3|Traduction groupée

697 80 25
                                    

Toge Inumaki a beau ne pas parler comme tout le monde, il écrit pourtant correctement

Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou mettre en ligne une autre image.

Toge Inumaki a beau ne pas parler comme tout le monde, il écrit pourtant correctement. Même si ses cahiers sont parsemés de dessins étranges et souvent en lien avec ce qu'il dit, il prend le cours en note comme n'importe quel autre élève.

Puisqu'il exhibe souvent les pages de ses cahiers pour me montrer ses nouvelles illustrations, j'ai déjà eu l'occasion de voir de quoi ont l'air ses cours. Je m'attendais à ce qu'ils ressemblent à une recette de cuisine, alors j'ai été surprise en découvrant que son cours était normal, tout comme son écriture - bien qu'un peu pattes de mouche.

D'un autre côté, Toge Inumaki n'aurait probablement pas pu intégrer le lycée, voire le collège, si ses réponses lors des examens ressemblaient à « takoyaki » ou « bonite séchée ». Il est donc logique qu'à l'écrit, Toge Inumaki soit comme les autres élèves. Il écrit comme tout le monde, il comprend donc notre langue. Pourtant, à l'oral, il s'entête à n'utiliser que le vocabulaire lié à la nourriture. Il a beau parfois m'agacer, j'avoue que ce tic de langage m'intrigue. J'aimerais percer ce mystère.

Une fois, je lui ai posé la question directement - ce n'est pas mon genre de tourner autour du pot en espérant que les réponses viennent d'elles-mêmes. Ce à quoi il m'a répondu, sans grande surprise, « yakitori, Sashimi Yakisoba ! » Je me demande parfois s'il se moque de moi. J'en ai la désagréable impression, en tout cas.

- Formez des groupes de deux pour travailler ce texte. L'un doit faire la traduction, l'autre l'interprétation. Vous avez le droit de changer de place, mais en silence !

Enfer et damnation. C'est comme si la scène se passe au ralenti. Lentement, Toge Inumaki tourne la tête vers moi, lève son pouce en l'air et me sort sa fameuse réplique :

- Sashimi !

Il me pointe du doigt et se pointe à son tour, j'ai bien compris le message qu'il cherche à me faire passer. Je parcours la classe du regard pour vérifier s'il n'y a pas quelqu'un d'autre que ce cancre qui n'étudie jamais sérieusement en cours. Malheureusement pour moi, les groupes se sont tous formés.

Ce gars est un poids, il ne fait que te ralentir et te tirer vers le bas. Ignore-le.

Je serre les poings. Pourquoi faut-il toujours que je me souvienne de mon père dans les pires moments ? Je chasse son image de mes pensées et revient à la réalité.

Résignée, je me tourne vers Toge Inumaki et hoche la tête.

- C'est Shiyomi Yoshida, je soupire pour la forme avant de déplacer ma chaise vers son pupitre.

De toute façon, il vaut mieux que les choses soient ainsi. Si j'avais choisi un autre partenaire, il se serait retrouvé tout seul, ou pire, avec l'un de nos camarades qui s'amusent à se moquer de lui à cause de sa différence. Même si je ne suis pas très proche de lui, je n'aime pas ce qu'il subit au lycée. Les professeurs ont beau fermer les yeux, je ne suis pas stupide au point de croire que Toge Inumaki mène une petite vie tranquille alors qu'il lui arrive de faire des détours inexpliqués par l'infirmerie.

- Tu préfères faire la traduction ou l'interprétation ?

Tout comme le ménage, je n'aime pas créer de conflits inutiles. Moi, les deux formes de travail me vont, alors je préfère lui demander dans quoi il est le plus à l'aise.

- Thon !

- On ne va pas aller loin... Dis « œuf de saumon » pour la traduction et « bonite séchée » pour l'interprétation.

- Bonite séchée.

J'acquiesce et commence donc la traduction du texte en anglais que le professeur vient de nous distribuer. Au début, la traduction coule de source. Je suis loin d'être mauvaise en anglais, même si je ne suis pas douée au point d'être bilingue. C'est grâce à mes nombreuses nuits passées à lire en anglais pour enrichir mon vocabulaire ainsi que les émissions de radio anglaise que j'écoute parfois pour parfaire ma prononciation de la langue.

Néanmoins, j'ai l'impression que ça se complique vers le milieu du texte tandis que je sens peser sur moi le regard de Toge Inumaki. Je relève la tête vers lui pour m'assurer que tout va bien et il détourne subitement les yeux, comme s'il était gêné d'avoir été pris en flagrant délit. Je ne comprends pas cette réaction, mais au moins, il a cessé de me fixer, et je peux reprendre ma traduction en étant plus à l'aise.

- Tiens, j'ai fini, dis-je en lui tendant ma feuille.

Il me la prend avec délicatesse et se met à travailler sans tarder. Je suis surprise par la nouvelle facette que je découvre de lui. Moi qui me suis attendue à ce qu'il gribouille ma traduction d'une attaque de poulpe, force m'est d'admettre que je me suis trompée. Il écrit avec sérieux et semble plongé dans ses réflexions. C'est agréable de le voir comme ça. Soudain, il relève la tête vers moi, et je me rends alors compte que je me suis mise à l'observer avec un peu trop d'insistance. Je détourne les yeux.

En attendant qu'il finisse, je repense au planning que j'ai prévu ce soir. Après les cours, je me rends à mon club d'aïkido. Puis, je rentre chez moi pour travailler et faire mes devoirs, je devrais avoir fini vers vingt-deux heures. Encore une longue journée qui va s'achever.

- Sandwich aux œufs !

Je crois que c'est ce qu'il a mangé ce midi. Il n'a jamais de bento, il va toujours s'acheter des sandwichs. Il me tend son cahier à la page où il a, semble-t-il, rédigé l'interprétation. Je hausse les sourcils en commençant à lire les premières lignes. Ce qui m'étonne d'abord, c'est l'effort qu'il a fourni au niveau de son écriture pour que ça soit lisible. Ce qui me surprend ensuite, c'est la justesse de ses propos. Il a beau parler de nourriture à longueur de journée, je découvre qu'il est bien plus sensible qu'il n'y paraît.

- Je pense que c'est bon.

On dirait que je viens de lui faire le plus beau compliment du monde, il semble au bord des larmes.

- Takoyaki, Sashimi !

- De rien, j'imagine ?

Je le vois sourire derrière le col de son uniforme - j'ignore pourquoi, il aime enfouir son visage à l'intérieur. Je sens mon coeur se réchauffer dans ma poitrine, il est rare qu'on me témoigne autant de reconnaissance. Avec maladresse, j'incline la tête et range mes affaires pour retourner à ma place.

 Avec maladresse, j'incline la tête et range mes affaires pour retourner à ma place

Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou mettre en ligne une autre image.
Sashimi Yakisoba pour les intimesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant