Chapitre 1.

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«  Qui remue le passé perd un œil ; Qui l’oublie perd les deux »

Insupportable, insoutenable douleur qui me vrille le crâne. Je la sens tournoyer, frapper, tapoter, tel un oisillon fin prêts à sortir de son œuf et à en percer la coquille. J’ai si mal que mes yeux clos refusent de s’ouvrir, comme paralyser par un poids de plomb. Même mon corps, qui me parait bien lourd semble complètement réfractaire aux vaines supplications de mon cerveau.

Je ne sais pas combien de temps passe alors que j’essaie de chasser les ténèbres de mes pensées enchevêtrées, pour ne serait-ce que bouger un doigt ou un orteil. Mais à travers le brouillard qui ne semble pas vouloir me relâcher, je sens une douce chaleur caresser mon corps, comme le chatouillis discret des rayons de l’astre solaire. Ce qui était tout bonnement impossible puisque dans la marée noirâtre de mes élucubrations je me souviens avoir fermé les volets de ma chambre.

Or, plus mon esprit tente de se démêler de ses rêveries idiotes, plus quelques détails semblant bien réels entre en contradiction avec l’idée bien précise de m’être la veille au soir, endormi dans mon lit. Comme par exemple, la brise du vent : Douce et fraiche, que je sens caresser mon visage crispé. Ou encore, cette texture dure et sablonneuse que je sens picoter la peau de mon corps dénudé. Quelques troublants détails, qui dans ma semi-inconscience, réveil un besoin urgent de compréhension.

Un rêve ? Unique solution. Logique et implacable.

Mon cerveau, cette fois-ci bien en éveil, je l’utilise pour envoyer quelques décharges électrifiantes à travers mon corps endoloris, dans le vain espoir d’en reprendre le contrôle. C’est ma main qui en premier lieu chatouille le sol poudreux. Puis viennent ensuite mes narines, qui se dilatent et frémissent aux odeurs environnantes. Odeurs inconnues. Je ne suis définitivement pas chez moi.

Quelques longues secondes de plus passent, avant qu’enfin je ne parvienne à soulever lourdement mes paupières. Paupières qui papillonnent, qui s’ouvrent et se referment plusieurs fois alors que l’éclat du soleil m’aveugle. Il est bien trop fort et déjà je sens mes rétines brûler, picoter alors que quelques larmes remplissent mes yeux. Une main devant les yeux me permet d’atténuer la lumière qui émane du ciel et doucement, ma vue trouble s’éclaircit et parvint à se stabiliser.

La première chose que je remarque est cette étrange pierre d’un gris métallique et pourvu d’un léger losange orange. Il semble implanté dans mon avant-bras gauche. Juste sous mon poignet. Complètement incrusté dans ma peau qui semble avoir déjà cicatrisée autours de l’objet, je ne ressens pourtant aucune douleur. Seulement un faible picotement. Pourtant, poussée par mon instinct, je me mets à le gratter, d’abord doucement. Puis plus furieusement quand je vois qu’il refuse de bouger. Peine perdue.

Je soupire doucement en clignant des yeux, délaissant l’étrange pierre pour me concentrer sur les environs. Une plage. Une longue plage au sable blanc qui s’étale à perte de vue, parfois parsemés de quelques buissons, fougères et rochers, où l’écume bouillonnante des vagues vint s’échouer dans quelques clapotis discrets. A ses côtés, à droite, l’Océan d’un bleu azuré vient rejoindre le ciel à l’horizon dans un magnifique dégradé de bleu plus foncé. A gauche, dans des tontes cette fois plus vertes, plus sombres, ses troncs d’arbres d’une taille démesuré montant vers les cieux, une immense forêt.

Interloquée, complètement perdu, je secoue légèrement le visage, décidant enfin à lever mon séant toujours enfoncé dans le sable. Mes jambes tremblent et peines à porter mon corps. Je titube, quelques instants, durant lesquels mes muscles s’échauffent pour enfin s’éveiller complètement. Combien de temps ai-je dormis ? Où suis-je ? Et surtout, comment ai-je pu atterrir ici sans même m’en rendre compte ?

A nouveau, l’idée du rêve m’effleure. Pourtant, je sens réellement le picotement de la pierre dans mon bras, la chaleur du soleil contre ma peau nue, le sable doux sous mes pieds. Sensations inconnues au monde des songes. Alors je laisse tomber cette idée, la chassant d’un vague geste de la main dans ma chevelure brune et emmêlée. C’est là que je percute que je suis seulement vêtue d’une culotte et d’une brassière. Sous-vêtements grisâtres, cousus grossièrement. Je les touche du bout des doigts. Ils sont rêches. Ces choses très peu attirantes ne sont pas à moi, j’en suis certaine.

Soudainement, je sursaute. Un bruit me tire de ma contemplation et je tourne mes prunelles en direction de la lisière de la forêt. Là, sous mes yeux aussi ronds que des soucoupes et mes lèvres légèrement ouvertes, s’extirpe un animal d’entre les arbres. Grand d’au moins deux mètres de hauteur et long de presque neuf mètre, il semble à la fois reptile et mammifère. Sa tête, quelque peu chevaline, est surmontée d’une longue crête brunâtre, qui se confonds en un léger contraste avec les écailles vertes de son immense corps. Tantôt sur deux pattes, tantôt sur quatre, il avance entre les fougères, fouillant les feuilles du bout de son museau. Je laisse un hoquet m’échapper et recule de quelques pas, une main devant la bouche. Il tourne ses yeux dans ma direction, m’observe quelques secondes, une feuille dépassant d’entre ses babines, puis retourne à son festin.

A première vue, il ne semble pas dangereux, mais je ne peux empêcher la terreur de monter dans mes entrailles alors qu’à quelques pas de moi se trouve un putain de dinosaure. Je le sais, pour avoir vu le squelette de l’un de ses spécimens dans un musée étant gamine et pour également l’avoir aperçu dans le film Jurassic Park. Mais c’était complètement impossible, je devais forcément rêver. Les Dinosaures n’existaient plus, et ce, depuis des millions d’années. Pourtant, il est bel et bien là, devant moi, ruminant comme une vache, complètement étranger à ce qui se passe autours de lui.

Je recule encore, sans le quitter du regard, et trébuche soudainement sur un caillou de la taille de mon poing. A nouveau, je me retrouve les fesses dans le sable. Un faible cri m’échappe, puis un plus gros, plus aigus, quand la pierre dans mon bras se mets soudainement à briller et à picoter plus vivement ma peau. Un rapide flash, suivit d’un hologramme s’élève au-dessus de mon bras.

Il représente mon visage. Mon nez aquilin, que je hais par-dessus tout. Mes yeux légèrement en amandes, aux prunelles grisâtres. Mes lèvres pulpeuses, ma chevelure de jais et mes joues creuses. Un cliché de ma personne, que je ne connais pas et dont je n’ai pas le souvenir qu’on l’ai pris. Et sous ma photo, mon nom et mon âge s’étalent en lettre italique.

« Kalys Stanton. 28 ans. Indéterminée. Valeurs à prouver. »

Indéterminée ? Valeurs à prouver ? Que veulent dire ses phrases ? Que veut dire cette situation dans laquelle je me trouve subitement plongée ? Je n’ai aucun souvenir. Aucun autre souvenir que m’être endormi dans mon lit, aux côtés de mon chat au regard de loutre : Cosmos. Mon regard se reporte automatiquement sur l’animal préhistorique qui broute toujours non loin de là. Qu’est-ce que cela signifie ? L’hologramme se brouille un instant. Il grésille et une voix, féminine mais robotique s’en élève.

« Qui oublie le passé et les valeurs de la vie, qui oublie la pitié et la compassion, qui oublie l’empathie pour devenir monstre, doit se retrouver dans l’expiation. »

Expiation.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant