Chapitre 2.

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L’essentiel en Enfer est de survivre.

                                                                                                                                      Michel Audiard



La voix s’éteint et l’hologramme disparaît aussi subitement qu’il est apparu. Je reste assise là, complètement pantoise. Je ne comprends plus. Je ne sais plus. Les mots prononcés par l’inconnue tournent et retournent dans mon esprit embué. Je n’en comprends pas la signification. Et plus les secondes passent, plus je me sens perdue. Totalement seule. Je n’ai jamais étais très entourée, ni très aimée ou appréciée, bien trop taciturne et associable. Pourtant, je ne me suis jamais sentie aussi seule qu’à cet instant précis.



Je lève mon regard vers le ciel. A l’horizon, il se teinte de couleurs plus sombres et quelques petits points d’argents en pare son manteau. La nuit approche. Et je suis encore là, le cul dans le sable, échouée sur un continent que je ne connais pas, totalement isolée et seule. Moi, d’habitude si imperturbable sent la peur monter en moi. Elle m’enveloppe, enserre mes entrailles. Et instinctivement je me relève, le regard se portant tout autour de moi.



Quelques flashs s’incrustent dans mon crâne. Quelques images. Comme celle d’une vieille lance rudimentaire, tout aussi préhistorique que l’animal paraissant là. Une lance, pour me défendre. Car si cet étrange herbivore de l’époque du Crétacé se trouve là, il est bien possible que ses compatriotes carnivores traînent également dans les parages. Et je ne donne pas chère de ma peau si je me trouve soudainement face à un Vélociraptor, ou pire encore.



Un énième soupir s’échappe de la barrière de mes lèvres alors que je chasse ces quelques pensées de mon esprit et que je me mets en route. Aléatoirement, je me baisse de ci et de là pour ramasser quelques branches et feuilles semblant s d’une espèce de Cocotier. Mes trouvailles en main, je laisse mes doigts faire. Comme semblant provenir d’un souvenir enfouit profondément en moi, ils tressent instinctivement un sac. Ou plutôt un panier, quelque peu difforme, mais qui ferait l’affaire pour l’instant. Je ne sais pas d’où ce savoir faire provient. Je ne me souviens pas avoir suivit un quelconque court de survie. Mais en l’état actuelle des choses, je ne m’en plains pas. Cela me sera forcément utile.



Cette fois-ci, la nuit est tombée. Complètement, et je ne vois déjà presque plus rien. Je décide de retourner aux abords de la plage, qui me semble pour l’instant l’endroit le plus propice pour rester en sécurité et surtout, le plus accueillant.



J’ai soif. Je m’accroupis alors au bord de l’eau. Sûrement sera-t-elle salée, mais peut-être épanchera-t-elle ma soif de manière à tenir jusqu’au matin. Il est hors de question que je parte explorer les environs alors que les ténèbres m’entourent, terrifiant et repoussant.



Mes mains forment un creux, je les plonge dans les vagues qui viennent s’échouer à mes pieds et les portes délicatement à mes lèvres séchées. Etrangement et contre toute attente, l’eau est douce, plate. Aucun goût de sel. Un peu illogique alors qu’à perte de vue, la mer s’étends devant moi. Mais, en y réfléchissant bien, quelle chose semble logique ici ? Rien.



A nouveau, je me relève et pose mon regard sur quelques cailloux éparpillés de ci et de là, que je ramasse, puis vient se poser sur les branches qui me reste, enfouie dans mon panier. Un feu. Il faut que je fasse un feu. Mais là non plus, je n’ai jamais appris à en faire. Jusqu’à présent je l’ai seulement vu faire dans les films. Dois-je agir de la même manière ? L’instinct prendra-t-il encore le dessus ? Pour le savoir, il fallait que j’essaie, avant de commencer à grelotter de froid sur le sable.



Je m’éloigne, un peu plus loin, entre deux énormes rochers qui me dominent d’au moins un mètre. Ici, mon feu sera à l’abri du vent. Je me laisse tomber à genoux, et forme un cercle de petites pierres devant moi, que je remplis alors avec les quelques branches me restant. Instinctivement, je les place de façon à ce qu’elles soient un peu surélevées, comme une sorte de petite pyramide se dressant vers le ciel. Puis, j’attrape deux cailloux légèrement plus plats que les autres et au bout en pointe. C’est ce qui se rapproche le plus d’un semblant de Silex. Merci les cours d’histoire…



Pendant plusieurs minutes, je les frotte l’un à l’autre mais rien ne se passe. Je perds patience. Je m’énerve. Pourtant, je persévère, car le froid commence grandement à me gagner. Je le sens frôler ma peau, pénétrer mon corps, s’insinuer dans mes os. Et alors que je commence à laisser la fatigue et la déprime me gagner, la flamme jaillit, embrasant le foyer. Les flammes d’un jaune sombre, virant sur l’orange s’élèvent et dansent dans la nuit devant mes yeux embués de larmes. Doucement, leurs chaleurs viennent m’envelopper à leurs tours, calmant quelque peu les grelottements de mon corps endolori.  Je suis enfin soulagée, même si la peur de cet endroit me tenaille toujours.

Je veux rentrer chez moi.



[ … ]



- Crouiiiiik.



Je me réveille, en sursaut. Je n’ai pas le souvenir de m’être assoupis. Je ne sais pas non plus combien de temps j’ai dormi. Mais sûrement la fatigue avait-elle prit le dessus. Mes yeux papillonnent, vagabondent, à droite, à gauche sur les deux seules issues possibles. Je suis toujours entre les deux rochers, l’un me faisant face, l’autre dans mon dos. D’un côté l’océan qui luit doucement sous la faible clarté argentée de la lune, de l’autre la plage, puis la forêt. Tout est silencieux. Bien trop silencieux. Pourtant, il me semble avoir bel et bien entendu ce cri. Un cri à glacer le sang. Puissant, strident.



Je reste là, prostrée sur moi-même et j’attends. Les secondes, puis les minutes et les heures défilent. Je n’ose pas bouger, le souffle court, haletante. Les flammes commencent à s’éteindre mais je n’ose faire aucun geste pour  les rallumer et au loin, le ciel se teinte cette fois d’une douce couleur violacée, puis rosâtre, avant de finir par tirer sur un bleu clair et limpide. Le jour arrive. Enfin. Je me sens déjà un peu moins apeurée. Depuis le cri, les heures ont été longues et interminables. Pourtant, je sais que je dois sortir de là, je sens la faim poindre le bout de son nez alors que mon estomac gargouille bruyamment. Je me redresse légèrement et avance, passant la tête entre les deux rochers pour observer autour de moi. Rien ne semble venir perturber le calme de la plage, si ce n’est quelques caquètements provenant de quelques mètres plus loin.



Ils sont cinq, dandinant de l’arrière-train, leurs petites ailes en totales disproportions avec leurs corps, ondulants légèrement. Je sais ce que c’est, quelques images de livres d’histoires me revenant en mémoire. Ils ne sont pas dangereux et le cri entendu dans la nuit ne provenait sûrement pas d’eux. Il était bien trop bestial, bien trop sauvage. Enfin, je le crois, je le ressens dans mes tripes.



Je m’approche, à pas furtif. De loin, ils ressemblent quelques peu a de gros poulets, des poulets bien plus gros que nos poules à nous. Ils m’arrivent bien au dessus du genoux, et pour le plus grand, presqu’aux dessus de mes hanches. De part ma petite taille, avoisinant les un mètre soixante, je comprends rapidement que les oiseaux mesurent dans les environs des un mètre. Une taille assez impressionnante pour des volailles. Ils  ne semblent pas effrayés, ni même perturbés par ma présence. Ils avancent, au grès de leurs pattes, un coup en avant, puis tournent à droite et reviennent finalement sur leurs pas. Ils ne semblent pas bien intelligents et leurs yeux vides, globuleux et vitreux en témoignent. Après un Parasaure, voilà que je me trouve face à des Dodos. Un animal éteint certes depuis plusieurs siècles, mais qui pourtant n’appartenait pas a l’ère des dinosaures. Alors que faisaient-ils là ?Décidément, rien ici n’est compréhensible.



Mon estomac gargouille me sortant de ma contemplation et de mes pensées. J’ai faim. Il faut que je trouve quelque chose à manger et rapidement. Mon dernier repas remontant à la veille de mon arrivée.



Je me redresse, et laisse mes prunelles grises se porter sur la lisière de la forêt. Le poulet glousse en frôlant mes jambes. Je ne peux m’empêcher de baisser à nouveau le regard sur lui et de poser une main sur le haut de son crâne. En y réfléchissant, il me fait plus penser à un dindon…



- Cuuiiiii.
- Quoi cui ? Tu ne vas pas me bouffer quand même ?


La note dans ma voix est moqueuse, mais pourtant, au fond, je ris, mais seulement jaune. La réalité est que même face à une volaille je ne suis aucunement rassurée.



- Cuiiiii.
- Tu sais dire que ça ?

Question stupide

- Cuiiiii.
- Tu sais où trouver a manger ?


Je me rends compte que je parle avec lui comme s’il pouvait me comprendre et je me sens soudainement aussi abruti que lui.


- Génial, me voilà perdu je ne sais où, en compagnie d’un poulet géant complètement stupide avec lequel je papote comme une teubée.



Il me regarde, battant légèrement des ailes. Ainsi, il parait encore plus sot. Puis, il part en courant, en direction de la forêt. A sa lisière il s’arrête et tourne son énorme bec recourbé dans ma direction. Ses ailes battent à nouveau et il se dandine sur place.



- Cuiiii. Cuiiiii.



Je hausse un sourcil alors que le Dodo me cri dessus depuis l’autre côté de la plage. Décidément rien ne tournait rond ici. Voilà qu’après avoir passé une nuit à la belle étoile, je venais de vexer un volatile aussi idiot qu’un manche à balais. Je soupire, et me remets en marche, mais un nouveau gloussement me fait m’arrêter. Le dodo est à nouveau à mes pieds.



- Cuiiiii. Cuiiiii. Cuiiii.
- Quoi ? Qu’est-ce que tu veux ?
- Cuiiiiiii !



Il sautille devant moi, ses minuscule ailes battant l’air ridiculement, puis il repart à la lisière des bois. A nouveau, tourné dans ma direction, il glousse, continue ses bonds et bats des ailettes. Il semble m’attendre. Je m’approche de lui. Il roucoule encore plus. A côté de lui un buisson attire mon attention.



De belles feuilles larges, à la rainure d’une couleur jaunâtre. Accrochés à ses branches, quelques fruits. Des baies violettes presque aussi grosses que mon poing refermé. Un rire nerveux m’échappe. Cette espèce d’oiseau que je pensais complètement débile vient de me mener tout droit sur de la nourriture. Je passe rapidement une main sur son crâne, que je tapote gentiment. Nouveau caquètement. Il secoue ses plûmes aux teintes bleus et roses, et s’éloigne lentement.



- Bon, bah, merci le piaf ?



Je pose mon sac difforme sur le sol, et à pleine main je le remplis de baies. Je ne sais pas si elles sont toutes mûres, ni même si leurs goûts est bon. Mais j’ai tellement faim que je pourrais manger n’importe quoi. J’en prends d’ailleurs une, que je colle à mes lèvres. J’hésite un instant. Et si c’était du poison ? Non, sûrement pas. Le Dodo ne pouvait pas être aussi intelligent que ça pour tenter de me tuer.



- Je deviens complètement folle pour penser qu’un poulet fossilisé pourrait penser à me tuer.



Je fini par croquer dans le fruit. Le jus gicle dans ma bouche et s’écoule dans ma gorge. Il est sucré. Drôlement sucré et le goût est enivrant. C’est si bon. Mon estomac se calme. Pas de beaucoup, mais assez pour tenir un peu plus. Soudain, je me fige. Les hautes herbes bougent. Plus loin. Quelques minutes passent, dans le silence, et je reste immobile. Je dois avoir rêvé, car rien ne vient briser la quiétude des alentours. Je passe une main dans ma chevelure et m’apaise légèrement. Être ici me rend complètement barjo. Complètement parano. Je me redresse, mon panier en main et repart en direction de mon camp de fortune. Sauf que je n’y parviens pas.



Entre les deux rochers, une queue dépasse. Longue et pourvue de légère plume en son bout. Elle bat l’air de gauche à droite. Mon instinct me dit de ne pas approcher, que cette chose dont je ne peux apercevoir le museau n’est en rien aussi gentil que le poulet de quelques minutes plus tôt. Je recule, doucement et je le vois bouger. Il disparaît totalement derrière la grosse pierre. J’ai le souffle court. J’halète. Quellebest encore cette chose ?



- Crouiiiiiiiiiiiiiiiik.



Mon cœur loupe un battement, avant de s’emballer. Je reconnais ce cri. C’est celui qui m’a réveillée. Je me baisse, me couchant presque sur le sol, parmi les énormes buissons qui me camouflent presque entièrement. Je n’ose plus respirer. J’hésite à prendre mes jambes à mon cou. Mais soudainement, il cri à nouveau, alors qu’il apparaît, debout sur le rocher. Il est couvert d’écailles. Des écailles d’un rouge sanguin, plus foncé sous le ventre, partant sur un noir profond. Un noir profond qui recouvre également la crête de plume qui trône sur son crâne et celles, plus petites qui recouvrent légèrement son dos et ses coudes. Sur ses pattes arrières, d’énormes griffes semblables à des faucilles surmontent ses orteils, tandis que celles de ses pattes avant, plus petites se recourbent faiblement. Il renifle, sa tête tournant à droite, à gauche.  Il semble me chercher. Je le vois sauter au sol, soulevant un faible nuage de poussière. Il s’approche, lentement, ses yeux où brillent une grande intelligence fixant l’endroit où je me suis cachée. La peur grandit, la terreur me tenaille. Je vais crever ici, bouffée par un putain de lézard. Il s’arrête, et se tient immobile et droit. Il est plus grand que moi. Plus grand qu’un homme, pas de beaucoup. Peut-être deux mètres, peut-être un peu moins. Il renifle à nouveau.



- Crouiiiiiiiiiiik.
- Crouik crouiiiiik !


Je manque de sursauter lorsque le deuxième cri s’élève. Les secondes passent rapidement avant qu’un deuxième animal n’émerge des rochers, puis un troisième et un quatrième. Deux sembles plus petits, de couleurs verdâtres et bruns, tandis que le dernier semble quant à lui, bien plus gros, bien plus dangereux et entièrement noir. Ses mâchoires claquent dans le vide, ses griffes avant s’entrechoquent entre elles. Les trois autres se tournent dans sa direction, leurs museaux légèrement penchés sur le côté, semblant l’écouter, semblant attendre ses ordres.

L’Alpha ?

Fonctionnaient-ils comme une meute de loups ? A en croire leurs comportements, sûrement que oui.



Le rouge se remet en marche, toujours dans ma direction. Je ne respire plus, mais mon cœur, lui s’emballe. Il frappe fortement dans ma cage thoracique, comme s’il voulait la briser. Il allait finir par attirer le prédateur, lui faire comprendre que j’étais entrain de me cacher à peine à quelques mètres de lui.



J’ai l’impression que mon organe vital fait un boucan d’enfer. Je ferme un instant les yeux alors qu’il continue à s’approcher de sa démarche chaloupée. Il n’est plus qu’à quelques pas de moi. Je sens la fin approcher. Mais pourtant, il se stoppe à nouveau et tourne son museau à gauche. D’un bond, phénoménale il recule et dans un cri strident, bestiale il saute sur le dos d’un , aussitôt suivit des trois autres. Le parasaure que j’ai croisé la veille, lors de mon arrivée. L’herbivore hurle, alors que les lézard le lacèrent de leurs griffes. L’un est en appuie sur son dos, son cou en étau dans sa puissante mâchoire. Je vois le sang gicler, et l’animal tenter de se débattre, sans grand succès, l’autre reste accroché à son dos, telle une sangsue. Tandis que les trois autres tournent autour de lui, attaquant chacun leur tour dans une sauvagerie sans nom. Puis le Parasaure tombe au sol, dans un dernier cri de douleur, ses yeux désormais éteint tournés dans ma direction.


Expiation.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant