne suis pas étrangère à sa colère.
 
— Pour être honnête tu m’as surpris… ça faisait bien longtemps qu’on ne m’avait pas foutu les jetons de la sorte ; rit-il.
 
Étonnée, je le vois exprimer un pur amusement en public. Lui qui est habituellement si imperméable et inaccessible, surtout pendant l’entraînement.
 
— Comment saviez-vous que c’était une crise de panique ?
 
Avec le recul, la question m’est venue à l’esprit. Nombreuses sont les personnes qui les méconnaissent et les confondent avec des crises d’asthme ou encore de l’épilepsie ; bien différentes.
 
— Elles sont fréquentes dans mon milieu… L’angoisse, la pression, la performance coûte que coûte. Il m’est arrivé de ramasser certains de mes coéquipiers qui en faisaient et j’avoue que j’en ai aussi vécu une ou deux.
 
C’est logique, comme garder constamment son calme quand on est athlète à un tel niveau ? Ce doit être affreusement difficile. J’ai donc un point en commun avec lui. Je me sens moins… éloignée.
 
— Et merde, grogne-t-il en s’élançant sur la piste.
 
Au loin, une bagarre a éclaté. Les Tigers agglutinés autour ne me laissent pas l’occasion de voir qui sont les opposants. Cependant, des cris, des insultes et des bruits de patins explosent dans les airs. Sur le terrain, c’est la guerre. Qu’a-t-il bien pu se passer ? J’ai détourné le regard cinq secondes et en instant la situation a dérapé. À grand renfort de réprimandes qui raisonnent dans la patinoire, les autres joueurs tentent de séparer les deux assaillants, ce qui est d’être une mince affaire sur la glace.
 
— King, Madox, ça suffit !
 
Archibald et Rony… je ne suis qu’à moitié surprise. Ces deux-là ne peuvent pas se supporter. En moi, j’ai l’intime conviction que Rony l’a cherché, le colosse est fort, mais pas violent. Il ne l’aurait pas attaqué sans raison valable. Après quelques instants de lutte, les deux adversaires sont maîtrisés.
 
— Madox aux vestiaires, tu rentres chez toi !
 
En un instant, furieux et crachant un filet de sang sur la piste, le joueur sort du terrain et part.
 
— Quant à toi ; King, ce n’est pas l’exemple que devrait donner un capitaine ! Julia, emmène-le à l’infirmerie ; s’exclame le coach.
 
Super… pourquoi moi ? Peut-être parce que je suis l’assistante... merde ! Encore tendu, à ma hauteur il me lance un bref coup d’œil qui ne me dit rien qui vaille. Silencieux, il reprend sa route d’une démarche ferme qui semble signifier : « tu me suis, et t’as plutôt intérêt d’obéir ». Ce que je fais.
 
Seule avec lui, loin de tous et des regards, je sens une appréhension croître. Ce que je redoutais et évitais avec tant de minutie va se produire : la confrontation. Je ne sais pas ce que nous allons bien pouvoir nous dire. Enfin, dans son cas j’ai une petite idée, il est furieux et a grand besoin de se défouler.
 
Il évolue dans le couloir plus muet qu’une carpe. Je suis stupéfaite. Pas de reproches, de cris ? Rien ? Est-il courroucé au point de ne plus vouloir m’adresser la parole ? Qu’il n’accepte pas le fait que je sois partie comme une voleuse est naturel. Ce n’était pas correct… Toutefois, nous ne nous sommes rien promis.
 
D’un geste vif, il enlève le casque qui lui protégeait le visage. Une inquiétude fait surface. A-t-il mal quelque part ? Il va si vite qu’il m’est impossible de voir toute éventuelle blessure. Une image de son corps en train de se battre comme un lion sur la glace me revient. J’ai eu peur. Il faut être honnête. Avec des lames aussi affûtées que celle de leurs patins, Archibald aurait pu prendre un coup terrible, voire fatal…
 
— Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
 
Il s’immobilise instantanément et je heurte son dos, je viens sans doute de poser la question qui fera tout exploser. Ça m’est égal. Je n’y tiens plus, je veux connaître la raison d’un tel déchaînement de violence. Ce n’est pas uniquement le fruit de leur rivalité sportive. Cela fait des mois qu’ils parviennent à se détester cordialement, alors pourquoi ça a pété MAINTENANT ?
 
— Et toi, Julia… il siffle, contenu. Je peux savoir ce qui t’arrive ?
 
Bonne question. Actuellement, c’est juste le gros bordel dans ma tête. En quelques jours, j’ai enduré un condensé d’aventures et de mésaventures éprouvant.
 
Il fait volte-face, sévère. Sa lèvre inférieure. C’est elle qui est meurtrie et je me sens affreusement coupable. C’est de ma faute. Toute cette histoire a pris forme par mes mauvaises actions consécutives : bilan ma mère et moi sommes brouillées, je ne sais plus comment m’en sortir avec mon père et Archibald est blessé.
 
Mes yeux piquent. Non, pitié ! Tout, mais pas ça… Il ne manquerait plus que je pleure devant lui pour toucher le fond. Je suis une femme forte. J’étais préparé à ce que je m’apprêtais à vivre, je ne devrais pas être faible. J’ai peut-être atteint ma limite. Archibald observe autour de lui, et en un rien de temps nous nous retrouvons dans une pièce minuscule et mal éclairée par une ampoule vacillante, à l’abri des regards.
 
À l’étroit, j’ose à peine respirer de peur que le gonflement de ma poitrine n’entre en contact avec son propre buste. Dans un lieu si étriqué, sans issues, le moindre toucher pourrait être périlleux. Dans cet endroit exigu, l’odeur de son parfum mêlé à sa transpiration manque de me faire tourner la tête. Je retrouve la senteur qui m’a enveloppé quand il m’a pris dans sa chambre… Mon cœur bat plus vite, rester enfermée avec lui est une très mauvaise idée… Ça revient à présenter une cigarette à un individu en sevrage, le risque de rechute est puissant. Mon addiction c’est Archibald… Je ne contrôle rien avec lui. Déterminée, je pousse la porte, mais il l’empêche de s’ouvrir en appuyant de tout son poids sur cette dernière. Il est aussi obstiné que je le suis. Voilà, qui fait des étincelles !
 
— Je veux sortir, Archibald !
 
— Non, il faut qu’on parle. Pourquoi tu es partie Julia ?
 
— J’en sais rien, laisse-moi tranquille.
 
Il éclate devant ma lâcheté.
 
— Bordel Julia ! Et si pour une fois tu arrêtais de fuir ? Putain, j’étais fou d’inquiétude jusqu’à ce que je trouve ton foutu petit mot « j’y vais, c’était chouette », et que Percy me dise que t’avais déguerpi comme une furie avec ta pote ! J’avais peur qu’il ne te soit arrivé quelque chose ! Tu imagines, je me réveille et tu as disparu ! Je t’ai laissé des dizaines de messages, je t’ai appelé je ne sais combien de fois, malgré ça aucun signe de vie ! Puis Andrew nous informe que tu poses un jour de congé ! Enfin Julia, coucher avec moi était si terrible ? Tu ne peux pas simplement admettre que l’on se plaît !
 
C’était un cri du cœur qui ne peut être ignoré. C’est ce qu’il a ressenti ? Je m’en veux beaucoup, il s’inquiétait et même pas il m’est venu à l’esprit, de le rassurer. Pour être honnête, je ne pensais pas que ce fut autre chose que son ego qui se manifestait par ses multiples tentatives pour me contacter. Je suis déplorable, mon cœur se serre. Je me sens mal de l’avoir fait souffrir.
 
— Je suis désolée, j’ai paniqué. Je ne savais pas quoi faire. Et non, coucher avec toi était loin d’être terrible, j’ai juste… eu un problème.
 
OK, on est loin de l’explication la plus rassurante, j’en ai conscience… J’aimerais vraiment pouvoir lui en dire plus, l’apaiser, car il ne mérite pas ce que je lui fais endurer. Cependant, j’ai peur de me dévoiler. Sincèrement désolée, je me passe une main sur le front, accablée. Ses sourcils se froncent et je vois naître dans ses iris une lueur d’inquiétude. Comme lors de la soirée, il fait preuve de douceur et me soulève par la taille pour me poser sur un petit meuble du cagibi. Puis il empoigne mes deux paumes et les tourne dans tous les sens pour les inspecter sous la lumière.
 
— Que t’est-il arrivé ?
 
Les coups que j’ai donnés dans mon volant ont laissé des ecchymoses et de multiples plaies sur mes mains. J’étais si bouleversée que j’ai tapé comme je ne l’avais jamais fait auparavant. L’altercation que j’ai eue il y a peu : les chevaux qui hennissent, les chiens qui hurlent et aboient, ma mère en pleure courant derrière ma voiture jusqu’à ce que je la sème. Quel souvenir chaotique ! Prestement, j’essuie les perles de tristesses qui se sont accumulées aux coins de mes globes oculaires. C’est encore frais et douloureux.
 
— Qui t’a fait ça, Juliana ?
 
Absorbé dans mes pensées, je lui ai laissé le temps de s’inquiéter. Il exulte de rage. S’il vient de se battre à en avoir la lèvre coupée en deux, il est paré à en découdre une seconde fois pour me défendre, laver mon honneur. Furibond, je ne l’ai jamais vu ainsi. Pourtant ce n’est pas faute de l’avoir fait sortir de ses gonds ! Qu’a-t-il imaginé ? Le pire. Croit-il que l’on m’ait… Je n’ose même pas y penser. Attendrie par sa réaction protectrice, ma main se pose avec douceur sur sa joue que je caresse de mon pouce. Comment ne rien ressentir ? Se rend-il compte d’à quel point il est attachant ?
 
— Ce n’est rien, je me suis fait ça toute seule.
 
Au lieu de le calmer, ma réponse produit tout l’inverse.
 
— Ne me prends pas pour un idiot, s’il te plaît. Tu peux me dire qui t’a fait ça, tu n’as pas à avoir honte, chérie…
 
Cette douceur… Putain de merde, il me rend la tâche si complexe. Abattue, ma tête par en avant et bute contre son torse qui me sert d’appuis. Dans cette posture, je peux entendre les battements agités de son cœur. À mes yeux, rien n’est plus révélateur que cet organe : son emportement et son tracas sont sincères. Le séducteur et sur le banc de touche. Avec ce Archibald-là, je peux me montrer plus douce et baisser ma garde. Ma main se pose sur son bras droit que je caresse avec bienveillance. Parfois, les actes ont plus de valeur que mille mots.
 
— Je te promets que je me suis fait ça moi-même, fais moi confiance.
 
— Comment ?
 
Il est sceptique. Souvent, les femmes victimes d’une mésaventure dans le goût de celles qu’il doit visualiser se terrent dans le silence.
 
— En tapant sur le volant de ma voiture.
 
Un soupir traverse sa poitrine…
 
— Mais enfin, pourquoi tu as fait ça ?
 
— Je ne peux pas te le dire.
 
Il se tait un instant.
 
— C’est donc à cause de ton fameux secret.
 
Je repense à la séance de patinage que lui et moi avons eu. Ce soir-là, il avait promis de me démasquer et j’avais eu peur. Aussi lui dire de telles choses est-il judicieux ? Je l’ignore, tout ce qui dicte ma conduite est cette confiance que je place en lui. Depuis que nous avons partagé le même lit, tout a changé. Nous sommes plus proches.
 
— Promets-moi de ne rien dire et de ne pas chercher, s’il te plaît…
 
Pas un bruit, pas un geste. Ce qui se joue est primordial, d’une importance extrême. Ce n’est pas une simple conversation, ce n’est pas une anodine requête, c’est un tournant. Et mon cœur en attente le sait également. Je suis pendu à ses lèvres.
 
— Cela fait bien longtemps que le fait de te nuire est exclu de mes options. Je n’en ai même jamais eu l’intention.
 
Comment décrire ce que j’éprouve ? Une forme confuse, diverse, un véritable cocktail qui m’apaise et fait s’évanouir une grosse partie de ma peine. Son honnêteté me coupe l’herbe sous le pied, c’est l’authentique Archibald qui a parlé. Celui-ci est bien plus redoutable que le séducteur, car de lui on peut tomber amoureuse.
 
— Pourquoi tu es partie, Julia ? souffle-t-il.
 
— Parce que j’avais peur que ça se reproduise… Il vaut mieux prendre nos distances.
 
Il reçoit cette nouvelle comme un uppercut dans l’abdomen, plus impactant encore que les coups de Rony.
 
— Mais enfin Julia, j’ai bien compris que ce travail comptait pour toi ! On pourrait être discrets…
 
Il le pensait vraiment quand il disait qu’entre nous ce n’était pas un plan cul sans lendemain ?
 
— Je ne veux pas prendre le risque que ça se sache.
 
— Le jeu n’en vaut pas la chandelle ?
 
Dans toute autre circonstance, j’aurais affirmé « oui ».
 
— Pas cette fois…
 
Je l’ai blessé, ça me détruit. Je le cache, mais je souffre. Il doit croire que je privilégie un boulot d’assistante à notre relation. C’est tellement plus compliqué…
 
— Encore ton secret n’est-ce pas ? demande-t-il, perspicace.
 
Sa question me torture, je ne me sens pas la force de lui dire toute la vérité, j’ai peur des répercussions. Je suis une lâche.
 
— Ne pourrais-tu pas simplement te contenter de la nuit que nous avons passé ensemble ?
 
J’espère détourner son attention, que ça lui suffira !
 
— Bordel, Julia, tu ne comprends pas ? Tu m’obsèdes, je te veux dans mon lit tout le temps, je ne me lasse pas. Je refuse de renoncer à toi, gronde-t-il en s’approchant.
 
La force dont j’use pour le repousser est inimaginable. Personne ne m’avait jamais parlé de cette désarmante manière. Tout comme moi, il est accro. Qui est-ce que je crois berner ? Lui demander si une nuit ne lui suffit pas alors que j’ai moi-même une folle envie de l’embrasser…
 
— Il le faut pourtant, ne rend pas la chose plus difficile… oublis-moi.
 
Il s’agit des mots les plus affligeants que je n’ai jamais prononcés. Je ne pensais pas que ça puisse être aussi douloureux. Il est véritablement peiné. Je viens de le rembarrer sans délicatesse alors qu’il se mettait au nu, honnête. Si j’écoutais mes envies, je le serrerais dans mes bras.
 
— Très bien Julia, tu l’auras voulu.
 
Touché, il fait tout pour le cacher. Malheureusement, je commence à le connaître, à percevoir ce qu’il pense réellement. Sans attendre, il sort et me laisse. Dans le silence et l’obscurité, livrée à moi-même, je tombe à genou, les mains recouvrant mon visage. J’ai l’impression d’avoir fait une terrible erreur. Un vide m’envahit… comme si un élément venait de se briser en moi, semant un champ de désolation dans ma poitrine. J’ignore ce dont il s’agit.
 
— Ma pauvre fille…

King of IceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant