Essai 15 : PDV Alice

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-Amanda...
Je la fixe, choquée. Son visage... Marqué de trois plaies. Trois coups de lame traversant ses traits. Trois cris du cœur dont sa minutie et sa finesse habituelles ont été au service. Mon estomac s'alourdit. Je sens mes sens se retourner. J'ai envie de vomir. La voir ainsi... Que cela signifie t il ?
-Bonsoir Alice.
-Cesse tes fausses courtoisies. Pourquoi ? Pourquoi as tu fais ça ? Dis le moi, je t'en supplie. J'ai besoin de te l'entendre dire. De t'entendre dire que tu n'as aucune excuse. Que ce n'était pas quelque chose de calculé. De prévu à l'avance. De décidé par quelqu'un d'autre que toi. De fait pour accomplir un objectif précis.
-Tu es perspica/
-Empathique, je sais ce que c'est. Tu ne m'enleveras pas le fait d'avoir vécu au moins ça avant toi.
-Mais tu ne me feras jamais admettre de telles folies.
-Tu es bien mal placée pour exprimer un quelconque désir de cacher ta folie.
-Je te retourne le compliment. Tu gagnes en répartie.
-Ils t'ont frappé ?
-Qu'ils essayent.
-Tu ne ferais rien.
-Pas de suite. J'ai plus de patience que mon ombre.
-Je ne suis pas ton ombre. Tu es la leur.
-N'es tu pas venue pour m'infliger ta compassion ?
-Tu te plairais bien trop à en rire.
Ma gorge se serre au fur et à mesure que les mots sortent. Je ne tiendrais pas longtemps. Je hais cette ambiance. Pourtant je perçois quelque chose d'étrange. J'ai la sensation qu'on tourne autour du pot. Je peux obtenir quelque chose d'elle ce soir. Je ne veux pas gâcher cette chance. Je peux le faire. Je peux affronter son regard. Son sang séché, essuyé à la va vite. Sa peau taillée.
-Ne pleure pas. Pas déjà. Tu as bien vu ce qu'il était du fait de montrer ses sentiments.
-Quelque chose me dit que tu souhaiterais recommencer.
-Bien sûr que je le souhaite. Je voudrais ne jamais m'arrêter. Ils devront affronter une part de la vérité chaque jour désormais. Affronter le fait de la regarder dans les yeux.
-Tu comptes les cacher ?
-Non. C'est indissimulable.
-Ils te forceront à consulter.
-Peut être. J'esquiverai les choses, comme toujours. Tu commences à me connaître.
-Seulement ce soir. Je ne sais rien de toi.
-Tu as du potentiel Alice.
-Du potentiel pour finir comme toi ? À gâcher ma vie pour leur prouver qu'ils ne sont pas les plus forts ?
-Entre autres.
Elle pose sa tasse sur le bureau derrière elle, puis se tourne vers moi en me fixant droit dans les yeux. On ne devinerait pas qu'elle a pleuré. Si son visage ne le montrait pas, personne ne pourrait déceler ce qu'elle n'a pas réussi à cacher aujourd'hui.
-Tu as le droit d'être lâche. Bien que cela ne te réussisse pas plus qu'à moi. Je comprends que tout le monde n'aie pas la foi d'afficher le fait d'être un monstre là où il est impossible de le dissimuler sous ses manches.
-Tu vois cet acte comme quelque chose te conduisant à être un monstre...
Je la fixe à mon tour, osant enfin défier son regard.
-Depuis des années, c'est la seule preuve qui me permet enfin d'affirmer que tu n'en n'est pas un.
Un silence s'installe. Elle perd enfin de sa superbe devant moi. À moins qu'elle ne choisisse de me laisser finir avant de m'humilier, comme à son habitude.
-J'ai commencé à y croire pendant un moment, moi aussi. Au fait que tu n'étais que le reflet de nos parents. Mais je n'ai jamais cessé d'espérer pouvoir déceler une trace d'humanité en toi.
-Tu te crois toujours dans un film, hm ? As tu fini cette comédie ?
-Pourquoi ? Pour que tu puisses continuer la tienne ?
Je m'approche d'elle, animée d'une ardeur soudaine. Je n'ai pas le temps de me demander ce que je fais, mon corps agit pour moi. Mes mains saisissent fermement le col de sa robe de chambre.
-Arrêtes de me parler comme si j'étais eux. Je ne suis pas eux.
Je n'arrive plus à me retenir. Mes larmes coulent sans que je ne puisse rien y faire. Je lui parle avec mon cœur. Ne serait ce qu'une complainte visant à l'inciter à faire de même ?
-Je suis pas nos putain de parents. Je ne sais rien de toi, hormis le fait que tu n'es pas eux non plus. Tu te caches derrière tes grands airs, tu nous mens à tous, y compris à toi même, mais aujourd'hui tu m'as donné l'unique preuve que j'avais raison. L'unique signal que j'ai réussi à capter, l'unique faille que j'ai pu déceler. Alors je n'arrêterai pas d'espérer pouvoir vraiment te connaître un jour. Je veux retrouver ma sœur. Je veux me sentir légitime de passer du temps avec elle. Heureuse de la retrouver le soir en rentrant. Alors arrête de vouloir me mentir comme tu le fais avec eux. Parmi tout ce que tu as pu me faire subir, me placer au même rang qu'eux est la chose la plus humiliante que tu aies faite. Je sais que tu n'abandonneras pas ton objectif. J'ai bien compris que je n'avais ni le devoir, ni la possibilité de te faire entendre raison. De te faire entendre ma raison. Tu as la tienne, tu as tes ambitions, et je respecte ton choix. Mais je t'en supplie, laisse moi penser, au moins une fois, que moi aussi je peux continuer à avoir les miennes. Juste ce soir, brise tes foutues barrières face à moi. Je veux juste... Je veux juste t'entendre être sincère au moins une fois. Je veux juste pouvoir te dire que je t'aime au moins une fois sans avoir peur de ce que tu me répondras. Je veux juste t'entendre dire que tu m'aimes. Pour de vrai. Avec tes vrais sentiments.
Elle pose une main sur mon menton et essuie de son pouce quelques larmes sur ma joue.
-Je vais te confier un secret. Que toi seule sauras. C'est la seule chose à laquelle tu auras le droit.
Elle se penche à côté de mon oreille et murmure :
-Tu me dégoûtes profondément. Pourtant, je suis éperdument jalouse de toi. Je suis jalouse du fait qu'ils ne placent plus d'espoir en toi. Que les gens autour de toi tolèrent tes comportements ridicules. Qu'ils tolèrent le fait que tu sois toi même. Imparfaite. Trop sensible. Susceptible. Immature. Évidemment que je le suis aussi. Je suis même bien plus répugnante que toi par moments. Aujourd'hui par exemple. Il y a des jours où j'aimerai être à ta place. Où je voudrais tout te voler. Je ne comprends pas pourquoi les gens te laissent avoir l'air si pitoyable et qu'en plus de ça ils te prennent dans leurs bras et te félicitent, tandis qu'avec tous les efforts du monde je n'ai le droit qu'à du mépris et des insultes. J'aimerai de pas viser aussi haut. Pouvoir me traîner dans la boue et être adulée comme tu le fais.
Sa main serre de plus en plus mon visage. Elle se retient.
-Mais vois tu j'ai ma gloire, ma fierté. Et jamais je ne serai comme toi. Cela me convient parfaitement.
Elle me lâche. Je me recule, incrédule.
-Je ne te donnerai pas ce que tu veux, les autres s'en occupent déjà bien assez. Je n'ai pas besoin d'eux. J'obtiendrai ce que je mérite par moi même. Je ne vis au dépend de personne d'autre que moi même, et si ma seule façon d'y parvenir est d'écraser tout le monde, je le ferai.
Elle se lève, récupère sa tasse de café vide et se dirige vers la sortie, m'incitant à en faire de même.
-Bonne nuit Alice.
Sa voix est toujours aussi calme. Pas une fois elle n'a haussé le ton. Elle me dit tout ça comme si c'était la chose la plus normale, juste une simple anecdote anodine. Ce n'est pas vrai. Elle ne vit que pour nos parents. Elle est totalement dépendante.
-Oui, bonne nuit.
Elle me tient la porte. Je passe devant elle, la tête baissée, toujours abasourdie par ses derniers mots. En me dirigeant vers ma chambre, je me retourne vers elle, hésitante. Elle me tourne déjà le dos, marchant vers les escaliers. En tournant, elle croise mon regard. Le sien est redevenu habituel. Perçant, vicieux, insondable. Je pénètre dans ma chambre et me dirige dans le noir jusqu'à mon lit. Je tombe sur celui ci. Je suis épuisée. Je n'arrive pas à penser à ce qu'il vient de se passer. C'est comme s'il ne s'agissait que d'un rêve. Que rien n'était réellement arrivé. Mes yeux se ferment tous seuls. Je me sens sombrer... Amanda... Qu'as tu ressenti en faisant ça...? Qu'est ce qui se passe réellement dans ta tête...?

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