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Au dîner, Madie s'était arrangée pour s'asseoir à la gauche de la plus jeune des fleurs de macadam. Celle-ci contemplait son morceau de pain à moitié dur et son verre d'eau d'un œil dépité. Et dire que La Mante l'avait condamnée à une semaine de ce régime-là ! Un lourd soupir lui échappa. Même en le mangeant lentement pour atténuer la faim sur plusieurs heures, ce n'était pas très efficace. Tout l'après-midi, elle avait hésité à descendre à la cuisine. Ce qui l'avait retenue de faire cette entorse, c'était la vision acérée de La Mante qui aurait repéré le larcin et les cafardages de Li-Ann. Elle aurait aussi pu sortir acheter de la nourriture à un commerce ; seulement, pour s'assurer qu'elle ne céderait pas à ce genre de sirènes, La Mante lui avait confisqué l'accès à son salaire et ses pourboires le temps de sa punition. Pour une fois, la sévérité de sa patronne l'agaçait prodigieusement. Tout ça à cause de cette imbécile d'Orientale, ragea-t-elle en émiettant son morceau de pain.

— Si tu veux, je pourrais essayer de te monter quelques trucs à grignoter tout à l'heure, chuchota Madie à son oreille.

Exubérance tourna aussitôt la tête, vrillant son regard azur à celui fauve de la rousse.

— Tu ferais ça pour moi ?

Madie hocha la tête.

— Qu'est-ce que tu veux en échange ?

Malgré sa pétulance, la blondinette était loin d'être idiote.

— Plus tard, répliqua Madie sans nier.

— Entendu.

Presque une heure après, alors que le calme régnait dans la maison, Madie se faufila le plus discrètement possible dans la cuisine et piocha une pomme dans le bol de fruits et une part de quiche lorraine dans le frigo qui débordait de denrées. En repassant dans le couloir, elle perçut les éclats de voix dans le salon. Certaines belles-de-nuit jouaient à un jeu de société avec les petits garçons, autorisés à se coucher un peu plus tard le dimanche soir. Ce jour-là était chômé pour les prostituées.

À pas de loup, la jeune femme gravit l'escalier jusqu'au premier étage et alla toquer à la porte d'Exubérance. Une poignée de secondes s'écoula avant que le battant s'ouvre sur elle. Jetant un coup d'œil par-dessus l'épaule de la rousse, elle lui crocheta le poignet et la tira à l'intérieur.

— Super, j'avais si faim ! s'écria-t-elle en se ruant sur la nourriture sans même un « merci ».

Tandis que la blonde se bâfrait dans un fauteuil en osier, la rousse observa attentivement les lieux, nettement plus chargés que sa propre chambre dont la sobriété lui convenait parfaitement. Exubérance dormait dans un lit à baldaquin avec une profusion d'oreillers, se pomponnait à une coiffeuse luxueuse, enfonçait la plante de ses pieds dans un tapis moelleux, disposait d'une penderie imposante dont débordait quantité de vêtements. Un grand miroir ouvragé couvrait un pan de mur.

Un soupir de contentement interrompit son inspection.

— Vraiment merci ! Je me sens mieux maintenant !

Madie tourna la tête vers la blondinette qui posait l'assiette sur le parquet. Claquant ses cuisses de ses paumes, celle-ci se remit debout et, les mains dans les poches de son jean, elle s'approcha de la rousse jusqu'à qu'il reste juste assez de distance pour étendre un avant-bras. Le silence se fit pesant tout le temps que dura son petit manège dont l'unique but était de déstabiliser celle qui l'avait sauvée de la « famine ». Un sourire tranquille se dessina finalement sur ses lèvres charnues.

— Qu'est-ce que tu veux en échange de mon silence sur ta traîtrise ? susurra Exubérance.

— Comment s'appelle ton client de cette nuit ?

Comme un rêve sur l'oreiller - Entre deux mondesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant