Le lendemain en milieu de matinée...
Cette fois, pas de réunion dans un café sans prétention mais dans le parking souterrain du centre commercial La Part-Dieu. Dans la voiture de police banalisée, la pénombre régnait et le silence pesait à chaque fin de phrase. Cette atmosphère de film de gangsters donnait le fou rire à Madie. Bien entendu, elle s'était fait recadrée fissa ; depuis, elle restait muette et rongeait ses ongles dans le but d'enrayer sa nervosité.
— Bien, je récapitule, lâcha la commandante après un moment. On sait désormais que La Mante est largement impliquée dans la série des cambriolages. On ne connaît pas encore ses motivations mais ça ne saurait tarder. On sait aussi que les objets volés sont stockés et remis sur le marché noir grâce à une des prostituées, Nour El Hariri alias Probité, une arnaqueuse professionnelle.
— Exact, confirma le lieutenant.
La veille, ce dernier était parvenu à déverrouiller le garage en toute discrétion grâce au matériel d'un repris de justice. Il avait alors découvert les tableaux de différentes factures et les sculptures de toutes les tailles soigneusement emballées dans du papier bulle et du papier kraft. Il devait s'agir en grande partie de copies et de faux dont leurs propriétaires spoliés vantaient la prétendue authenticité ; toutefois, la ruse et les talents de négociatrice de Probité devaient aider à berner le chaland peu scrupuleux et les collectionneurs sans foi ni loi. Sur le marché noir, cela devait partir comme des petits pains.
— Malgré tous ces éléments, reprit Delamare, on ne connaît toujours pas l'identité du mystérieux inconnu qui rend visite à La Mante tous les dimanches soir. Madie, vous n'avez vraiment rien à dire à ce propos ? Vous avez au moins essayé de faire parler les nanas avec qui il couche quand il vient ?
La voix de la commandante était inquisitrice. Mal à l'aise, Madie se tortilla sur le siège arrière, racla sa gorge à plusieurs reprises. Elle n'avait plus le choix à présent ; elle devait parler, sinon la situation pouvait se retourner contre elle. On l'accuserait de complicité et elle écoperait d'une peine de prison. Elle pourrait dire adieu à sa demande de droit de visite.
— S'pourrait que j'ai p't-être une info, marmonna-t-elle.
— Je vous écoute.
— Exubérance, l'une des filles, elle m'a donné son identité.
— Et... ?
— Il s'appelle Marceau... Fontaine.
Alors que Madie expirait telle une baudruche et qu'une de ses mains s'était mise à tressauter sur sa cuisse, la commandante et le lieutenant avaient sursauté. Dans un bel ensemble, ils répétèrent le nom de famille du suspect en écarquillant les yeux.
— Vous ne seriez pas de la même famille par hasard ? l'interrogea Delamare en la fixant intensément.
— J'sais pas, prétendit la rousse. C'est p't-être un homonyme. Il existe pas qu'une famille qui porte ce nom de famille.
— Avoue que la coïncidence est un peu grosse, glissa Djibril.
— Tu le sais depuis longtemps ? demanda encore Delamare, la suspicion planant dans sa voix.
— Depuis dimanche soir...
La commandante étouffa un cri de rage en tapant sur le volant.
— Bon sang, toutes les informations comptent !
— Ça fait des années qu'on s'est pas vus mais il reste mon frère quand même. J'avais besoin de... de savoir avant de le balancer.
— Et alors, tu as découvert des choses intéressantes ?
— P't-être bien. Dans un article, une journaliste a fait un lien entre les cibles des cambriolages et mon frère. À c'qui paraît, il s'agirait à chaque fois d'un de ses adversaires politiques ou industriels.
Le silence tomba entre les trois comparses.
— Bizarre, hein, ajouta Madie en décochant un coup d'œil inquisiteur à la commandante. Comment se fait-il que vous l'ayez pas relevé, vous aussi ? Y en aurait qui s'ferait graisser la patte dans vos équipes ?
— Mets-la en veilleuse, Fontaine. Tout le monde peut manquer de vigilance. Mais si tu l'avais dit plus tôt, j'aurais pu lui coller des flics dans les pattes. La nuit dernière, il y a eu un nouveau cambriolage.
Face aux mines interloquées des deux infiltrés, la commandante Delamare comprit qu'ils n'étaient pas au courant.
— Ça a pourtant fuité dans la presse, reprit-elle. Personne ne lit le journal chez l'abbesse ?
— Si, quelques-unes, répondit Madie. Aucune d'elle n'aura trouvé important de le souligner, apparemment.
— Qu'est-ce qu'on fait maintenant ? demanda Djibril. Clairement, mon infiltration touche à sa fin. Il n'y a plus rien à en tirer. Je pourrais filocher le frérot de Moustique.
— Moustique ? releva Delamare.
— C'est mon pseudo de tapin, expliqua la concernée. Cet abruti le trouve approprié.
Cela fit sourire la commandante, puis elle reprit la parole avec sérieux.
— Je vais mettre le capitaine Lefebvre sur le coup. Toi, reste à la maison close. T'avoir sur place est un atout de taille.
Une idée de plan d'action venait de germer dans l'esprit de la combative policière et qu'elle s'empressa d'exposer à ses interlocuteurs. Pour bien faire, il faudrait agir sur deux tableaux différents. Le premier coup de filet concernerait la bande de la Rose. Grâce à la filature prochaine du capitaine de son équipe, ils pourraient avoir un coup d'avance sur la nouvelle cible de la Rose et ainsi lui tendre une sourcière. Car pour la commandante, il était clair que Marceau Fontaine était impliqué ; trop d'éléments suspects le désignait comme coupable. Le deuxième coup de filet aurait lieu à la maison close dès que possible. Les objets stockés dans le garage seraient une preuve matérielle suffisante pour inculper Nour El Hariri et La Mante.
— En attendant, conclut-elle, je vais me rencarder auprès des collègues sur les saisies qu'il y a eu récemment dans le milieu du marché noir. Il y aura peut-être des objets volés par la bande de la Rose.
— Et moi, je fais quoi ? demanda Madie.
La commandante tourna la tête vers la rousse qui était tassée sur son siège.
— Occupe-toi d'en savoir plus sur le processus de remise sur le marché, notamment sur les objets que tu as vus dans sa chambre. Cuisine l'arnaqueuse.
— Entendu.
— Quand nous aurons le maximum d'éléments en main, on établira plus concrètement l'opération à l'aide de vos connaissances des lieux à tous les deux. Maintenant, filez.
La réunion prit alors fin. Furtivement, le lieutenant et la rouquine s'éclipsèrent, n'empruntant pas le même chemin pour rentrer à la maison close. Tout en marchant, Madie sentait l'adrénaline pulser dans ses veines, accélérer son rythme cardiaque et emballer sa respiration. Le dénouement était proche et la confrontation avec son frère inévitable.
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Comme un rêve sur l'oreiller - Entre deux mondes
General FictionFin juin 2016. À Lyon, le temps est à la chaleur humide. Depuis quelques mois, des cambriolages, perpétrés par la Rose, mettent le beau monde sur les dents et la police sur des charbons ardents. Qui se cache derrière, se riant ouvertement des autori...