Chapitre 18 : Léonore - "Le Malamour"

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Le Malamour, Barbara Pravi

« Il m'attirait comme un aiment

Moi la mal-aimée, lui le mal-aimant

Si je n'avais pas touché le sol

Ce jour-là je serais devenue folle

Je n'ai plus honte, il faut que tu saches assez

De toutes les plaies que l'on cache

Et de tous les cris que l'on garde en soi

Tout ce mal qu'on se fait par amour»

Mon reflet me fixe et son regard moralisateur me fait baisser les yeux. Ce matin, mes pieds se sont arrêtés devant mon miroir et je n'arrive plus à les en enlever. D'habitude, je ne m'y attarde pas. Ou, du moins, j'essaye de ne pas m'y attarder. Je l'ai même recouvert d'une toile opaque. Sauf que j'ai croisé son regard en me levant, et que depuis, je n'arrive plus à m'en détacher. Des milliers de pensées se bousculent dans ma tête. De plus, le sommeil n'arrange pas les choses. Je ne parviens pas à toutes les identifier.

Je ne supporte pas ce que je vois.

Cette seule certitude me fait frémir. Mes doigts commencent à trembler lorsque je relève la tête pour affronter mes pupilles dilatées.

Mes cuisses sont si fines qu'un espace énorme s'est creusé entre elles. Mes jambes semblent avoir du mal à supporter mon poids, comme des fils de fer mal aiguisés. Quant à mes bras, ils sont aussi frêles que des roseaux.

Je n'ai que la peau sur les os.

J'aurais dû manger.

Je regrette d'avoir régurgiter la nourriture que j'ai essayé d'avaler cette semaine. En fait, j'aurais mieux fait de manger. Les médicaments ne suffisent pas. Ils ne suffisent plus. Je le lis dans les yeux de Laura : si je ne me reprends pas en main, on va m'enfermer.

Encore.

Je ne supporterai pas d'y retourner.

Les infirmières, l'enfermement, la solitude, la fatigue, l'ennui, la folie...

C'est décidé : cet enfer ne recommencera pas.

Hors de question.

Je lâche la glace des yeux et me dirige à pas de loup vers la cuisine. Peut-être que si je ne fais pas de bruits, personne ne s'en rendra compte.

Peut-être que ce moment ne sera pas inscrit dans la ligne du temps si personne ne m'entend...

J'attrape le petit escabeau et ouvre les portes du placard interdit, celui qui surplombe tous les autres.

Or, s'il est là, c'est pour une bonne raison.

J'attrape d'une poigne faible les paquets qui s'y trouvent et le referme.

Je devrais les reposer.

Des brides de souvenirs des murs blancs de l'hôpital me parviennent. Et je descends. Je ne prends pas la peine de me rendre dans la salle à manger et m'assis à même le sol.

Il faut que je prenne du poids.

Une première bouchée.

Mon corps en réclame plus.

Hold My HandOù les histoires vivent. Découvrez maintenant