Chapitre 4

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De retour à l'excroissance humaine qui pullulait sur la plage, Esther et moi avons retrouvé le type qui m'a demandé d'aller dans les bois en premier lieu, qui s'appelait Ethan.
-Comment ça se passe ici ? S'est enquise Esther.
-On a séparé trois autres bagarres, wooo ! s'est exclamé Ethan, soulignant l'air gamin que lui conféraient son sourire moqueur et son nez en trompette.
Il nous a fait un high-five à toutes les deux. J'ai hésité étant donné que nous ne nous connaissions depuis à peine deux heures, mais après tout, il semblait que nous étions dans la même galère. Esther a répondu à son geste, mais a conservé un air sérieux, comme si elle désapprouvait son attitude.
-On sait où dormir & manger cette nuit, a-t-elle exposé.
-Elle sait, en fait, ai-je corrigé d'une petite voix.
-C'est vrai ? a dit Ethan, visiblement soulagé.
J'ai sorti une des cartes de l'île, qu'Esther a parcouru en pointant du doigt et en énonçant les places dans chaque village. Elle s'est arrêtée à un certain point de la carte, une note rajoutée au stylo.
-Blumenfeld. C'est le nom de l'île ? s'est-elle interrogée.
J'ai regardé l'endroit où était placée l'annotation.
-Non, c'est le nom de l'endroit. Blumenfeld, c'est le champ de fleurs, ai-je défini.
-Comment ça ? a fait Esther.
-En yiddish, qui est une langue parlée en Hollande, Blumenfeld veut dire champ de fleurs.
-Oh, OK. Faudra rajouter la traduction au stylo, a ajouté Esther à la liste de choses à faire.
-Faudra se séparer, a imposé Ethan, on est trop pour tenir dans un seul village.
-Combien ?
-Aux dernière nouvelles, bientôt une centaine. Comment on va faire ça ?
Esther a soupiré et s'est gratté l'arcade sourcilière.
-Laissons les gens se séparer tous seuls et gardons juste deux-trois personnes pour surveiller, ai-je suggéré. De toute façon, on n'est pas une bande de criminels.
-Si t'avais passé la matinée ici, tu n'aurais pas la même opinion, a remarqué Ethan.
-Même, ai-je contré. Qu'est-ce que tu veux qu'on leur dise ? "Oh, Jean-Charles, puisque tu as frappé Mickael et traité Jonasz de naze, tu iras au lit sans manger !" ? Jusqu'à nouvel ordre, on ne peut pas dire grand-chose.
-Je suis d'accord avec elle, a soutenu Esther. Jusqu'à ce qu'on trouve ou élise une autorité supérieure (guillemets en l'air), on ne peut pas faire grand-chose.
Ethan a hésité quelques secondes, puis accepté ma proposition. Esther est partie pour mettre au courant les autres personnes qui essayaient de mettre de l'ordre, dont Melanie. Comme à mon habitude (même si j'étais arrivée ici cinq heures plus tôt), je me suis assise en retrait, et cette fois-çi dans le sable. Ne sachant visiblement pas quoi faire puisque n'ayant aucune personne à enregistrer, Ethan m'a imité et s'est installé à côté de moi ;
-Alors comme ça on parle des langues étrangères, hein ? Moi je sais juste dire bonjour en trois langues. Tu parles quoi ?
-Anglais, néerlandais, yiddish, et ce qu'on apprend à l'école, ai-je listé.
-Comment t'as fait ? C'est ta famille ?
-Oh, c'est une longue histoire.
C'était une longue histoire. Ma mère était d'origine allemande, mon père hollandais, mais les deux habitaient au Pays-Bas (où la langue officielle est le néerlandais). Bam ! Mariage. Bam ! Enfant (moi). Bam ! Adultère et divorce. Ma mère s'est cassée avec moi, et comme elle s'est dit que je n'étais pas assez traumatisée comme ça, elle a obtenu un boulot dans un bled du Maine, Cahill.
Mon père s'est remarié (avec la personne avec laquelle il a trompé ma mère, zéro gêne) et je passe-passais la moitié des vacances chez lui, dans la banlieue d'Amsterdam. Ma mère avait quelqu'un, que je n'ai jamais vu d'ailleurs, et parlait toujours yiddish à la maison.
-Alors, montre-moi comment tu dis bonjour en trois langues, ai-je dit à Ethan pour changer de sujet.
-En anglais ; bonjour, en Espagnol : Holá, et en suédois : Hej.
-Tu sais dire bonjour en suédois ? C'est...improbable.
-J'ai lu ça dans un catalogue IKEA.
J'ai lâché un rire, surprise par sa blague.
-Oui, l'un de mes passe-temps est de lire les catalogues IKEA, a-t-il poursuivi.
-Tu dois avoir pas mal de temps à perdre, ai-je commenté.
-Là, maintenant, tout de suite, non, mais en temps normal, oui.
Une fille qui semblait plus jeune, brune, s'est approchée de nous. Elle saignait de sa lèvre fendue et tremblait, visiblement secouée.
-Qu'est-ce qui se passe ? a soupiré Ethan.
-Graham m'a traité de pétasse et m'a donné un coup de poing, a expliqué la fille.
-OK, tu sais ce que tu va faire ? A conseillé Ethan. Tu vas retourner voir Graham et le frapper aussi fort que possible dans les couilles, histoire de le rendre stérile et de lui faire comprendre qu'il est chiant, à la longue.
Ça a fait sourire la fille. Pas moi.
-Faudrait mieux soigner ça avant, ai-je dit en essayant de dissimuler mon irritation.
-T'as raison, a approuvé la fille. Je ferais mieux d'éviter Graham maintenant qu'il est armé.
Au tour d'Ethan de tiquer, même si je n'avais pas mon lot de surprise non plus. Armé ?
-Comment ça, armé ? a demandé Ethan.
-Il a trouvé des crans d'arrêt dans une des caisses, a expliqué la fille. Il raconte qu'il monte un gang et un Figth club et en donne un à ceux qui le rejoignent.
-Hey, Miss Pacifiste, marmonne Ethan à mon adresse, va falloir m'accompagner, parce que sinon je vais commettre un meurtre.
-Pourquoi pas, ai-je accepté, mais je m'appelle Jana.
Il a souri brièvement, mais le montage d'entreprise de Graham le rendait furieux. Il gardait les dents serrés, ce qui acérait la silhouette de ses mâchoires, et ses yeux marrons brillaient d'une lueur vengeresse.
Préférant prévenir que guérir, je l'ai accompagné à la rencontre avec Graham.

Échoués (FR)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant