Chapitre 19

2.8K 155 3
                                    

C'est Jake qui avait porté le corps sans vie de son père.

Le corps sans vie de son père.

On avait fait croire à une chute à proximité du marriage. Un accident bête. Des pieds qui se prennent dans une racine. Une tête qui cogne une pierre. Une vie qui s'arrête. Comme ça pourrait arriver n'importe où.

Maika ne voulait pas savoir si on avait dû mutiler le corps de son père pour faire croire à un trauma crânien. Elle ne voulait rien savoir.

On l'avait ramenée chez elle. Douchée. Mise au lit. Jared était resté avec elle jusqu'à ce que sa mère rentre.

La porte avait fait un bruit sourd et Maika avait relevé la tête instantanément. Dans la pénombre de sa chambre, les gyrophares des voitures de police lançaient une lumière étrange.

Rouge. Bleu. Rouge.

Sa mère savait.

Rouge. Bleu. Rouge.

Elle se leva péniblement dans son lit. Le cœur au bord des lèvres.

On frappa doucement à sa porte.

Elle laissa à Jared le temps de sortir par la fenêtre avant d'ouvrir.

Le visage de sa mère était bouffi par les larmes. Ses yeux injectés de sang.

"Il est parti," souffla-t-elle. "Ton père, il a eu un accident. Il est parti. Il nous a laissé seule."

Puis elle s'effondra dans les bras de sa fille. Elles ne dormirent pas cette nuit-là. Elles pleurèrent beaucoup. Sombrant quelques fois dans des mauvais rêves mais qui ne duraient pas et qui les laissaient plus fatiguées qu'avant.

Au matin, Billy et Jake arrivèrent et prirent la situation en main. Charlie, le père de Bella, Shérif de la ville, et dans toutes les confidences, vint expliquer les circonstances de la mort à la famille. Il n'arriva même pas à croiser le regard de Maika alors qu'il racontait le mensonge odieux qu'ils devaient raconter à sa mère.

A quoi bon lui dire la vérité ? Ca la rendrait folle et ça ne ramènerait pas le père de la jeune fille.

La semaine passa vite. Jake élu domicile sur le canapé, ne voulant pas laisser sa couine et sa tante seules.

Il lui donnait des nouvelles de Paul. Il vivrait. Il allait passer trois semaines au lit et il se relèverait. Quand Jake lui annonça, Maika aurait dû se sentir soulagée. C'était le cas. Mais elle se sentait surtout coupable. Il était dans cet état parce qu'elle s'était jetée dans la gueule du loup. Sans penser aux conséquences. Il devait la détester.

Mais elle ne pouvait pas, ne voulait pas, y penser maintenant.

Maika dormait toutes les nuits avec sa mère. Incapable de la laisser. Terrifiée à l'idée de la perdre elle aussi.

Le matin de l'enterrement, Maika se leva. Il lui fallait encore affronter cette journée et ensuite elle pourrait s'effondrer.

Elle prit sa douche.

Se lissa consciencieusement les cheveux.

Appliqua un peu de mascara.

Enfila sa robe noire.

Ses escarpins noirs.

Sa veste noire.

Et s'accorda une minute pour se laisser submerger par toutes les émotions qui la tiraillaient.

En arrivant dans l'église, le calme régnait. Les personnes présentes se murmuraient Dieu sait quoi et jetaient des regards pleins de compassion à la famille du défunt.

Entourée de sa mère et de Jake, Maika alla s'asseoir au premier rang. L'office commença. L'homme d'église débita les paroles habituelles, parla de la vie après la mort et de la résurrection. De l'espoir, du chagrin, des liens qui nous unissaient tous. De poussière qui redeviendra poussière. C'était une belle messe mais Maika n'entendait que des bribes.

"La femme du défunt va maintenant dire quelques mots."

Maika regarda longuement sa mère. Elle était pétrifiée. Statufiée. Elle serrait convulsivement le morceau de papier dans sa main. Et ne fit aucun geste. Elle ne se leva pas pendant de longues secondes. Jake jeta un regard alarmé à sa cousine. Et celle-ci comprit qu'elle n'avait pas le choix. Elle allait devoir se lever. Monter sur l'estrade et prendre la place de sa mère devant l'assistance.

Délicatement, elle ouvrit la main de sa mère et prit le papier. Elle se leva, lissa sa jupe déjà impeccable pour se donner du courage. Respirant profondément, elle s'avança.

Elle ne pouvait pas lever les yeux. Si elle croisait le regard de qui que ce soit elle allait s'effondrer.

Elle déplia la feuille à petits carreaux et lut d'une voix blanche. Sans émotion. Elle ne pouvait pas se laisser submerger. Pas maintenant. Plus tard.

"Il y a des personnes, quand on les rencontre pour la première fois, qui ne vous font pas grande impression. On ne s'émerveille pas devant leur beauté sans faille, on les regarde à peine. Mais parfois, au moment où ils ouvrent la bouche, la pièce s'illumine et devient belle. Toute votre attention se pose sur eux et vous les voyez pour la première fois. Vous les découvrez pour ce qu'ils sont vraiment.
Quand j'ai rencontré celui qui deviendrait mon mari, à la première seconde où il a ouvert la bouche pour me faire rire, il a gagné mon coeur. C'était un homme bon, comme on en croise peu, il avait le sourire au lèvre dès la minute où il se réveillait et jusqu'à ce qu'il s'endorme. C'est comme ça que je veux me rappeler de lui. Comme le premier soleil de ma vie, celui qui m'a donné le plus beau cadeau du ciel. Ma fille."

Sa voix se brisa. Si seulement sa mère savait que c'était justement elle qui l'avait privée de son mari...

Elle prit son courage à deux mains et lu la dernière ligne.

"Il était un homme bon et c'est ce qu'il restera de lui."

Elle replia le papier froissé. Posa les yeux sur sa mère en larme et au fond de la salle, elle aperçut Maya qui chuchotait à l'oreille de Paul. Il ne l'écoutait pas, il la regardait elle.

Maika frissonna, il était venu. Il devait souffrir le martyr assis sur ces bancs inconfortables. Mais il était venu.

Elle arracha son regard au sien et alla se rasseoir.

Elle avait tenu bon. C'était derrière elle.

On mit son père en terre. Chacun vint présenter ses respects à la famille. La meute se tenait au grand complet derrière la jeune fille. Lui donnant la force de continuer alors même qu'elle pensait ne pas pouvoir.

On avait organisé un buffet froid où les convives pourraient continuer d'entourer la famille. Mais bien vite les gens s'en allaient. Et ne resta que les proches. Puis le silence.

La mère de Maika lui dit qu'elle allait se coucher, qu'elle rangerait demain. Ma jeune fille n'était pas dupe. Elle l'avait vu avaler un somnifère il y a 10 minutes, comme elle le faisait tous les soirs depuis la mort de son père. Sa mère allait s'écrouler dans exactement 5 minutes et ne reprendrait conscience que dans 10 heures.

Elle ne pouvait pas la juger. Ce serait tellement bien de pouvoir sombrer pendant quelques heures. Ne plus penser à rien.

Maika rangea ce qu'elle pu. Jake l'aida et au bout d'un moment lui dit d'arrêter.

"On a pas besoin de faire tout ça ce soir."

Elle haussa les épaules.

"Vient, on va prendre l'air," lui murmura-t-il en la tirant par le bras. 

***
Bonjour à tous,

J'espère que ce chapitre vous a plu, n'hésitez pas à appuyer sur la petite étoile en bas du chapitre, ça fait toujours plaisir et ça boost la motivation quand on sait que son histoire plait :)

A très vite,

WSC.

Let Me Out - The CallOù les histoires vivent. Découvrez maintenant