Chapitre 28 - page 1

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Avec son nouveau statut, Uther vit s'installer une nouvelle routine au fil des semaines.

La majeure partie de ses activités journalières se passaient désormais dans le quartier général de la guilde, où il s'employait à seconder Harmön dans sa tâche, laquelle était essentiellement du traitement d'information.

Au cours de sa maigre expérience de voleur, Uther avait vaguement entendu parler du système de communication utilisé par la guilde, pour échanger avec leurs commanditaires via des mendiants, mais désormais, il put observer et apprendre toutes les étapes de cette curieuse chaîne d'information.

D'abord, les rabatteurs se chargeaient de laisser traîner leurs oreilles ici et là dans les tavernes, sur les places, ou au marché, à la recherche de quelque pauvre diable ayant besoin d'un service, un pigeon comme ils les appelaient.

Lorsqu'il en avait repéré un, le rabatteur lui glissait un message dans la poche, à son insu, le genre de mot mystérieux invitant à formuler un vœu, par écrit, précis et détaillé, que la bonne fortune se chargerait d'exaucer pour lui.

Une rue et un numéro étaient indiqués sur le message, sans autre indication que celle de s'y rendre, si le pigeon était intéressé. L'adresse était réelle, mais en vérité, elle était choisie au hasard et ne correspondait à aucun lieu appartenant de près ou de loin à la guilde. C'était une précaution bien avisée, car si, par malheur, le pigeon se prenait à avoir le moindre état d'âme, ou s'il venait à s'effrayer, il pouvait tout à fait remettre le message à la milice. Dans ces cas-là, le lieu faisait rapidement l'objet d'une perquisition et ses pauvres habitants, innocents, étaient arrêtés pour subir un interrogatoire.

Que ce triste scénario se produise, ou que le pigeon vienne pour formuler sa demande, rien n'échappait à l'œil du mendiant placé dans la rue, qui tenait le pigeon à l'œil pour se rendre compte de ses intentions. Les voleurs appelaient ces mendiants des yeux de chat. Si le pigeon était sûr selon l'estimation de l'œil de chat, alors, ce dernier l'interpellait et réclamait le message.

L'œil de chat gardait ensuite le message toute une journée, afin de s'assurer qu'il n'était pas suivi, ou repéré, puis, un ramasseur venait lui échanger le message contre un écu, un salaire largement suffisant pour que le mendiant tienne sa langue et souhaite réitérer l'opération.

Enfin, la requête était rapatriée au premier étage du quartier général et déposée sur le bureau d'un frère, qui se chargeait d'estimer la valeur du service demandé.

Si le message était mal formulé, incomplet ou douteux, il était simplement détruit. Mais, s'il avait quelque intérêt, alors une réponse était glissée sous la porte du pigeon.

Cet ultime message indiquait le montant à verser pour que son vœu soit exaucé, montant qui devait spécifiquement être constitué de pièces de monnaie seulement. Pas de bon au trésor, ou autre billet de banque en papier, car le pigeon avait pour instruction d'abandonner son paiement au fond du puits de la place de la Foi.

Si la somme était versée dans les deux jours, alors la requête terminait sur le bureau d'Harmön, qui en préparait la mission.

Pour les requêtes les plus difficiles, une réunion pouvait avoir lieu, au cours de laquelle le chef et quelques élus débattaient, pour trouver la meilleure stratégie possible.

Il en ressortait toute sorte de missions, du maigre vol au grand cambriolage, du petit sabotage à l'incendie, du passage à tabac à l'assassinat.

Uther voyait défiler chaque ordre de mission, car Harmön l'avait chargé du classement des assignations. Il s'occupait également des rapports que déposaient les frères, une fois leur mission accomplie.

Lorsqu'un rapport tombait, il devait le lire et en faire un bref résumé à Harmön.

Cette partie-là de son travail, quoique secondaire, était assez intéressante et loin d'être désagréable, mais, non content d'avoir fait de lui son secrétaire, Harmön le chargeait aussi chaque jour de nouvelles corvées, comme porter ses courriers, faire ses commissions, parfois même lui préparer ses repas.

Des tâches quelque peu grotesques pour un guerrier de sa trempe.

La place privilégiée, que devait lui offrir son nouveau statut, se révéla être une véritable punition pour Uther, qui ne goûtait guère à ces diverses formes d'humiliation.

Il réalisa rapidement que devenir le disciple du maître, voulait surtout dire s'occuper de son intendance, comme un laquais, ce qui était loin d'être une position glorifiante, ou honorable.

En plus de cela, il semblait bien qu'Harmön prenait un malin plaisir à lui donner des ordres de plus en plus ridicules et avilissants, comme nettoyer sa tunique, cirer ses bottes ou graisser ses armes.

Toutes ces corvées n'étaient en vérité que peu de choses, en comparaison de ce qu'il avait pu endurer sous la coupe d'Irina, et pourtant... Il ignorait si ces souffrances passées avaient été plus tolérables parce qu'il s'agissait d'elle, ou bien parce qu'il avait été prévenu par Ticaü de ce qui l'attendait à ce moment-là, néanmoins, il était certain que ce qu'il vivait à présent, sous la tutelle d'Harmön, lui semblait bien plus avilissant.

Après quelque temps, sa patience arriva à terme et, plusieurs fois, il songea à renoncer à cette mascarade.

Heureusement, Ticaü sut trouver les mots pour l'en dissuader, l'encourageant chaque fois à tenir bon. D'après lui, ce petit manège n'était destiné qu'à faire état de sa loyauté. Harmön ne faisant, en réalité, que mesurer jusqu'à quel point Uther lui obéissait au doigt et à l'œil.

Il écouta donc les sages conseils de son ami, se fit violence et continua d'endurer chaque humiliation, en tentant d'ignorer la frustration qui grandissait un peu plus chaque jour.

À ce stade, il n'était encore jamais parti en mission en compagnie du chef de la guilde. Il était sans doute trop tôt pour être digne d'un tel honneur. Pourtant, il nourrissait toujours un espoir, chaque fois qu'il le voyait se préparer, à la tombée de la nuit. Mais, chaque fois, au lieu d'être sollicité, il était congédié jusqu'au lendemain.

Là encore, sa patience était mise à rude épreuve, car il ignorait tout de chaque mission pour laquelle Harmön s'apprêtait sous ses yeux, mais savait pertinemment qu'aucune ne figurait parmi les officielles. Si Harmön ne s'en cachait pas, pourquoi ne pas le faire participer, dans ce cas ? Sa frustration grandissait.

Sachant tout ce que Ticaü lui en avait dit, il brûlait plus que jamais de découvrir si les soupçons de ce dernier étaient fondés ou non.

Après tout, n'était-ce pas là le but de cette infiltration et la raison pour laquelle il devait endurer tout ceci ?

Rongé par l'impatience, Uther se mit à réfléchir à un moyen de faire bouger la situation. La meilleure solution qu'il trouva était de suivre Harmön, car, à défaut de savoir où il se rendait, il savait l'heure précise à laquelle il partait. Il était donc très facile pour lui de feindre de rentrer, après avoir été congédié, puis de lui filer le train sans qu'il le remarque.

Mais, comme il se refusait d'agir sur sa seule initiative, il voulut d'abord soumettre son idée à Ticaü.

Ce dernier, qui était, comme nous le savons, un homme des plus avisés, le garda de commettre une telle erreur. Il lui expliqua qu'il était fort probable que, là encore, Harmön cherche à le tenter volontairement, pour éprouver sa patience et sa docilité, tout en cherchant à découvrir s'il n'avait pas quelque intention cachée derrière sa loyauté de façade. Et, si Ticaü avait raison, alors il fallait aussi envisager qu'à chaque fois qu'Harmön congédiait Uther, un frère était chargé de le suivre discrètement pour vérifier ses moindres faits et gestes.

Devant tant de sagesse, Uther ravala son impatience, retint la leçon et se borna à rester très sagement chez lui, en s'appliquant à contenir l'insolence de son impétuosité, au profit de la patience.

Cela lui donna l'occasion de méditer sur les nombreux conseils de Ticaü, qui lui enseignait chaque fois un peu plus de sagesse, tout en lui inculquant progressivement les délicates ficelles du métier d'espion.

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Un reflet dans la lame 🏆 (Roman)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant