Chapitre 16 : Le loup chasse avant que le chasseur ne tire.

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Notre véhicule arrive près du mur Sina. Je ne peux pas le voir, mes yeux sont bandés, mais j'entends les mendiants geindre au cocher de leur donner l'aumône.  Un frisson me parcourt, et si j'avais tort ? Et si mon admiration pour le roi n'était qu'un tissu de mensonge ? 

Seul, sans vision, bouche fermée, mains liées, je ne peux que me renfermer. Et sans même le vouloir, mon esprit me force à me remémorer...

***********

Le sol de la capitale tremblait sous les sabots des chevaux, les Brigades Spéciales arrivaient, les sacs chargés de mauvaises nouvelles. Quelques minutes plus tard, les marchands rangeaient leurs pièces et augmentaient déjà le prix de leurs articles.

Les foules s'amassaient, protestaient, rageaient. Tant d'argent pour si peu ? 

" Je vais pas me ruiner pour un pauvre lapin et deux bâtons ! Ils sont fous ? Qu'est-ce qu'il se passe donc chez les fermiers, les chasseurs, et les autres ?! Nous sommes des privilégiés ! "

Ce qu'ils ne savaient pas, c'est qu'en parallèle avec ce léger haussement de prix, à Shiganshina les gens mourraient de faim.

Moi, j'étais celui du "juste du milieu". L'argent manquait un peu, mais je pouvais manger chaque soir. Jusqu'à ce jour... Mon père avait dépensé  une somme d'argent colossale dans de stupides jeux, et très vite on s'était retrouvés sans plus un sou. Le temps que mes parents regagnent de quoi nous faire vivre tout les trois, j'avais eu l'idée de partir à la chasse. Tout seul, sans prévenir.

Je m'étais enfoncé dans les fourrés, l'arc de ma mère à la main, les flèches dans leur fourreau. L'herbe grasse fléchissait sous mes pas, j'haletais à la vue de la moindre bête. Un gamin si frêle à l'époque, qui voyait un monde encore beau. Bien avant que ses éclats cruels n'éclaboussent de boue et de sang ses éphélides. 

Candide, j'imitais la posture que ma mère prenait à chaque fois. J'allais jusqu'à recréer ses propres mimiques ; tirer la langue et fermer l'œil fortement. Je ne savais même pas que la chasse était défendue dans la zone où j'avais pénétré. Non, tout ce que je savais, c'était que mes parents étaient fauchés et faucheraient bientôt le blé et l'orge dans le champ d'à côté. Alors, au premier lapin venu, je positionnais mon arme avec détermination. 

 Le silence régnait. Le moindre bruissement devenait tonnerre et le plus minuscule des insectes, un animal féroce. Vite, lorsque la bête pointait son nez vers le ciel, je décochais ma flèche en me retenant de pousser un cri guerrier. Celle-ci voguait dans l'air, comme si elle allait transpercer l'horizon. Elle voulait atteindre sa cible et me combler de fierté. La flèche fusait "fuuuu" , disait-elle pour se motiver. 

La bête ne bougeait pas, mon repas semblait assuré. Et là, je l'ai vu tomber. Je pensais que tout avait basculé. L'horreur m'accrochait. 

"Oh non..."

Une autre flèche, comme sortie de nulle part, venait de faire son apparition. Et avant que la mienne touche sa cible, l'autre s'en était déjà emparée. 

Je n'osais plus bouger, plus respirer. Et là, j'ai vu deux yeux. Sévère et étonnés à la fois. Je ne savais pas qui c'était au début, mais lorsque j'ai constaté qu'il portait des habits plus soyeux que les miens, des souliers cirés et des bijoux à la rareté inégalable, j'ai su que j'avais empiété sur son territoire. Le roi.

Il me regardait avec attention ; des gamins, il ne devait pas en avoir vu beaucoup dans sa vie. Pas plus que sa paperasse en tout cas. Et soudain, son expression changea drastiquement et il s'accroupissait devant moi. Tendant le doigt vers le lapin agonisant dans son propre sang, il me demandait :

" Petit, pourquoi cherches-tu à chasser ? "

J'étais pétrifié, mais j'essayais tant bien que mal de répondre :

" M-mes parents n-n'ont p-plus d'argent, monsieur "

Il restait subjugué :

" Et il t'ont dit de venir piocher leur part sur mes terres, c'est ça ? " 

Je hochais la tête, plein de regret :

" Non ! C'est moi qui suis venu tout seul, c'est moi qui dois être puni ! - Je sanglotais - Pardonnez-moi, je ne savais pas que c'était vos terres... " 

Alors, l'homme se levait. De toute sa hauteur, il me contemplait. Son arc était posé à côté de la bête et ses flèches, à sa taille. Je pensais qu'il allait me tuer, qu'il me réservait le même sort que le lapin qu'il venait d'achever.

Mais au lieu de ça, il attrapait la dépouille de l'animal et me la donna. Je ne comprenais pas, mais prenais le lapin par les oreilles. Le roi continuait de s'agiter et cherchait quelque chose sur lui, tapotant dans les poches de son manteau. Un vêtement bien chaud pour le mois de mai. 

Il me tendit trois cachets de cire, avec une ombrelle dessinée sur chacun d'eux. Celui-ci partait déjà, juste après avoir effectué ce geste, comme mot d'adieu il m'avait dit :

" Quand tu feras une lettre à une personne chère, mets ça sur l'enveloppe. Moi, j'avais toujours rêvé de pouvoir le faire, mais mon statut en a décidé autrement... " 

Je restais en plan, le lapin à la main, les cachets dans l'autre.

**********

Quelque chose me pousse devant moi, j'ai l'impression d'être tombé d'un étage entier. Au choc, mon bandeau s'enlève et je considère les lieux avec stupéfaction. C'est...la chambre du roi ?!

Je me retourne vivement mais cela me vaut, encore, une arme à feu braqué sur le visage. A tout moment ils me font sauter. Mais je ne dois pas mourir, je dois encore retrouver T/p...

J'avance avec précaution dans les lieux inconnus. Jamais je n'aurai pensé visiter cet endroit dans de telles conditions !

La femme avec nous me pointe du doigt un couloir, j'y arrive, puis, discrètement, dois descendre les escaliers. Impossible d'établir une stratégie de fuite pour le moment, avec une arme juste derrière mon dos, s'échapper n'est pas envisageable. 

Nous descendons dans une sorte de cave..enfin, ça ressemble plus à un lieu où l'on stocke les armes. Oh ! Je crois que mon père m'en a parlé une fois ! Ils y rénovent les vieilleries et accueillent les marchands. La personne qui tient ces lieux est...

" Edouard Guardian ! Ca fait longtemps ! " 

Soudainement, on me pousse dans une remise et je m'écrase entre des boîtes mal rangées. Sonné, je ne peux qu'écouter leur conversation. 

" Tu sais, tu m'avais parlé d'une arme qui ne produisait aucun son lorsqu'on tirait. "

Une vieille voix lui réponds, des cordes vocales tiraillées par l'âge :

" Oh ! Oui..Je vais te chercher ça ! "

J'essaye de me relever, je sais ce qu'ils vont faire ! Vite, un couteau traîne par terre. Je commence à gratter la corde qui me serre les mains, puis arrache de mes propres dents le foulard qui me bâillonnait sévèrement. 

J'accoure dans la pièce, bouscule deux de mes "gardes" et observe la scène. Trop tard. L'arme est déjà prise, l'homme est mort. 

La femme revient vers moi, fière et souriante :

" Dit merci à ton père pour cette belle collaboration avec ce cher Edouard. Il m'a bien été utile. "

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Tu t'approches de l'entrée du palais, Olympe te suivant de près. Selon elle, c'est ici qu'ils se sont arrêtés. Leur mission vient de débuter et Marco ne peut y échapper !  

Marco X Reader " Le chant des lys.  "Où les histoires vivent. Découvrez maintenant