Chapitre 5 : Esprit brisé

511 26 2
                                    

Les trois jours de repos qu'il me restait sont maintenant passés. Je dois donc retourner en cours. Au moins ça m'évite de rester toute la journée seul avec Livaï. Je pourrais me changer les idées, mais je dois quand même garder tous mes problèmes pour moi. Après tout : à qui puis-je en parler ? Même Armin, mon meilleur ami, ne sait pas que j'aime les garçons.

Maintenant que j'y pense, je suis allé jusqu'à sortir avec une fille pour dissiper des rumeurs qui commençaient à naître dans le bahut. Enfin, je suis quand même resté avec elle pendant un an. Peut-être qu'il y avait bien quelque chose entre nous... Je ne m'en souviens pas...

Je marche d'un pas peu assuré jusqu'à ma prochaine salle de cours. Je suis accompagné d'Armin qui me raconte sa semaine de vacances, mais je n'écoute pas vraiment.

Je dois franchement avoir une tête à faire peur. Je n'ai pas eu de nuits correctes depuis le retour de Livaï. Le premier jour parce que nous avons discuté, les autres parce que je n'arrête pas de faire le même rêve. Le genre de songe dont on ne peut pas parler sans qu'on nous regarde comme un pervers. Je me force donc à l'oublier dès que je passe la porte de ma chambre, tout en sachant très bien qu'il recommencera dès que je fermerai les yeux.

Heureusement pour moi j'arrive à me concentrer pendant les cours. Bon, je manque plusieurs fois de m'endormir sur ma table, mais sinon ça peut aller. Cependant durant les pauses, ça recommence. Toutes mes pensées se tournent inévitablement vers Livaï. Je me demande ce qu'il est en train de faire. Il a dit avoir trouvé un taf près de la maison, mais il n'a pas précisé ce que c'était. Par contre il y a une chose qui me préoccupe : il sort tous les soirs, mais pour aller où ? Des fois il ne rentre pas avant le lendemain. Je n'aime pas ça...

L'heure passe et je dois aller à mon prochain cours. Je me vide la tête et traîne des pieds jusqu'à l'amphi. Allez plus que deux heures et je rentre à la maison.

Je sors de l'université et salue Armin qui part dans la direction opposée à la mienne. Je prends mon portable, mes écouteurs et c'est parti pour le trajet retour, moi et ma musique. Je dois prendre le bus, alors il est hors de question d'écouter les commérages des femmes qui rentrent de leurs courses, les cris des gosses assis sur les jambes de leurs parents complètement épuisés, la conversation téléphonique de l'homme debout et qui gueule pour se faire entendre, les rires des collégiennes qui notes chaque mec qui entre dans le véhicule — je crois avoir eu un huit. Toutes ces choses, je n'ai pas besoin de les entendre.

Par chance il reste une place de libre, juste devant les portes qui servent à descendre. Je m'installe côté fenêtre et pose mon sac à côté de moi. Si quelqu'un veut vraiment s'asseoir, il me demandera de bouger mon bien, mais personne n'a jamais assez de courage pour le faire.

J'ai vraiment envie de dormir, mais je ne peux pas. C'est une règle que je me suis fixée dès le premier jour où je suis monté dans un bus, je me suis interdit de dormir dans les transports en commun. Je ne suis pas fou au point d'en arriver là.

Je reconnais la rue dans laquelle nous venons de tourner. Je tends le bras et appuie sur le bouton indiquant mon envie de descendre au chauffeur. L'arrêt est maintenant visible. Je prends mon sac à dos et me positionne devant la porte, sans oublier de bien me tenir — certains chauffeurs prennent un malin plaisir à écraser le frein.

Les portes coulissantes s'ouvrent pour me laisser passer. Je peux déjà sentir un vent glacial m'agresser le visage. Je mets mes mains dans les poches de mon manteau et descends. Est-ce qu'il faisait aussi froid quand je suis monté ? Je ne sais plus, je n'y ai pas fait attention. Bon le mieux à faire et de marcher pour me réchauffer.

Je passe devant les bâtisses que je connais maintenant par cœur. Combien de fois ai-je déjà fait ce trajet ?

Alors que je m'arrête, retire mes écouteurs et regarde en l'air, j'entends un bruit venir d'une ruelle séparant deux vieilles maisons. J'essaie de regarder, mais il fait trop sombre, la lumière du soleil est bloquée par les deux constructions.

Ce n'est sûrement qu'un chat de gouttière. Je lève la jambe pour reprendre ma marche, mais je me stoppe. Peut-être que quelqu'un se fait attaquer ? Si c'est ça et que je m'en vais, c'est non-assistance à personne en danger, non ? Ça ne sert à rien de tergiverser comme un idiot !

Je m'aventure dans la ruelle. Au mieux je fais une bonne action, au pire j'aurais perdu du temps pour voir un chat fouiller les poubelles.

— Pas ici...

Fait une voix haletante. Je la reconnais immédiatement !

Je me baisse et me cache derrière un vide-ordure, une main devant la bouche pour n'en laisser échapper aucun bruit. Je n'ai pas rêvé ? Cette voix, c'est celle de Livaï.

— Et pourquoi pas...?

Ça, c'est la voix de quelqu'un d'autre, un homme.

Je passe la tête au-dessus de ma cachette de fortune et, devant la scène qui se joue devant mes yeux, mon cœur rate un battement. Au fond de la ruelle, à quelques mètres de moi se trouve Livaï plaqué contre un mur par un type blond. Celui-ci à la tête fourrée dans le cou du noiraud, il a aussi une main qui passe sous son pull.

Je serre les dents, mais me fais violence pour ne pas lui en coller une. Comment ose-t-il toucher le corps de Livaï ?!

— Arrête ça... Demande-t-il en repoussant le blond. Je t'ai dit d'attendre ce soir.

Je peux maintenant voir le visage de l'autre gars. Il n'a rien de spécial, je dirais qu'il a le style homme d'affaire avec ses cheveux bien coiffés. Enfin si, il y a quelque chose qu'on ne peut pas louper : ses sourcils disproportionnés.

— Et qu'est-ce qui t'empêche de le faire maintenant ?

Livaï remet son pull dans son pantalon avant de se diriger dans ma direction. Je m'apprête à partir discrètement, mais me ravise en le voyant s'arrêter.

— Je ne suis pas d'humeur. Souffle-t-il en tournant son regard vers le blond. Je viens chez toi vers vingt et une heures.

Ça devient risqué de rester ici. Je profite de ce moment pour partir en courant. J'arrive très vite dans la rue principale.

Qu'est-ce qui m'a pris d'aller voir ce qui ce passait dans cette foutue ruelle. BORDEL !

J'arrête ma course, ne pouvant plus distinguer le monde qui m'entoure à cause des larmes que je ne peux retenir. Je frappe de toutes mes forces dans un arbre à côté de moi. Enfin je suppose que c'en est un.

Je veux oublier ça ! Je veux revenir en arrière ! Je veux défoncer l'autre type ! Je veux me réveiller de ce cauchemar ! Je veux... Livaï !

Je sens mes jambes flancher et m'écroule sur le sol. J'ai le souffle court à cause de ma course, mais pas seulement. C'est la goutte de trop. Mes faibles chaînes que je me suis moi-même mises viennent de se briser. Je sens que je perds le contrôle.

Soudain c'est le noir total. Plus rien ne m'entoure, plus aucun bruit ne me parvient, je ne sens plus le vent glacial fouetter mon visage. La seule chose que je sens c'est la douleur, pas celle de mon cœur, mais celle provenant de ma main. Je la lève devant mes yeux. Le liquide rouge visqueux coule le long de mes doigts pour venir repeindre le sol. Je me suis entaillé les phalanges en cognant le végétal qui n'a rien demandé.

Les larmes s'arrêtent, ma respiration se calme et mon regard s'éteint. Je me redresse et reprends ma marche. C'est décidé : si je veux Livaï alors je vais tout faire pour l'avoir. Il est à moi. À moi et personne d'autre.

Tu es à moiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant