Chapitre 2

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Basculant sur l'épais tapis du salon, ils restèrent enlacés, s'embrassant avec une tendresse qui ne leur ressemblait pas. L'homme se laissa aller contre elle, enfouissant son visage dans ses cheveux. Elle pouvait entendre sa respiration se calmer. Son pouls accéléra de nouveau. Il y avait un côté animal derrière son image froide et policée. Une sauvagerie déstabilisante qu'il n'avait pas avant.

Une fois l'effet de l'orgasme estompé, la réalité lui sauta au visage. La situation ne pouvait durer indéfiniment sous peine d'en mourir. Se haïr, se sauter dessus et se quitter commençait à sérieusement user les réserves de la jeune femme. Il en allait de même pour Joffrey, sinon il n'aurait pas tenté de forcer sa porte. Sans parler des accusations qui revenaient systématiquement sur le tapis. Il était temps d'éclaircir tout cela.
La principale question restait en suspens. Inconsciemment, ils reculaient le moment d'aborder le sujet, sentant instinctivement les dégâts qu'il allait occasionner. Hélas, se taire empoisonnait leur histoire aussi sûrement que leurs actes passés l'avaient pulvérisée.

— Joff ? se décida-t-elle en secouant légèrement l'épaule de son amant.
— Mmm ?
— Je voudrais qu'on crève l'abcès une bonne fois pour toutes.

Il roula sur le côté et la dévisagea. Son regard était aussi intense que durant le sexe. Troublée, elle patienta quelques secondes, espérant qu'il fît le premier pas. Ce ne fut pas le cas.

— Lorsque je t'ai surpris avec... elle.

Marquant une nouvelle pause, elle déglutit, incapable de prononcer le prénom de celle qu'il était en train de baiser, quand elle était rentrée de sa séance de gym. Ce délicat moment où sa vie avait basculé dans un cauchemar sans fin.

— Ça durait depuis combien de temps ?

Joffrey rompit le contact visuel et s'allongea sur le dos, les yeux dans le vague.

— Depuis environ cinq minutes avant ton arrivée.
— Je... je ne comprends pas. Pourquoi m'as-tu accusée alors que c'est toi qui me trompais ? Pourquoi m'as-tu fait passer pour une salope qui se faisait sauter par n'importe qui ?
— Parce que l'annonce de ma mutation t'a changée. Tu as commencé à sortir plus souvent, à faire du sport avec l'autre.
— L'autre ?
— Ne fais pas l'innocente Din. Respecte-nous en étant honnête.
— Mathieu.
— Oui. Celui-là. Je n'ai pas supporté.
— Que je fasse du sport avec Mathieu ? Mais quelle espèce de malade es-tu ?
— Le malade que tu as trompé avec ce même Mathieu.
— Pardon ?
— Je l'ai entendu s'en vanter pendant un footing avec d'autres gars.
— Je n'ai jamais couché avec Mathieu ni avec qui que ce soit d'autre ! cria-t-elle en se redressant.
— Cela m'a été confirmé. De ta bouche même.
— Explique-moi, Joff. S'il te plaît, c'est important. Quand as-tu entendu une chose pareille et qu'est-ce que je disais exactement ?
— Tu revenais d'une de tes fameuses séances...
— Et ?
— Tu étais au téléphone. Tu te cachais de plus en plus souvent pour passer tes appels. En gros, tu disais que tu cherchais à maigrir pour « lui », parce qu'il était trop sollicité. Qu'en tant que sportif, il méritait d'avoir une copine à la hauteur. Tu disais aussi que tu étais prête à tout quitter pour « lui », que tu attendais qu'il te le demande. Et d'autres conneries du même acabit.
— Je suis atterrée, Joffrey. Atterrée.
— Tu peux l'être, je n'aurais jamais dû entendre tout ça. Mais c'est ainsi. Je vivais déjà ma mutation comme une épreuve. Tu t'éloignais. Puis tu avoues à demi-mot vouloir me plaquer pour cet abruti. Ajouté aux « confidences » publiques de ton amant, j'ai pété les plombs. J'ai pris conscience de ce que tu représentais pour moi.

La jeune femme tenta tant bien que mal de retrouver son souffle derrière le rideau de ses cheveux. Ce qu'elle soupçonnait s'était donc produit. Il ne lui avait jamais fait confiance. Parce qu'il n'avait jamais vraiment cru en leur couple. Dès lors comment aurait-il pu comprendre qu'elle parlait de lui, Joffrey Campier, à une de ses amies ?

— Je ne représentais donc rien avant cela ? Il aura fallu une blessure d'ego pour que tu réalises tenir à moi ? Jusqu'à quel point d'ailleurs, Joff ? Pas bien loin apparemment.

Il se redressa à son tour et l'obligea à le regarder en repoussant les mèches qui dissimulaient son visage. Les larmes ne coulaient pas mais il la sentait au bord du précipice. Malgré sa fragilité, Sandrine ne pleurait jamais. Il l'avait vu hurler en le découvrant en train de sauter grossièrement et sans entrain une collègue qui le draguait depuis des mois. Il l'avait vu refroidir à chaque fois qu'il avait tenté de lui parler les jours suivants. Il l'avait vu souffrir alors qu'elle lui annonçait leur rupture sans chercher à comprendre pourquoi il avait agi ainsi. Enfin, il l'avait vu s'éteindre alors qu'il jetait sa dernière bombe au cours de la soirée des partants organisée par le régiment. Sur le coup, elle n'avait pas réagi, peut-être un peu pâli avant de tourner les talons. Une autre l'aurait écorché vif en entendant son ridicule petit discours d'adieu.
« Je suis ravi de poursuivre ma carrière en Guyane, je pars sans regret, en espérant y trouver un travail passionnant et rencontrer une compagne fiable et fidèle, cette fois. Sur ce, bonne soirée et bonne continuation à mes camarades ».
Le chef de corps avait fait passer cette sortie pour un excès d'alcool, mais les mots avaient fait le tour du régiment. Complètement détruite, Sandrine avait vu affluer les demandes de tous les pires queutards de la garnison, avant que ses amies ne fassent bloc autour d'elle et la protègent.

— Je suis d'accord, fit-il adouci, ma réaction a été démesurée.
— Ce que tu ignores, c'est que je parlais de toi, Joff. Pas de Mathieu.
— Qu'est-ce que tu racontes ? Je t'ai entendue !
— Non Joff, tu as réinterprété mes paroles à travers un prisme déformé. Celui de tes propres doutes. Les « confidences » de Mathieu n'étaient que des vantardises de mec ! Il me courrait après depuis des semaines. Mais il n'était pas le seul et je ne me suis jamais intéressé à qui que ce soit en dehors de toi. Si je voulais maigrir, c'était pour entrer dans TES standards. Tu crois que j'ignorais qui tu fréquentais avant moi ? Des filles magnifiques et filiformes ! J'attendais que tu me proposes de te suivre en Guyane. J'avais même demandé à une de mes copines d'appuyer ma propre demande de mutation ! Cette histoire est une abomination ! Ça me donne envie de crever ! Ça fait trop mal ! Je n'aurais jamais dû te demander de me dire la vérité. Tu ne m'as jamais proposé de venir en Outre-Mer avec toi. C'est toi qui t'es éloigné quand l'ordre de mutation est tombé, pas moi ! À l'époque, j'ai tout pris dans la figure parce que ton infidélité m'avait anesthésiée. Je refuse de revivre une horreur pareille. Plus jamais ça. C'est pour cela que je crois qu'on ne peut pas continuer. Nous sommes incapables de communiquer.

Joffrey voulut la prendre dans ses bras, avant de renoncer. Il fallait qu'il s'éloigne,qu'il digère tout ça. À moins que ce ne fut pour lui laisser le temps nécessaire pour y voir plus clair. Car au fond de lui, il avait toujours su la vérité. Sandrine était trop réservée avec lui pour exiger quoi que ce soit. Jusqu'à maintenant.

— S'il-te-plaît, je veux que tu partes.

Anéanti, il se leva, ramassa ses vêtements qu'il enfila rapidement, ne se sentant plus le droit de la toucher. Il avait détruit la femme de sa vie par orgueil, sans comprendre qu'elle n'attendait qu'un geste de sa part. Il avait tout gâché, tout sali. Bêtement. Son frère aurait été fier de sa performance. « Bravo Joff, aurait-il lancé. Tu as bien appris ta leçon ; tu baises, tu ne t'impliques pas, tu casses ton jouet, et tu restes seul ».

Mais putain, que veulent les femmes ?

Peut-être commencer par tout avouer, même le plus abject, présenter ses excuses et lui dire qu'il l'avait toujours aimée...

Cœur d'homme, âme de soldat 5 : Là où tout a commencéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant