Chapitre 10

3 1 0
                                        

Chapitre 10


Adrest avait appris avec le temps à rendre sa démarche complètement silencieuse, si bien qu'il n'avait presque plus besoin d'y faire attention. Il adorait cette sensation : voir les autres sans qu'ils ne perçoivent sa présence. Comme à chacune de ses missions nocturnes, il était vêtu des habits des Atlantes : un frac abîmé et couvert de boue séchée et des guêtres qui couvraient ses bottes de cuir. Ses yeux s'étaient avachis pour prendre la forme des Atlantes et des arabesques bleues tournoyaient autour de ses paupières. Ses cheveux, eux, étaient maintenant d'un rouge sombre et leurs boucles venaient chatouiller sa nuque. Il avait volé ce visage sur un cadavre d'une des premières batailles entre l'Est et les Atlantes, d'ailleurs, ses vêtements venaient du même mort. Il était cependant incapable d'illuminer ses pupilles dans l'obscurité : il pouvait imiter l'apparence, mais les gènes eux-mêmes... Il n'y avait guère que la reine de l'Ouest qui en aurait été capable. Cela avait au moins l'avantage de le rendre plus discret encore dans ce camp d'Atlantes.

Les tentes des Atlantes se transformaient petit à petit en bâtiments plus stables faits de bois : ils n'avaient absolument pas l'air d'avoir envie d'abandonner. Cela faisait 10 ans que les Daressiens les affrontaient, mais personne n'avait encore été capable de déterminer quel était le véritable but de ces envahisseurs. Cela dit, il n'y avait eu que très peu de rencontres formelles entre les deux camps : la seule mémorable avait été celle avant la conquête de Kéos par Rylem. Ce dernier avait rendu visite à tous les souverains de Daress : sa seule demande avait été de récupérer les Coeurs d'Éléments. Mais tout le monde savait comment cela avait fini : Kéos envahie, les rejetons royaux disparus !

Adrest jeta un regard par delà une tente : celle de ses contacts n'était pas loin. Il savait maintenant avec exactitude quand les rondes avaient lieu et dans quel ordre. Mais il ne pouvait pas se permettre de se mettre plus en danger que nécessaire : après tout, il était un des éléments les plus importants pour l'Est dans cette guerre. En toute modestie. Et s'il y avait bien une chose qu'il ne pouvait supporter, c'était l'idée que son pays puisse perdre : la fierté du clan Kharin avait décidément la peau dure.

Avec une démarche naturelle, il traversa les allées entre les tentes. La clé était de ne penser à rien, ou alors à ce que quelqu'un dans une telle situation aurait en tête. Il ne fallait en aucun cas ruminer sa fausse identité. Ça lui était déjà arrivé de se faire repérer de la sorte : à peine l'avait-on salué qu'il avait rétorqué son nom volé en panique. Il s'arrêta enfin devant une tente, d'où on pouvait voir les flammes d'un feu danser contre la toile. Il jeta un rapide coup d'oeil tout autour de lui, vérifiant tout de même qu'il n'y avait pas de véritable Atlante autour de lui, ou même qu'il n'avait pas été repéré. On ne savait jamais : la générale Alfnée était vraiment redoutable.

Comme une ombre, il se glissa à l'intérieur de la tente, si bien que les deux personnes assises à côté du feu bondirent sur leurs pieds, la peur leur saisissant le coeur. Adrest oubliait souvent qu'il avait sur lui un visage ennemi : il leur donna un sourire complice, en faisant un signe rapide de ses mains. Aussitôt, ses interlocuteurs se détendirent, sans pour autant se rassoir. Il y avait là une femme et un homme, avec l'âge ils ne faisaient que se ressembler de plus en plus. Adrest se souvenait du jour où ils s'étaient engagés auprès de Naranbaatar, envoyés par Maxime Sylow après la chute de Kéos, pour rejoindre les rangs d'Alfnée et lui servir d'espion. Ce n'était pas étonnant : beaucoup de Daressiens, notamment les Chasseurs, étaient venus grossir les rangs des Atlantes.

- Bon, Alley et Allia, j'espère que vous avez des bonnes nouvelles, on en manque cruellement en ce moment ! Souffla Adrest en s'asseyant sur un de leurs lits de camp.

Alley croisa ses bras sur sa poitrine : ses cheveux roux ne cachaient plus la moitié de son visage, ses yeux en amandes étaient à présent découverts et un léger bouc était venu couvrir son menton. Allia, elle, avait coupé ses cheveux noirs et ses traits étaient devenus bien plus durs. Tous deux avaient leurs yeux entourés de grandes cernes noires, de même, des bleus et des estafilades couraient partout sur leurs bras et leurs joues. Décidément, la guerre était dure pour tout le monde.

Daress - Tome 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant