Seuls contre tous (JIKOOK)

13 - Jimin

Lorsque je me réveille, j'ai l'espoir que tout n'était qu'un lointain cauchemar. En vain. Je suis toujours allongé sur la moquette du salon. Jungkook, lui, est assis près de moi. Son regard est perdu dans le vide, son visage m'apparaît de profil. Mon regard glisse sur ses lèvres entrouvertes et je me rappelle subitement que nous nous sommes embrassés. 

Parce que j'ai eu peur qu'il soit mordu, parce qu'il était si reconnaissant que je l'aie sauvé, parce que partager cette chaleur humaine nous permettait de tenir... parce que l'on en avait envie. 

Je me mords les lèvres distraitement. Je ne me demande pas si j'aimerais bien recommencer, la réponse est oui sans hésiter. Je me demande si lui, a vraiment aimé. S'il voudrait encore m'embrasser. 

Jungkook constate que je suis réveillé et se tourne vers moi. Il me sourit, de ses belles dents blanches que j'admire. Je me dis que si j'avais à me faire mordre un jour, ce ne serait pas par un zombie, mais par lui. Puis je refoule mes pensées, déstabilisé par ces émotions nouvelles qui m'animent. 

Nous nous regardons. Ni lui ni moi n'osons parler de ce qu'il s'est passé. Nous n'évoquons pas non plus ce baiser accidentel. Je me demande s'il a vraiment eu lieu. Je me dis que dire les choses nous aiderait peut-être à accepter les horreurs que nous avons vécues. Mais ni lui ni moi ne voulons les évoquer. Les traces de sang qui maculent à nouveau le tapis parlent pour nous. 

Je ne sais pas si nous pourrons endurer une nouvelle attaque. Le pire, c'était le regard de cette fille, que l'on a dû poignarder. Que Jungkook a dû poignarder. Car je n'ai pas pu. C'était tout simplement trop. 

J'essaie de faire le vide dans mes songes. Je vois le manche à balai abandonné dans un coin. En fait, il y a toujours un détail pour me ramener à ces images douloureuses. Je n'ai plus d'appartement. Cet endroit n'est plus mon chez moi. Je voudrais partir d'ici. Je voudrais prendre Jungkook par la main, et l'emmener loin. Mais je sais que peut importe où l'on pourrait aller, les souvenirs seraient toujours là. 

Il va falloir vivre avec. L'on dit que le temps apaise les maux. Mais je ne sais pas si nous pourrons rester en vie suffisamment longtemps pour que l'oubli balaye ma peine. 

Jungkook me regarde toujours. Il a un petit rire désabusé, quand il lance :

"Tu sais quel est le pire ?"

Je secoue la tête. Chaque détail qui constitue cet abominable tableau est abject. 

"Le pire, c'est que ces saloperies ont bousillé nos dernières réserves de nourriture, souffle Jungkook."

Je me redresse brusquement. Je constate qu'effectivement, des restes d'aliments écrasés et maculés de sang sont éparpillés un peu partout dans la pièce. Immangeables. 

"Un des zombies a du percuter la table de la cuisine, et les autres ont écrabouillé la bouffe tombée par terre, suppose Jungkook, d'une voix lasse."

J'allais me relever, quand le jeune homme déclare, lisant dans mes pensées :

"Pas la peine de vérifier. J'ai tout inspecté, c'est dégueulasse et gâché. J'ai aussi vérifié si l'électricité, l'eau courante ou le réseau étaient revenus. Mais eux aussi nous ont définitivement abandonnés."

L'heure est grave. Je me surprends à hausser les épaules. Nous avons frôlé la mort... et maintenant on risque de crever de faim. C'est si absurde que je n'ai même pas envie de réagir. 

Nous restons toute l'après-midi à contempler l'appartement désordonné, incapables de faire quoi que ce soit et exténués. Nous nous changeons, essayons d'effacer les traces de sang sur nos bras et nos mains. Nous parvenons par moments à plonger dans un sommeil plus ou moins réparateur. Mais les souvenirs traumatisants reviennent dès que l'on ouvre l'oeil. 

On est piégés ici. 

Je regarde le Soleil sombrer à l'horizon, derrière les feuilles colorées collées sur les fenêtres. Mon estomac gargouille, je l'ignore. Jungkook se rapproche de moi. Je me demande s'il a peur du noir. Déjà la dernière fois, il semblait paniqué à la tombée de la nuit. 

Nous sommes toujours assis sur la moquette du salon. Je m'avance pour enlacer Jungkook par derrière. Il se laisse aller contre mon torse, son dos se détend. Nos cuisses se touchent. Ses cheveux me chatouillent le visage. Mes bras enlacent son ventre, je sens ses abdos se contracter à mon toucher, puis ses mains se glisser dans les miennes. Son ventre se soulève calmement à chaque respiration. Le jeune homme paraît apaisé. J'appuie ma joue contre la sienne, timidement. 

Jungkook respire plus profondément, ses doigts caressent un moment les miens. Puis je les sens retomber. Je crois qu'il s'est endormi. 

Je rêve qu'il pleut, que Jungkook et moi dansons sous le ciel nuageux, que tous les zombies sont partis. Je rêve que Jungkook m'embrasse en riant. Je me réveille avec un sursaut. Jungkook est allongé près de moi, sur le côté, la tête enfouie dans les bras. Il dort encore. 

Je cligne des yeux, étourdi. Puis je réalise qu'il ne pleuvait pas que dans mon rêve. Ce sont bien des gouttes de pluie que j'entends dehors ! Je me précipite pour secouer Jungkook :

"Jungkook-ah ! Il pleut ! Dépêche-toi, on va récolter l'eau !"

Le garçon marmonne, encore ensommeillé. Il se frotte les yeux, ses cheveux sont tout ébouriffés. Il est adorable. Je me relève pour aller chercher une bassine dans la buanderie, puis j'ouvre la baie vitrée. Je suis un moment ébloui par le ciel orangé du petit matin. Le Soleil, boule dorée suspendue à l'horizon, est magnifique. 

Jungkook s'arrête à la lisière du balcon, des plats et des verres à la main. Je me rappelle que cet endroit reste un traumatisme pour lui. Il inspire profondément, et ose poser un pied sur le balcon. Je souris, fier de lui. Nous ne prenons pas la peine de nous cacher, je sens les gouttes d'eau faiblir déjà. 

Ne serait-ce qu'une averse ?

Je me sens assoiffé, la bruine qui me ruisselle sur le visage me fait un bien fou. Nous posons nos récipients sur la balustrade. Jungkook n'ose pas regarder en bas. Moi non plus. Je lui montre le Soleil au loin. Nous restons concentrés sur la beauté de la nature. 

Les récipients sont à peine remplis qu'il s'arrête déjà de pleuvoir. J'ai un rictus amer. Jungkook se penche pour regarder le contenu de la bassine. Presque vide. Il me tend un des verres avec un sourire timide. Je le remercie d'un hochement de tête et porte le verre à mes lèvres. Les quelques gouttes ne suffisent pas à rafraîchir mon gosier. Jungkook n'a pas l'air satisfait non plus, un autre verre qu'il vient de vider à la main. 

Je hausse les épaules. C'est mieux que rien. Nous vidons les autres récipients. 

Ma bouche est déjà sèche.