Chapitre 4

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N'importe qui aurait été profondément attristé par la mort de sa mère. Détruit. Inconsolable. Et aurait pleuré toutes les larmes de son corps.
Mais pas moi. Pas parce que je suis quelqu'un d'insensible ou de malveillant. Non.
Parce que je n'ai aucun souvenir d'elle.
Cela faisait longtemps que je fixais le mur en face de moi, des minutes, des heures, des jours... Je ne sais plus.
Je voulais ressentir quelque chose, de la tristesse, de la colère, de l'impuissance.
Mais je ne ressentais rien. Et ce manque de sentiments me faisait culpabiliser. Cette culpabilité me poussait à essayer de retrouver la mémoire. Tel un cercle vicieux.
J'entendis quelqu'un ouvrir la porte timidement et le grincement du vieux parquet sous son poids.

- "Gabriele..." Commença Adrien, en essayant de cacher son appréhension.

Je ne répondis pas. Je n'en avais ni l'envie, ni la force.

- "Gabriele... Je... Je suis désolé..." Murmura-t-il, "Je suis désolé de te l'avoir annoncé de cette manière..."

Il n'est pas désolé le moins du monde. Il est fou. Il veut me faire souffrir. Si ça se trouve ma mère n'est même pas morte.
Je tournai la tête, lentement, vers lui, jusqu'à ce que nos regards se rencontrent.
J'essayais de mettre le plus de haine que je pouvais dans mon regard. L'espace d'un instant je cru même le voir frémir. Mais je ne devais pas avoir toute ma tête à ce moment là.

- "Tu es un monstre. Je suis certaine que ma mère est encore en vie. Tu veux juste me faire souffrir. Comme le psychopathe manipulateur que tu es." Dis-je d'une voix tellement froide qu'elle aurait pu glacer le sang du plus courageux des hommes. Enfin d'après moi.

Mes insultes le firent réagir, il fronça les sourcils et serra les poings.
Mais à ce stade je n'en avais plus rien à faire. Il pouvait me tabasser, me tuer, je n'avais plus envie de vivre.
Il avançait vers moi, en marmonnant que j'allais regretter amèrement ce que je venais de dire lorsque le bruit d'une porte que l'on claque se fit entendre.

- "Papaaaaaaaaa ? T'es là ?" Demanda une voix enfantine.

Adrien se figea, en ouvrant grands les yeux, visiblement surpris.

- "Toi... Tu n'as pas intérêt à dire un seul mot..." Me prévint-il en pointant un doigt menaçant dans ma direction, "Sinon..."

Je le regardai, également surprise.
Il quitta rapidement la chambre, en prenant soin de bien fermer la porte derrière lui.

- "Ma petite chérie... Qu'est-ce que tu fais là ?"

J'entendais parfaitement Adrien parler. Les murs doivent être vraiment fins...

- "Bah maman m'a dit que je devais dormir ici cette nuit parce qu'elle allait au restaurant avec Seb ce soir..."

J'entendis Adrien grogner de mécontentement.

- "Hummm... Ok ma puce... Mais tu devras dormir sur le canapé cette fois..."

- "Anwww... Papa tu sais très bien qu'il est super dur et super pas confortable..."

- "Arrête de geindre. Tu dormiras sur le canapé un point c'est tout."

Comme je n'entendais pas la réponse de l'enfant, je tendis un peu plus l'oreille.

- "Oh Léa... Excuse moi... Je ne voulais pas te faire de la peine..." Entendis-je finalement Adrien marmonner, "Aller... Je t'emmène manger une glace, vas m'attendre dans la voiture, j'arrive."

- "Oh merci merci merci ! T'es le meilleur des papas de touuuut l'univers !" Cria la jeune fille, avant de détaler à l'extérieur.

Je ricanai.
Le meilleur papa de tout l'univers... Si elle savait...
La porte s'ouvrit et laissa passer un Adrien contrarié.

- "C'est ma fille... Ma seule enfant. Elle est née lorsque j'avais 16 ans, d'une petite salope que j'avais rencontré en boîte. Bref... Un coup d'un soir. Par contre, je tiens à ma petite Léa plus que tout au monde. Alors je ne peux pas prendre le risque de la perdre." M'annonça-t-il en s'approchant dangereusement de moi.

Je reculai dans le lit, jusqu'à ce que mon dos soit collé au mur.
Non. J'ai changé d'avis. Je ne veux pas mourir.
Je croyais sincèrement qu'il allait me tuer, mais lorsque j'aperçu le ruban adhésif dans sa main gauche, je compris. Je tendis mon bras libre vers lui, en essayant de le repousser mais il en déroula et en coupa un bout à l'aide de ses dents, puis me le scotcha sur la bouche.
Je gémis. C'est vraiment désagréable. Mais Adrien partit rejoindre sa fille prestement, tout en m'ignorant.

Cela faisait plusieurs heures qu'ils étaient partis, je voyais bien la luminosité baisser derrière les planches qui barricadaient la fenêtre.
J'étais fatiguée d'attendre, et étais obligée de me pincer pour rester éveillée.
Malgré cela, le sommeil eut raison de moi et mes paupières commençaient à se fermer.
Elle ne restèrent pas closes longtemps car, quelques minutes après seulement, la porte s'ouvrit, et j'entendis Adrien et sa fille rentrer.

- "Aller ma chérie, vas te brosser les dents, il est tard, tu dois aller au lit."

- "Oh mais papaaaa..."

- "Ne discute pas, aller bouge tes fesses !"

Elle grommela mais ses pas traînants se firent entendre quelques secondes après dans les escaliers.
La porte s'ouvrit, lentement, certainement pour faire le moins de bruit possible. Je me rallongeai précipitamment sous la couverture, et fermai les yeux. J'entendis Adrien marcher discrètement à côté du lit. Il s'arrêta et attendit. J'essayai de respirer calmement, paisiblement, pour ne pas éveiller ses soupçons. Il finit par sortir silencieusement, ne se méfiant de rien.
Sa fille finit par redescendre.

- "Bonne nuit ma puce."

- "Bonne nuit papa... Mais... Tu vas dormir où toi ?"

- "Sur un vieux matelas, dans le bureau, aller vas te coucher. Bonne nuit."

Elle grommela, et attendit que son père monte à l'étage.
Lorsqu'elle fut seule, je l'entendis s'asseoir et allumer la télé en baissant le son tellement bas que je n'entendais pratiquement rien.
Maligne la petite.
C'était une chance, elle était seule au rez de chaussée. Une opportunité. Je n'en aurai pas une seconde.
Malgré le fait que le ruban m'empêche de parler, je pouvais encore faire du bruit.
À l'aide de mon bras valide, je tapai sur le mur plusieurs fois, le plus fort possible. J'entendis un hoquet de surprise, puis le bruit de la télé qui s'éteint.

- "Euh... Papa ?" Hésita la jeune fille.

Je continuai à taper.

- "Papa c'est toi ?" Demanda-t-elle, légèrement effrayée.

Encore, encore. Aller courage !
Je tapai, tapai et tapai encore et encore.
Elle se leva, hésitante.

- "Papa ?"

Cette fois, sa voix était tremblante. Elle avait peur.
Tu as raison d'avoir peur. Tu vis avec un psychopathe. Ton père qui plus est.

Point de vue de Léa :

C'était certainement mon père.
Oui. C'est mon père qui me fait une blague.
Malgré tout, je devais en avoir le cœur net. Ma main tourna la poignée de la porte lentement. J'avais un mauvais pressentiment. Ma tête me criait de ne pas ouvrir cette porte, mais mon corps décidait pour moi.
La porte s'ouvrit dans un grincement lugubre.
Je ne voyais rien, la pièce était trop sombre, ma main tâtonna le mur à la recherche de l'interrupteur.
Ça y est, je l'ai.
Cette fois ci, la lumière m'aveugla.
Mais j'aurais préféré être aveugle.
Pourquoi est-ce que j'ai ouvert cette porte putain ?
Une femme était attachée au lit de mon père avec une des cordes dont il se servait dans son boulot. Elle était dans un sale état. Une grosse entaille lui barrait le front, recouverte de sang séché. Sa bouche était recouverte de ruban adhésif et elle était seulement vêtue d'une petite robe blanche, recouverte de terre.

Son regard exprimait trois choses.
De la peur.
De la fatigue.
Et de l'espoir.

Mémoire KidnappéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant