Comme une plume au vent

(Texte) Tableau de chasse

Il avait suffit de quelques minutes seulement pour qu'il tombe sous son charme. Il s'était perdu dans l'éclat de ses yeux bleus. Cet éclat un peu mutin, coquin, porteur de promesses muettes et non avouées. Il avait fondu au son de sa voix cristalline, rieuse, franche et douce. Les mots coulaient de ses lèvres avec une fluidité chantante, envoûtante, charmante... Et en lui, impérieuse, montant en force, une sensation nouvelle venait de naître.
Cette femme, il la désirait.

Quelques minutes, voilà ce qu'elle se rappelait du jour de leur rencontre. Juste ces quelques minutes où elle avait été subjuguée par cet inconnu. Ces quelques minutes où elle avait senti quelque chose de particulier naître en elle. Ces quelques minutes que, durant les années qui suivirent, elle n'arriverait pas à s'ôter de la tête. Il l'avait charmé, envoûté. Et il avait ouvert le jeu.
Elle l'y avait rejoint.

Cette femme, il la désirait. Et cette femme, maintenant, il la voulait. Il la voulait comme un chasseur voulait sa proie. Il voulait le plaisir de la savoir sienne à jamais.
Il l'avait séduite, et elle l'avait séduit en retour. Leurs jeux devenaient plus coquins, plus intimes. Puis vinrent les mots. Ces quelques petits mots qui pouvaient capturer un cœur, un corps, une âme à jamais.
Elle était à lui et il se sentait heureux.

Cet homme, elle avait fini par l'aimer.
Elle l'avait aimé comme une part d'elle-même, comme un cadeau que la vie aurait finalement voulu lui faire. Elle s'était sentie grandir, s'épanouir. Elle avait ressenti cet amour avec une force telle qu'elle aurait pu devenir la femme la plus heureuse du monde. Elle l'avait aimé à s'en renier elle-même. Corps et âme, elle l'avait aimé.

Elle avait perdu son amour, avant même de l'avoir eu.

Le jeu était trop facile.
Passé les premiers instants de bonheur satisfaisant, il s'était senti las. Las d'une proie trop facile à attraper. Où était l'intérêt si elle ne lui échappait pas ? Oh, il avait bien essayé de rendre le jeu plus piquant, plus fascinant... il avait même été agréablement surpris qu'elle continue de vouloir lui plaire. Il l'avait aimé pour cela.
Il avait aimé en faire son jouet : la chasse avait été belle.

Un jour, toutes ses certitudes avaient volé en éclats.
Sans s'en rendre compte, petit à petit, et avec une fourberie si subtile qu'elle l'avait confondu avec de l'amour, elle s'était retrouvée simple trophée sur un tableau de chasse. Elle mesurait à présent toute la perversité de cet amour capricieux.
Un amour qu'elle ne pouvait plus que quantifier par l'abondance de ses larmes et de ses regrets.