Chapitre 19

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En descendant du bus, le sentiment d'insécurité que je ressentais depuis le début de l'après-midi s'intensifia peu à peu en moi. Il commençait doucement sa manifestation au bout de mes orteils, où de petits fourmillements perturbaient ma démarche. Il continuait ensuite sa route dans mes jambes par de légers tremblements, cependant pacifiques, avant de remonter jusqu'au bout de mes doigts.

Je tentai d'ignorer ce que je pouvais ressentir à cet instant en me concentrant plutôt sur des pensées positives telles que ma journée avec Félix ou l'attente de Djumbo à l'orphelinat. Cette dernière perspective me fit d'ailleurs sourire : où allais-je cette fois retrouver le labrador de jais ?

Ces deux derniers mois, les cachettes pouvaient complètement varier. Entre la chambre inhabitée d'un enfant orphelin, les douches où je le retrouvais régulièrement trempé de la tête aux pattes ou même les placards à balais à la recherche d'une souris avec qui jouer, le palmarès était très grand. Chaque soir, il pouvait se trouver n'importe où, sauf dans ma chambre, sous le lit, comme convenu depuis le début...

Cette partie de « cache-cache » était, avec le temps, devenue notre habitude du soir ; et après une journée de cours fatigante, ce jeu avait le don de me rendre le sourire. Cependant, sa cachette favorite restait le garde-manger et c'était là-bas que je le retrouvais la plupart du temps. Un vrai ventre sur pattes, ce chien ! Mais comme on dit, qui se ressemble s'assemble !

Plongée dans mes pensées, je continuai d'avancer en regardant dans le vide, sans même m'apercevoir que je m'approchais dangereusement d'un groupe de lycéens.

Je ne m'en rendis compte que trop tard lorsque je rentrais dans le dos de quelqu'un. A ce moment, je m'écartai immédiatement et fis face à l'adolescente qui venait de se retourner. De toutes les personnes qui se trouvaient autour de moi à cette sortie de bus, il fallait que ce soit elle... Forcément...

« Tu ne peux pas faire attention, la binoclarde ! vociféra-t-elle alors.

- Je suis désolée Clémence, je ne t'avais pas vu, répondis-je le plus calmement possible.

- Et bien, à l'avenir, tu penseras à regarder devant toi ! »

Elle se retourna vers son petit groupe d'amis et je me remis calmement en marche, cette fois vigilante à ce qui pourrait se trouver devant moi. Seulement, alors que je commençais à m'éloigner, je surpris une remarque de cette fille qui me stoppa instantanément. Sans réfléchir, je revins sur mes pas et me planta devant elle, la colère montant en moi.

« Qu'est-ce qu'il y a encore la binoclarde ? m'interrogea-t-elle. Tu ne sais pas comment rentrer à la niche sans Félix pour te ramener ?

- Comment oses-tu parler de ma famille de cette manière ! m'écriai-je alors.

- Oh tu m'as entendu ? Excuse-moi, je n'ai fait qu'énoncer les faits.

- Ce n'est pas vrai ! dis-je les dents serrées, retenant les larmes de colère au coin des yeux.

- J'ai touché un point sensible ? Ma pauvre, tu veux tes parents ? Oh pardon, j'avais oublié, ils sont morts ! »

Ces derniers mots furent comme un électro-choc, et les instants suivants se succédèrent tellement rapidement, que je ne pris connaissance de mon action, seulement lorsqu'elle fut passée. Ma main en l'air, le silence de mort autour de moi et la trace rouge sur la joue de Clémence en disaient long sur le geste que je venais de faire.

Je n'en croyais moi-même pas mes yeux. J'avais osé la frapper, devant plusieurs élèves du lycée. D'ailleurs, ces derniers, choqués, formaient désormais un cercle autour de nous, nous fixant du regard, l'une après l'autre. Plus personne n'osait prendre la parole après cet événement, que l'on pouvait presque qualifier d'historique. Seul nos respirations rapides perçaient ce silence assourdissant.

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