Chapitre 8

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J'ai éteint la lumière et inspecté les autres pièces avant de redescendre bredouille. Pas si bredouille que ça, mais j'avais un peu de mal à enregistrer ce qui venait de se passer -ce que je venais de faire ! Quand je suis revenue, Esther s'est tournée vers moi et m'a inspectée de pied en cap.
-Jana ?
-Quoi ?
-Viens là deux secondes, s'il te plaît.
J'ai obéi, et elle a immédiatement saisi mon bras droit, qu'elle a plaqué sur la table. J'ai sursauté. Depuis la paume de ma main jusqu'au dessus du coude, ma peau se nervait de traits de lumière verdâtre, qui s'étendait dans des arabesques brouillonnes, comme des taches d'encre. Esther a approché son index d'un des sillons et l'a touché furtivement, craignant probablement de se brûler.
-OK...a-t-elle soufflé. Ça ne te fait rien ? Ça te fait pas mal ?
-Non, ai-je répondu, perplexe.
-T'es sûre ? Même pas des démangeaisons ?
-Non.
-D'accord. Mettons. Tu peux faire quelque chose avec ?
-C'est-à-dire ?
-Je sais pas. Le faire bouger, l'étendre, le faire disparaître.
À ma connaissance, non, je n'étais pas supposé avoir la capacité de le faire bouger. À ma connaissance, je n'étais pas non plus supposée être capable d'éteindre les lumières sans toucher à un interrupteur. Je n'étais même pas supposée être là.
J'ai donc tenté le coup. Un muscle dont je ne me savais pas détentrice jusque là s'est contracté quelque part entre ma clavicule et mon épaule, et la lumière a commencé à bouger. Elle a battu en retraite via mes veines jusqu'à n'être plus qu'un point à la naissance de ma paume. Je l'ai touchée, assez impressionnée.
-C'était assez classe, en fait, ai-je commenté. C'est une maladie ?
-C'est une mutation, a corrigé Esther. Tu connais un organe humain capable de produire de la lumière ? À moins que l'un de tes ancêtres soie un ver luisant.
-Pas à ma connaissance.
-D'accord. On verra ça plus tard. Tu devrais cacher ça, d'ailleurs, fait-elle en parlant du point de lumière.
Je me suis assise et en ai profité pour remercier le ciel d'avoir été en présence d'Esther sur ce coup-là. Son esprit scientifique l'a fait agir comme personne d'autres n'aurait réagit, et j'avais eu de la chance que ce genre de choses la fascine. Je ne voulais même pas me faire le mal d'imaginer la réaction des autres.
Me rendant compte rapidement que je ne servais à rien à l'hôtel de ville, j'ai repris ma veste, un cuir qui m'allait parfaitement mais élimé, et suis sortie. On crevait de froid dehors. Il devait maintenant être pas loin d'une heure du matin, et je n'avais pas sommeil. Alors je me promenais dans les rues ordonnées en fixant dès que je le pouvais le point de lumière.
Au détour de deux maisons, j'ai croisé Melanie. Elle était dans la ruelle, en gros pull, et avait placé une dizaine de lampes contre le mur de la maison en face de celui où elle était visiblement en train de peindre. Une fresque, quelque chose du style. Je ne m'y connaissais pas en peinture, mon domainé était plutôt le cinéma.
-Mon Dieu, ai-je dit. Qu'est-ce que t'es en train de faire ?
-Je peins, a-t-elle répondu.
-A une heure du matin ?
-Même plus, si j'en crois ma montre. Et ton bras ?
Instinctivement, j'ai replié mon bras droit contre ma poitrine. Elle a laissé tomber ses pinceaux contre les pavés de la ruelle et me l'a redépliée de force.
-Mais il était tordu ou pété ! Comment tu peux le rebouger ?
-Ca devait juste être un traumatisme passager. Rien de grave.
Elle a commencé à presser plusieurs points semblant stratégiques depuis mon cou jusqu'à mon poignet et s'est arrêtée au point de lumière dans ma paume.
-Et ça, c'est quoi ?
-Tatouage, ai-je hasardé.
-Un tatouage vert ? Je ne l'ai pas vu ce matin.
-Non, ceux à l'encre phosphorescente. C'est quasi-blanc en journée, t'aurais pas pu le remarquer.
Elle a laissé retomber mon bras et s'est écartée d'un geste rapide pour reprendre ses pinceaux. J'ai pris appui contre le mur où étaient posées les lampes et observé de loin ce qu'elle avait commencé.
-Qu'est-ce que tu peins ? Ai-je demandé, n'arrivant pas à identifier son sujet.
-Le champ de fleurs. Je vous ai vu partir ce midi avec Esther et me suis dit que vous aviez sûrement trouvé quelque chose d'intéressant. Pas si intéressant que ça, mais c'est toujours quelque chose à faire de trouvé. J'ai trouvé la peinture dans une des caves.
Elle désigne du pinceau une batterie de pots de la taille de conserves. Je me fige à son geste.
Melanie a elle aussi un point au creux de la paume.

Échoués (FR)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant