La fête battait son plein grâce à la sono réglée pour dévaster les vitres du quartier. Une petite centaine de sous-officiers s'était déplacée pour l'occasion.
« Tenue civile décontractée » disait le message.
Personne n'avait osé les tongs, mais le personnel féminin était à peine reconnaissable. Pas de chignon strict, pas de rangers ou de treillis pour cacher les formes. Certaines en jouaient ouvertement, se déplaçant avec une nonchalance suspecte. La chasse était ouverte.
Sandrine constata atterrée l'étrange attitude de certains collègues. Entre ceux qui s'amusaient toute la semaine avant de rentrer jouer au mari idéal le week-end, et celles qui cherchaient à harponner le meilleur parti, les illusions sur le sérieux et la fidélité en prirent pour leur grade.Un groupe soudé attira plus particulièrement son attention. Au milieu des hommes présents, une brune pulpeuse prénommée Johanna assurait le spectacle en se pressant sans pudeur contre un adjudant, un certain Florent. Lorsqu'un troisième militaire, un blond typé norvégien vint se coller à la jeune femme côté pile, Sandrine se mit à rougir. Les rumeurs étaient donc vraies. Ces trois-là étaient si intimes qu'ils partageaient bien plus qu'une bière.
— Pfff, mais balancez-leur de l'eau froide nom d'un chien ! grimaça-t-elle.
— Ouaf ! fit une Amélia amusée en la rejoignant. Tu es jalouse ?
— Ah non alors ! Enfin... pas vraiment.
— Ils s'aiment, tu sais ?
— Qui ? Eux trois ?
—Oui. Johanna, Sébastien et Florent forment un véritable ménage à trois. C'est facile de juger de l'extérieur, mais j'avoue qu'ils paraissent super heureux. Tout comme je le suis avec mon modèle unique. L'amour, c'est la seule chose qui importe vraiment. Quand tu le trouves, tu le préserves.
— Je suis heureux de l'entendre, ajouta le grand gaillard tatoué qui la suivait. Au moins, je suis sûr que tu n'as pas besoin d'aller voir ailleurs ! fit-il en l'enlaçant. Salut Sandrine, ça va ?La jeune femme lui rendit son sourire et acquiesça. Bientôt rejoints par d'autres personnes, la discussion s'anima et les rires retentirent, attirant toujours plus de monde sur le parvis du mess. Au bout d'un moment, la salle devenue étouffante se vida au profit de la douceur nocturne.
Se tournant pour attraper le verre tendu par un camarade, Sandrine manqua en renverser le contenu sur la chemise de son collègue. Malgré sa participation à une conversation dans un groupe proche, Joffrey ne la quittait pas des yeux. Il lui adressa un signe de tête.
Les muscles des épaules crispés et les dents si serrées qu'il lui devenait difficile de prendre une gorgée sans en faire couler la moitié sur le menton, Sandrine vit l'homme se déplacer de manière à se tenir dans sa ligne de mire. Le regard brûlant de convoitise sondait chacun de ses gestes, de ses rires et les personnes qu'elle regardait. Malgré son interdiction d'en faire de même, Sandrine sentit son trouble augmenter à mesure que les minutes passaient.
Il céda le premier, prenant congé de ses camarades sous son regard dépité. Notant son humeur assombrie, Claire, qui venait d'arriver, lui assena un petit coup amical dans le bras.— Maintenant que Predator nous a lâchement quittés, on trinque ?
Plus l'heure avançait, plus Sandrine se sentait exténuée et déçue. Elle s'isola du groupe et fixa le chemin emprunté plus tôt par Joffrey. Markus, le compagnon de Claire vint la rejoindre et stoppa son geste au moment où elle portait un shot de rhum-coca à ses lèvres.
— Boire ne le fera pas réapparaître, et encore moins disparaître. Tu devrais rentrer te reposer. Ceci dit, je suis mal placé pour donner des conseils, d'autant que j'ai été à ta place. Mais c'est étrange, son attitude m'incite à croire que les choses ne sont pas aussi simples qu'elles y paraissent.
— Tu crois ?
— Oui, tout autant que je crains qu'il te fasse beaucoup de mal si tu t'attaches sans te préserver un minimum. Laisse-le venir jusqu'à toi si c'est ce que tu désires. Mais exige un engagement concret.
— Il n'a jamais été une aventure sans lendemain.
— Je n'en doute pas. Tout comme je sais qu'un type comme lui a sûrement eu la trouille de ce que tu lui faisais ressentir. Crois-moi, il n'a pas dû bien vivre votre séparation, sinon il n'aurait jamais demandé sa réaffectation dans cette région. Il y a de grandes chances qu'il soit revenu pour toi. Mais ménage-toi une porte de sortie, Sandrine.
— Ne t'inquiètes pas !
— Si, un peu, quand même. Parce que tu vois, moi, j'en suis incapable avec Claire, finit-il en jetant un regard vers la brune qui pétillait comme une bulle de champagne.Sandrine ressentit alors toute la douleur qu'un amour passionnel imposait à celui qui ne savait s'en préserver. Markus Faranti en était la preuve. Heureusement pour lui, il avait trouvé en Claire la compagne idéale. Une femme indépendante, folle amoureuse et refusant la fatalité. Son côté solaire guérissait peu à peu son homme de ses démons. Elle aussi aurait voulu posséder la faculté d'influencer positivement les autres. Mais la plupart du temps, elle ne parvenait qu'à subir les événements. Sa passivité l'excédait sans pouvoir y remédier. Ce n'était tout simplement pas dans sa nature.
— Markus, tu parles en sage, dit-elle en enlaçant le colosse.
— À ton service. Je t'excuse auprès des autres si tu veux, répondit-il en l'embrassant sur la joue.
D'instinct, il se tourna vers Claire pour lui adresser un discret sourire. Sa compagne lui répondit en soufflant un baiser vers lui du bout des doigts.
— Oui, je préfère, répondit Sandrine. Merci pour tout, tu es une vraie source d'inspiration.
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Cœur d'homme, âme de soldat 5 : Là où tout a commencé
Romantik« Une figurante n'a pas le droit d'afficher des émotions trop complexes. Au mieux, on lui prête une histoire tragique dont on se sert à titre d'exemple. Au pire, sa vie est si terne qu'elle meuble juste l'espace au sein de l'intrigue principale. » S...