La même chose se répétait tous les jours.
A 6h, le réveil sonnait. Nous nous levions, prenions notre petit-déjeuner, puis partions pour aller au travail. Quand je dis au travail, je veux dire que nous allions au parc en réalité. Car c'est là que nous exercions notre activité. Après un certain temps pour nous préparer, commençait pour nous une longue journée à rester dans diverses postures, notre chapeau à nos pieds. Chaque été, nous faisions la statue vivante.
Certains pourraient croire que c'était fantastique et impressionnant de pouvoir ainsi rester immobile dans une position donnée aussi longtemps, mais, en vérité, ce travail m'insupportait. Je ne tenais jamais en place ; j'avais un besoin constant de bouger, même de manière infime. C'était dans ma nature tout simplement. Pour autant, j'étais obligée de mettre un bémol à mon éternelle bougeotte, ne voulant pas réduire à néant le fruit des heures que nous avions passées à nous entraîner.
Nous, Pétra et moi.
Pétra était tout mon inverse. Elle aimait ce travail ; cela se voyait au plaisir manifeste qu'elle prenait lorsqu'elle regardait les enfants l'observer avec admiration, ou leur parents être sincèrement impressionnés par son talent. Les gens s'arrêtaient pour la regarder tandis qu'ils passaient près de moi sans même me remarquer. J'aurais pu en être jalouse, mais ce n'était pas le cas. En fait, je les comprenais, et j'aurais fait pareil qu'eux si j'avais été à leur place. Nous étions si différentes l'une de l'autre, si opposées ! Alors que mon apparence, semblable aux statues d'ébène, était très sombre, la sienne était lumineuse, statue d'or vivante.
Nous passions ainsi nos journées, et le soir, après quelques étirements pour éviter les contractures, nous nous démaquillions, puis rentrions chez nous dans la lumière crépusculaire. C'était l'instant de la journée que je préférais ; celui où je me sentais enfin libre de m'étirer et bouger à ma guise. Je me sentais grande, forte, indestructible ; mais surtout, je savais alors qu'il ne resterait plus que quelques heures avant que je puisse être libre d'aller où je le désirais. La nuit approchait.
Une fois rentrées chez nous, Pétra était en général si fatiguée qu'elle ne veillait jamais très tard. Parfois nous lisions un livre avant de nous coucher, d'autres fois nous regardions un film. Je restais toujours près d'elle jusqu'à ce qu'elle ferme les yeux et s'endorme. Alors seulement commençait ma nuit, ma liberté temporairement retrouvée.
Je me détachais du corps de Pétra pour me glisser hors de la chambre, puis hors de la maison, à la recherche d'une destination pour mon escapade nocturne. Je n'allais jamais dans des lieux que Pétra fréquentait, et jamais au même endroit deux soirs de suite. Je passais des heures à arpenter les rues, à écumer divers lieux de rencontre, et même parfois à ne rien faire. Je me délectais de cet anonymat et cette liberté que me procurait la nuit. Il m'arrivait quelquefois, lorsque j'étais d'humeur coquine, d'aller caresser d'autres corps inconnus, mais je ne restais jamais toute la nuit avec eux.
Avant l'aube, je m'éclipsais pour rentrer chez moi, chez nous, rejoindre Pétra avant qu'elle ne se réveille et ne s'aperçoive de mon absence. Je revenais me coller tout contre elle et attendait que les premiers rayons du soleil lui fassent ouvrir doucement les yeux.
J'aimais bien ces petits moments matinaux, lorsque le soleil, encore un peu timide, venait jouer sur la peau claire de Pétra, et qu'elle répondait à son invitation par un sourire encore tout empreint de rêves. Elle faisait jouer la lumière sur ses doigts fins et s'amusait à faire se déplacer l'ombre ainsi projetée.
C'était le seul moment de la journée où nous nous amusions réellement ensemble, elle et moi ; le seul instant où elle me prodiguait de l'attention. Moi, la discrète petite ombre de Pétra.Puis le réveil sonnait et le charme s'envolait. 6h. Semblable aux précédentes, une nouvelle journée nous attendait.
VOUS LISEZ
Comme une plume au vent
RandomBienvenue dans ce patchwork de textes. Ici la poésie côtoie le théâtre, la prose se mêle aux rimes, et l'imaginaire se joue de la réalité. Ici, c'est le monde des mots. Des mots pour rêver, des mots pour s'émouvoir... les mots d'une petite plume vir...