Chapitre 11

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J'ai repoussé la carte devant moi et me suis rassise, ayant besoin de me calmer un peu.
-Melanie y est passée peu après nous, ai-je rajouté.
-Ça a du sens , a approuvé Esther. Et ça explique en partie l'annotation.
Elle a posé son bol de chili, a basculé un peu plus en arrière et a rangé une mèche de cheveux roux derrière son oreille, visiblement stimulée par cette nouvelle découverte.
-Mais c'est un champ de fleurs, a dit Ethan. Les fleurs c'est bien et tout, mais je vois pas comment ça peut faire muter les gens.
-Probablement un gaz qu'elle dégagent dans l'air, ou au contact, a expliqué Esther.
-D'accord. Et on a un moyen de l'interdire au public ?
-Pourquoi faire ? C'est vachement intéressant scientifiquement.
J'ai commencé à m'inquiéter de la vision qu'elle avait de la situation. D'accord, tout ça était cool scientifiquement, les concepts d'extensions humaines, et tout ces trucs, mais ça pouvait commencer à poser des problèmes par rapport à ce qu'on avait à la base.
D'après elle, nous étions seulement en train de débuter notre mutation, et Dieu savait ce qui pouvait bien nous attendre après la lumière et la glace. Il suffisait, je sais pas moi, que quelqu'un devienne capable de faire apparaître des Snickers alors qu'il a une allergie aux fruits à coque, et tout risquait de dégénerer.
Sans parler des questions que ça soulevait à propos de notre humanité. Si on était vraiment en train d'être modifiés génétiquement, est-ce que ça faisait toujours de nous des humains ? Ou bien des OGM sur pattes ? Je me souvenais pas avoir signé pour une crise existentielle. Je ne me souvenais pas avoir signé pour quoi que ça soie, de toute façon.
-Aussi intéressant que ça soie, je...
-Il ne veut pas que la bande à Graham mute, ai-je coupé.
Il m'a jeté un coup d'oeil suspicieux.
-Non, je ne lis pas dans tes pensées, l'ai-je rassuré. Tout va bien.
-Oui, c'est vrai que ce serait assez fâcheux, a commenté Esther.
-La télépathie ou le pseudo-gang qui mute ? ai-je demandé, déconcertée.
-Les deux, a répondu Ethan à sa place. Il faudrait qu'on trouve un truc assez terrifiant à raconter pour que les gens ne veulent pas s'y rendre.
-Ça va pas marcher, ai-je dit. Les gens sont cons et prêts à faire n'importe quoi pour le prouver.
Plus les heures passaient et plus la pétasse sarcastique en moi ressortait.
-Et qu'est-ce qu'on fait alors ? a demandé Ethan, blasé par mes remarques.
-On pourrait combattre le mal par le mal, a proposé Esther. Laisser les gens muter à leur guise et botter le cul de Graham avec si jamais il vient jouer les méchants.
Ethan a soupiré et rejeté la tête en arrière. Ça faisait beaucoup de questions de management pour un horaire aussi avancé que celui-çi. Et ca devenait encore pire lorsque que je me suis rendue qu'Esther et moi venions d'y être inclues sans rien demander. Ca plaisait probablement à Esther, qui semblait adorer faire tout et n'importe quoi tant que ça lui permettait de se servir de son cerveaux, mais je ne voyais pas ce que je pouvais faire pour aider. A part proposer des films à regarder.
Entretenant le nouveau silence ambiant, Esther a fini en trois bouchées ce qui lui restait de chili et est allée nettoyer son bol. Je me suis demandé s'il n'y avait pas un lave-vaisselle, mais ai eu la flemme de vérifier. Ce fut probablement la minute la plus ennuyeuse et la plus gênante de ma vie, jusqu'à ce que je décide de sortir à nouveau.
-Qu'est-ce que tu vas faire ? A demandé Ethan.
-Chercher un vidéoclub, ai-je dit.
-Un vidéoclub ? a-t-il répété, perplexe.
J'ai enfilé ma veste et suis sortie sans prendre le temps de lui expliquer ma pique. J'avais oublié qu'ils avaient tous disparus en Amérique, alors qu'en Hollande, il en restait encore deux ou trois (classés monuments historiques).
Même après notre longue discussion qui, à part ma découverte sur l'annotation de la carte, s'était révélée quasiment inutile, le soleil ne commencait même pas à se lever. J'étais en train de passer la nuit la plus longue de ma vie, et il ne devait être que quatre heures du matin.
En descendant une allée parallèlle à l'avenue principale, j'ai entendu quelques exclamations terrifiées venant d'une des rues qui divisaient la disposition de la ville en un labyrinthe. J'ai dû courir deux ou trois minutes avant de trouver une fille brune adossée contre un mur, visiblement en état de choc. J'ai dû marcher quelques mètres avant de voir l'objet de sa terreur, un gars à la peau brune étendue par terre. Je me suis encore avancée de quelques mètres pour rejoindre la fille.
-Qu'est-ce qui s'est passé ? Ai-je demandée.
-Je sais pas, je...
J'ai décrété de son hésitation qu'elle était réellement en état de choc, et que je n'en tirerai rien pour l'instant. Avant de la faire s'écarter, j'ai rejoint le type et lui ai poussé l'épaule, présumant qu'il était évanoui. N'obtenant pas de réaction, j'ai réitéré mon geste, puis lui ai finalement donné une légère claque. Toujours rien.
Jetant un coup d'oeil furtif à la fille, j'ai pris son pouls.
-Merde, ai-je soufflé en m'éloignant.
Eh oui, merde. D'une façon ou d'une autre, ce mec était mort.

Échoués (FR)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant