(Texte) A l'ombre des pyramides

7 3 0
                                    

Avertissement : tous les personnages, hormis le protagoniste principal, ont réellement existé. Toutefois, cette anecdote n'est que pure fiction.


Le soleil étendait paresseusement ses rayons sur la terre ocre et rocailleuse. Où que le regard se portait, le paysage restait le même : une infinité de plat, çà et là troublé par la chaleur qui montait lentement. A certains endroits, comme dans une tentative dérisoire d’égayer un peu la nature par l’ajout de quelques touches de verts et de marrons, une végétation chiche clairsemait un désert sans fin. Plus le jour se levait, plus l’horizon semblait repousser sa ligne.
Vers le sud, au loin, commençait néanmoins à apparaître les contours d’une étrange structure, donnant l’impression qu’une divinité avait posé là son empreinte sur le monde. Et c’était le cas. “Celui que Horus avait perfectionné” avait, depuis quelques années, entreprit de laisser sa marque dans l’histoire des hommes. Une marque qui le suivrait dans sa vie immortelle d’après. Un tombeau royal était lentement érigé au sein de la zone de Dahchour.

Un bruit sourd et régulier commença à s’élever du campement. Avec le soleil qui faisait son apparition, les ouvriers reprenaient peu à peu leur labeur. Attentif au bon fonctionnement du chantier, un vieil homme se tenait à l’ombre de l’entrée d’une tente. Des rides parcheminaient son visage, mais ses yeux éclairés trahissaient un esprit encore bien vif. Architecte en chef du nouveau projet en construction, Behton se sentait particulièrement fatigué en cette chaude matinée. Alors qu’un peu plus au sud la pyramide de Khâ Snéfrou-Resi était déjà bien entamée, des problèmes structurels étaient apparus, orientant plus au nord le choix d’une sépulture pour Pharaon. C’est ainsi que Behton s’était vu confier, au crépuscule de sa vie, la tâche énorme de mener à bien la construction de la pyramide de Khâ Snéfrou-Mehti. Cette lourde responsabilité lui incombant pesait sur ses épaules et l'empêchait de partager la liesse qui s’était emparée des contres-maîtres depuis que, la veille, un messager était venu annoncer l’arrivée imminente du roi et de sa suite.  Peu d’entre eux avaient eu l’opportunité d’apercevoir le protégé d’Horus, le souverain d’Egypte.
— Maître ! Maître !
Behton se tourna vers le jeune garçon tout en sueur qui venait d’apparaître à son côté.
— Qu’y a-t-il Hémiounou, pourquoi cet empressement soudain ?
— Maître, on vient de nous signaler la procession royale. Elle sera là sous peu.
— Bien, va donc te laver le visage, et rejoins-moi au pied du versant sud, veux-tu ?
— Oui Maître.
Le jeune garçon détala aussi vite qu’il était venu. Behton soupira en le suivant du regard. Il enviait la fougue de sa jeunesse, mais il avait souvent beaucoup de mal à la canaliser. Heureusement pour lui, son apprenti était plein de promesses, et le vieil homme se sentait satisfait de pouvoir compter sur lui pour prendre sa relève lorsque son tour d’être confronté à la pesée de son âme viendrait.

Comme annoncé, le cortège royal fit bientôt son apparition en grande pompe. Behton attendait, au pied de ce qui était destiné à devenir le tombeau du monarque, que chevaux et soldats laissent place à une multitude de baldaquins à porteurs. Son apprenti l’avait rejoint et contenait difficilement son excitation. Le vieil homme, quant à lui, aurait mille fois préféré profiter de l’ombre et du restant de fraîcheur de sa tente, plutôt que de devoir subir le baiser mordant du soleil sur sa peau burinée.
Lorsque le plus somptueux des baldaquins s’arrêta bien en face d’une rangée d’honneur, des trompes résonnèrent d’une mélodie claire. Portant dignement son pschent, symbole de son titre, le souverain d’Egypte foula enfin le sol.
Faisant fi de ses articulations douloureuses, Behton se prosterna, à l’image de l’ensemble des sujets présents.  Snéfrou, roi de la Basse et de la Haute Egypte, s’approcha de l’homme âgé et lui fit signe de se relever.
— Grand Architecte, je vois que notre chantier avance bien.
— Mon roi, les dieux nous sont favorables, et la main d'œuvre ramenée de vos conquêtes est des plus diligentes.
— Bien.
Sur un signe du souverain, un jeune homme s’approcha, richement vêtu, un rouleau de papyrus à la main. Behton sentit Hémiounou contenir à grand peine sa fébrilité et pour cause, le jeune homme était son père. Récemment nommé Tâty par son propre père, Snéfrou lui-même, Néfermaât était celui qui tirait les ficelles du chantier de construction. Behton avait parfois des difficultés à lui prodiguer des conseils nés de sa longue expérience, car le jeune homme était trop infatué pour accepter la sagesse de l’âge.  Il tendit le rouleau à l’architecte qui le déplia pour en étudier le contenu. Un haussement de sourcils accompagna sa lecture, puis il leva les yeux vers son seigneur.
— Une pyramide lisse va demander des ressources considérables, mon roi.
— Tout vous sera fourni, répondit nonchalamment ce dernier.
Et le vizir d’enchaîner.
— Nous incrusterons également des pâtes colorées. C’est une nouvelle technique que j’ai mise au point et que notre souverain a approuvée.
La suffisance qui transparaissait de Nefermaât était manifeste, mais Behton la comprenait. Dans sa jeunesse, il avait également eu son heure de gloire lorsqu’il avait considérablement amélioré le mortier utilisé dans les constructions. A la chaux, au sable et à l’eau, il avait ajouté de l’argile. Dans un élan de fierté, il avait donné son nom à son invention : le mortier de behton. Son propre maître s’était alors amusé de son audace. Il lui avait dit qu’à moins que des prairies de behton ne soient créées, donner son nom à un simple mélange était pure vanité et dérisoire, car cela ne marquerait pas l’histoire des hommes.
Et pourtant, aujourd’hui, le pharaon lui demandait d’en recouvrir entièrement ses pyramides pour les rendre lisses. Le vieil architecte s’inclina avec déférence.
— Il en sera fait selon vos désirs, mon roi.
Snéfrou avisa le jeune Hémiounou, son petit-fils, puis il se tourna vers un autre homme de sa suite, un peu plus âgé que le Tâty.
— Mon fils, approche.
— Père, répondit ce dernier.
— Suis bien les progrès de ce jeune apprenti, et quand viendra l’heure de ton règne, prends-le à ton service pour qu’il érige une pyramide aussi belle que celle qui se tiendra bientôt ici et qui sera ma demeure éternelle.
— Oui Père.
Impressionné par l’honneur qui lui était fait, le jeune garçon s’inclina à son tour devant le pharaon, puis devant le prince.

Alors que le cortège repartait, et tandis que le vieux Behton retrouvait un regain d’ardeur, le jeune Hémiounou se promit, quant à lui, de réaliser une pyramide pour le prince Khéops plus belle encore que celle de Snéfrou.

Comme une plume au ventOù les histoires vivent. Découvrez maintenant