|Chapitre 6|

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La journée avait été longue. Attendre était long. 

De plus, j'avais perdu mon carnet lorsque le bateau avait coulé et je ne pouvais même plus passer le temps en écrivant. 

Alex était toujours assit près de moi tandis que Tommy et Gibson se trouvaient derrière nous. La mer montait de plus en plus de telle façon à ce que je puisse presque voir les visages des cadavres qui continuaient de flotter à la surface, malmenés par les vagues.

C'est alors que, sur notre droite, nos regards furent attirés par un soldat seul qui marchait d'un pas déterminé vers la mer. 

Je fronça les sourcils, ne comprenant pas vraiment ce qu'il voulait faire. Il était seul et n'avait aucune barque à sa portée. N'espérait-il tout de même pas nager? Ce serait profondément stupide.

Un peu avant d'atteindre l'eau, il laissa tomber son fusil à même le sol, puis fit de même avec son sac, son casque et sa veste. Je compris alors que non, cet homme n'était pas prit d'une vague d'espoir, déterminé à retourner en Angleterre. Au contraire. Tout espoir l'avait quitté. 

Laissant ses affaires derrières lui, il avança dans l'eau puis, la tête la première, se jeta dans les vagues. Son corps flotta quelques secondes mais il ne nagea pas, se laissant emporter. Et au bout de quelques instants, son corps cessa de remonter. 

Une boule se forma dans ma gorge sèche. Les hommes ne mourraient pas seulement au combat. La guerre brisait leurs esprits. 

Mon nez se mit alors à me piquer et je sentis les larmes monter. Bien décidée à rester forte, je tenta de les ravaler mais malgré moi, mes pupilles s'humidifièrent.

C'est alors que Alex se leva. Ce mouvement me fit réaliser que notre petite proximité m'avait légèrement réchauffé car lorsqu'il s'éloigna, un vent frais vint me faire douloureusement frissonner. 

Mes bras, entourant  mes genoux, se resserrèrent d'avantage sur eux même. Si nous restions comme ça encore longtemps, c'était le froid qui finirait par me tuer. 

Le garçon aux yeux verts marchait sans un mot vers l'endroit où le soldat s'était noyé. En temps normal, je me serai posé un tas de questions. Je me serai demandé pourquoi il faisait ça, si il voulait lui aussi abandonner ou si, par un acte héroïque, il essaierait de sauver la vie de ce pauvre homme. Mais le froid et la faim m'empêchaient de résonner normalement. 

En silence, je le regarda donc faire, et à ma grande surprise, le vis ramasser la veste du soldat qui était étalée sur le sable. Il fit ensuite demi-tour, revenant vers nous.

Secouant le vêtement pour en faire tomber le sable, il le posa ensuite sur mes épaules, ce qui me fit tressaillir. Déjà à cause de sa chaleur. L'homme qui venait volontairement de se noyer avait réchauffer la veste avec sa chaleur corporelle et cette sensation me surprit. Puis elle me dégouta. Je portais la veste d'un soldat qui venait de se retirer la vie devant nos yeux... C'était inhumain. 

-Il n'en a plus besoin. Fit Alex en voyant l'hésitation sur mon visage. Au moins sa mort sauvera une vie. 

J'acquiesça, toujours silencieuse. Malheureusement, il n'avait pas tord. Et puis, mon corps était tellement froid que c'était psychologiquement impossible pour moi de retirer cette source de chaleur. Daignant décroiser les bras, je les glissa dans les manches larges de la veste avant de la fermer d'une main tremblante. Elle était beaucoup trop grande pour moi. Mais c'était bien le dernier de mes soucis. 

Comme je l'espérais secrètement, Alex se réinstalla contre moi et je le remercia du regard. Ici, c'était chacun pour soit. Et pourtant, il semblait essayer de veiller sur moi. 

A flotOù les histoires vivent. Découvrez maintenant