(Un texte librement inspiré d'une vieille légende japonaise.)
Ryujin et la méduse.
Le silence régnait au sein du palais de Ryujin. Un immense corps reptilien allait et venait de manière brusque et chaotique, effrayant les quelques domestiques qui attendaient que leur souverain donne ses ordres. Le regard soucieux, le monarque ondulait nerveusement autour de son trône, ses pattes à l'allure féline, ornées de trois griffes acérées, laissaient de profonds sillons dans le sable qui entourait l'assise royale. Sa fille, son unique enfant, était tombée gravement malade et nul médecin en son royaume n'avait encore trouvé de remède au mal qui la rongeait. Le monarque chérissait sa fille plus que tout et enrageait de se sentir aussi impuissant. Quelle ironie ! Lui, le Maître des quatre mers, le Souverain des abysses, le roi des dragons, ne pouvait rien faire pour sauver la perle des perles, la prunelle de ses yeux.
Il avait ouïe dire, cependant, qu'il existait un remède miracle pouvant soigner la princesse. Soupçonneux, ses médecins s'étaient empressés de le mettre en garde, arguant qu'il s'agissait sûrement d'un remède de charlatan, mais le grand reptile les avait fait taire d'un regard glaçant, et congédié sans autre formalité. Toute solution pouvant sauver la vie de sa fille chérie était à prendre en considération, et il désirait n'en négliger aucune.
Il ne pouvait toutefois s'absenter hors des frontières de son royaume. Se redressant avec une grâce sinueuse et fit donc quérir son plus fidèle sujet, la méduse. Cette dernière arriva prestement et se prosterna avec déférence devant son roi.
- Mon Seigneur, je suis à votre service.
- Méduse, je t'ai fais mander pour te charger d'une mission de la plus haute importance. Tu vas te rendre hors des limites de ce royaume et te rendre sur terre. Rapporte-moi le foie d'un singe afin que la princesse puisse être guérie de ses maux.
- A vos ordres mon Seigneur, je ne vous décevrais pas.
- Va et fais vite !
La méduse partit et quitta le royaume sous-marin. Elle nagea jusqu'aux limites des mers et arriva finalement sur la terre ferme. Son squelette le lui permettant, elle se hissa sur la berge pour entreprendre la tâche fastidieuse de trouver un singe et de le ramener au roi des dragons.
Elle chercha pendant des heures et des heures, fouillant les talus, scrutant les cimes des arbres, parcourant des kilomètres sans relâche. Ses efforts ne furent pas vain. Au détour d'une route, elle finit par croiser la route du Singe.
Tendant tous ses bras vers lui, elle l'agrippa et lui dit :
- Singe, tu dois me suivre sur le champ. Mon Seigneur et Maître, le grand roi dragon Ryujin, a besoin de toi pour sauver la vie de sa fille mourante.
Surpris, et ne pouvant plus bouger, le singe lui répondit avec courtoisie.
- Je suis très honoré que son Altesse ait besoin de moi, mais je ne sais pas comment faire pour accéder à sa requête, Méduse. Qu'attend-t-il de moi ?En quoi puis-je lui être utile ?
- Le roi a besoin de ton foie, lui seul pourra enrayer le mal qui touche la princesse.
- Mon foie dis-tu ?fit le singe, incrédule.
- Tout à fait, lui répondit la méduse.
La franchise et la détermination dont faisait preuve la méduse n'échappa pas à son prisonnier. Le singe arbora une expression compatissante.
- Méduse, je suis bien en peine pour la princesse, et il va sans dire que ce sera pour moi un honneur et une joie que de lui venir en aide.
- Bien, allons-y dans ce cas.
- Une minute Méduse, pour que je puisse l'aider, il faut d'abord aller récupérer mon foie. C'est un remède précieux comme tu le sais, il m'a donc fallu le cacher en lieu sûr. Nous devons y aller pour le prendre, et ensuite nous nous rendrons au chevet de la princesse.
- Ah... fit la méduse après un temps de réflexion. Oui, faisons comme cela, le Seigneur me réduirait en miettes s'il me voyait revenir sans le remède. Entendu, je te suis Singe.
Ils marchèrent un moment à travers la canopée, puis arrivèrent finalement devant un arbre immense. Le singe s'arrêta et se tourna vers la méduse.
- C'est ici que je l'ai caché, dans ce trou que tu peux voir là-haut, dans le tronc. Libères-moi, je vais aller le chercher, puis nous irons voir le roi.
La méduse relâcha le singe, et celui-ci se mit à escalader le tronc monumental avec l'agilité simiesque propre à son espèce. Arrivé au niveau du trou, il glissa un bras dedans mais le ressorti immédiatement avec une expression confuse sur le visage.
- Que se passe-t-il ?Demanda la méduse, soudain inquiète.
- Mon foie... il... il a disparu ! Lui répondit le singe d'un ton catastrophé. Quelqu'un me l'a volé !
- Oh non ! Comment faire ? se lamenta la méduse. Je ne peux pas revenir les mains vides auprès de mon roi ! Il me punira sévèrement pour avoir failli à ma mission !
- Écoute, fit le singe du haut de son perchoir. Retournes auprès de ton seigneur pour l'avertir de ce qu'il vient de se passer. Moi, pendant ce temps, je vais retrouver le voleur, et quand ce sera fait, je me rendrais au royaume sous-marin pour amener le remède à la princesse et la guérir.
- Oui, d'accord. Dès que tu le retrouves, vient sans tarder auprès de mon Seigneur. Il saura te récompenser pour ta bravoure, Singe !
La méduse regarda le singe disparaître à la poursuite du voleur, puis rebroussa chemin jusqu'à la berge. Il fallait qu'elle rentre au plus vite avertir Ryujin que le singe allait bientôt venir lui apporter son foie. La méduse était satisfaite, elle avait finalement remplie sa mission, et nul doute que son roi l'en féliciterait.
- TU AS FAIS QUOI ?!!!rugit le dragon dans un cri qui fit trembler les murs cristallins de son palais sous-marin.
La méduse se ratatina de confusion face à la fureur du grand dragon. Ce dernier ondulait autour d'elle, à la manière d'un prédateur, la rage se lisant sur son faciès camélien.
- IMBECILE !!! LESINGE S'EST JOUE DE TOI ET TU L'AS LAISSE PARTIR ! TU CONDAMNESLA PRINCESSE, TU MERITES DE SUBIR MON IRE !
- Pardon votre Grandeur, je... je ne mérite pas de vivre !
- NON, EN EFFET...
L'immense reptile attrapa brusquement la méduse de sa large patte, ses trois griffes acérées menaçant de transpercer de part en part le pauvre sujet terrorisé. Ryujin, fou de colère, resserra son emprise autour de la malheureuse créature. Il serra, serra... jusqu'à ce qu'un craquement sonore annonce qu'un des os de la méduse venait de se briser. Il serra encore plus fort. Les craquements s'intensifièrent et la victime hurla de douleur avant que son souverain ne la laisse retomber au sol, toute flasque.
- Voici mon châtiment, Méduse. Tu passeras le restant de tes jours en rampant comme une larve pour avoir contribué à me tourner en ridicule. Va, et disparaît de ma vue !
La méduse s'exécuta, honteuse et molle... Mollusque elle était devenue, et mollusque elle resterait à jamais.
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Comme une plume au vent
RandomBienvenue dans ce patchwork de textes. Ici la poésie côtoie le théâtre, la prose se mêle aux rimes, et l'imaginaire se joue de la réalité. Ici, c'est le monde des mots. Des mots pour rêver, des mots pour s'émouvoir... les mots d'une petite plume vir...