Je n'avais encore jamais été voir le proviseur. Mais en entrant dans son bureau, je suis surprise de tomber nez à nez avec monsieur Gojo, un professeur que j'ai eu en première année. Il est un peu excentrique, mais je l'aimais bien. Il utilisait parfois de drôles d'expressions, comme par exemple « extension du territoire » pour parler « d'élargir ses horizons », mais je le trouvais amusant et compétent.
J'ignore ce qui me surprend le plus. Le fait de trouver monsieur Gojo dans le bureau vide du principal ? Qu'il regarde la télé assis sur le canapé ? Et qu'il soit par dessus le marché en compagnie d'un élève ? Je ne sais pas quoi en penser. Ont-ils le droit d'être ici ? Le principal est-il au courant de leur présence ?
Monsieur Gojo a toujours été quelqu'un d'atypique, mais j'étais loin de me douter que je tomberai sur lui dans le bureau du principal affalé dans un canapé en mangeant des snack avec un élève.
— Tu vois Yuji, c'est en regardant ce genre de film que tu pourras progresser en maths.
Je toussote pour attirer son attention. Il relève alors la tête vers moi, et sans couper le son du film — ce qui aurait été la moindre des politesses —, il me demande ce que je veux. Je suis décontenancée par son attitude décontractée. Quel genre d'enseignant conseille à ses élèves de regarder un film pour progresser en maths ? Je secoue la tête pour me reprendre.
— Je suis venue parler au principal de deux élèves qui posent problème.
— Ah. Tu veux l'attendre avec nous ? Le film est bientôt fini. Yuji, soit galant et fais-lui une place sur le canapé !
Je reste bouche-bée pendant quelques secondes, incapable de réagir. Sa proposition m'a tellement déstabilisée que j'ignore comment lui répondre, comment agir. Il a beau avoir l'air irresponsable, il n'en reste pas moins un professeur, je lui dois le respect. Alors même si sa demande est improbable et insensée, je décide d'obtempérer et de regarder avec eux la fin de leur film.
Je m'assois donc sur le bord du canapé, à côté dudit Yuji qui m'adresse un sourire chaleureux avant de se reconcentrer sur la télévision. J'ai l'impression que c'est la première fois que je le vois, ce doit être un première année qui vient d'arriver. Il a l'air très gentil, mais surtout très naïf. Qui pourrait croire qu'il suffit de regarder un film pour améliorer ses notes ? C'est absurde. Rien ne vaut le travail acharné.
Lorsque le film se termine, Yuji nous adresse un signe de main et quitte la pièce. Il a vraiment l'air satisfait du moment qu'il vient de passer. Quant à monsieur Gojo, il a éteint la télévision et est allé jusqu'au bureau du proviseur pour s'y asseoir sous mes yeux horrifiés. Alors que je balbutie, sous le choc de ce manque de respect, il se balance sur la chaise, pose ses pieds sur la table et me fait signe d'approcher.
Je papillonne des yeux pour m'assurer que la scène est bel et bien réelle. Je me suis assise sur la chaise en face du bureau sans m'en rendre compte, choquée par son attitude désinvolte.
— C'est pour quoi ? Le vieux est pas là, mais je peux toujours lui faire passer un message.
Je ne relève pas le surnom. Si je devais le corriger chaque fois que son attitude me déplaît, j'en aurais pour la nuit. Et puis encore une fois, c'est un professeur, je dois rester à ma place.
— Je, j'aimerai vous parler de Toge Inumaki, en seconde B. Il subit un harcèlement quotidien, mais personne n'en parle. J'ai mis la main sur deux troisièmes années qui s'amusent à le rabaisser pour leur bon plaisir, mais je ne crois malheureusement pas qu'ils soient les seuls à participer à son lynchage... Comme il ne s'exprime pas comme tout le monde, les élèves en profitent pour se défouler sur lui.
J'ai terminé mes explications, mais monsieur Gojo se contente de me fixer, ce qui est assez malaisant. Surtout que ses pupilles bleues qui contrastent avec le blanc de ses cils sont plutôt déroutantes. Je ne sais pas combien de temps s'est écoulé avant qu'il ne me réponde enfin, je sais seulement que ça a été les secondes les plus longues de ma vie.
— Leurs noms.
Je ne m'attendais pas à ce qu'il soit aussi expéditif. Mais je me ressaisis rapidement et lui épelle les kanjis des deux racailles. Ce n'est pas la première fois que ces troisièmes années font des leurs, leurs noms sont connus dans le lycée. Tout comme le mien, d'ailleurs. A force d'occuper la tête du classement aux examens, j'ai fini par me faire une petite réputation d'« intello froide et coincée ». Mais comme je me fiche bien de ce que les autres pensent de moi, je ne me préoccupe pas de ce surnom.
Je ne vois pas pourquoi je m'en offusquerai, de toute façon. Je suis une intello froide et coincée, ce n'est pas une nouveauté.
— Hop, virés de l'établissement ! Il y a autre chose dont je dois être au courant ?
— Quoi ?
Je le regarde avec des yeux ébahis, je me demande s'il se moque de moi. Que ce soit les professeurs ou les élèves, tous ont toujours fermé les yeux sur le mal qui ronge ce lycée. Et voilà qu'il suffit de lui épeler les noms de deux racailles pour qu'il les vire sans état-d'âme. Monsieur Gojo vient de remonter dans mon estime, même si je me demande s'il a vraiment le droit de faire ça. Je me reprends :
— Non, il n'y a rien d'autre. Merci de m'avoir écouté.
Je m'incline et quitte le bureau. J'hésite à passer par l'infirmerie pour informer Toge Inumaki de la bonne nouvelle, mais je décide finalement de le lui annoncer demain. Il commence à se faire tard, et j'ai encore une montagne de travail qui m'attend chez moi. J'aurais bien vu Maki aussi, pour m'assurer que sa cheville aille mieux, mais encore une fois, je fais passer mes devoirs en priorité.
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Sashimi Yakisoba pour les intimes
FanfictionMoi, c'est Shiyomi Yoshida. Ce n'est pourtant pas un nom très compliqué, non ? Les sonorités s'enchaînent sans mal, et mon prénom est répandu, il est loin d'être surprenant. Pourtant, Toge Inumaki, mon voisin de classe, semble incapable de le pronon...