— Thon mayonnaise, Sashimi Yakisoba !
— Puisque je te dis d'arrêter de me suivre !
— Yakitori !
— Je ne te fuis pas !
— Sashimi !
Si, je suis en train de le fuir, mais je ne sais comment me comporter avec lui depuis ma discussion avec Maki. Ça doit faire une semaine que je me montre distante alors que j'avais enfin commencé à le comprendre et à bien m'entendre avec lui. Mais ça fait aussi une semaine que je me prends la tête tous les soirs et que je ne peux me concentrer dans mes études sans garder l'image de Toge Inumaki dans un coin de mon esprit.
Impossible de penser à autre chose ou d'essayer de me plonger dans un cours. Je suis devenue distraite et suis constamment dans mes pensées. Même mon sommeil a fini par en être affecté. Il m'arrive de faire des insomnies et de ne pas parvenir à m'endormir pendant plusieurs heures tant mon esprit est agité.
Moi, lui plaire ? Comment je suis censée réagir ? Ça ne m'est jamais arrivée avant. J'aurais préféré qu'il me demande mes devoirs, ça aurait été plus simple. Et puis quoi, je dois sortir avec lui ? On va former un couple si je lui avoue que je l'aime bien aussi ? Et si je ne lui retourne pas ses sentiments, va-t-il cessé d'attirer mon attention en classe ?
J'ai eu du mal à l'admettre pendant cette longue semaine de réflexion, mais je crois que je me suis plus attachée à lui que je ne l'aurais cru. Ça me fait mal au coeur de penser qu'il pourrait se lasser de moi ou cesser de m'appeler « Sashimi Yakisoba ! » si je lui disais que je ne suis pas en mesure de répondre à ses sentiments. En fait, je suis perdue. Cette situation est sans précédent, il n'y a pas de manuel ou de cours qui pourrait m'enseigner le bon comportement à adopter. Je crois que c'est ce qui me perturbe le plus.
J'accélère le pas, mais Toge Inumaki est toujours sur mes talons et continue de m'appeler. C'est la fin des cours, je trace dans les couloirs en faisant de mon mieux pour ne pas courir — j'ai beau vouloir le fuir, ce n'est pas une raison pour transgresser les règles.
— Sashimi !
Je fais semblant de ne pas l'entendre. Je m'en veux d'agir ainsi, je me doute que mon attitude le blesse. Le pauvre doit être aussi perdu que moi. Je n'aime pas la fuite, je trouve que c'est la méthode des lâches. Généralement, je cherche toujours à affronter le problème en face. Et c'est sans doute ce que j'aurais fait si je n'avais pas été autant effrayée à l'idée d'échouer et de perdre l'amitié que me porte Toge Inumaki.
J'ai l'impression qu'il suffirait d'un mot de travers pour tout briser, pour que Toge Inumaki m'abandonne et ne daigne plus jamais me montrer ses dessins de tentacules. La peur de l'échec a toujours été mon plus gros point faible. C'est pour ça que je me donne autant à fond dans mes études, que je me donne corps et âme dans l'aïkido. J'ai peur d'échouer et de décevoir.
Cette peur remonte à l'enfance, quand mon père était encore parmi nous. Il ne supportait ni l'échec, ni la médiocrité. Si je n'avais pas la note maximale à l'examen, j'avais droit à l'une de ses terribles crises de colère. J'ai longtemps fait des cauchemars de son visage rougeâtre prêt à exploser. Il me terrifiait. Depuis, lorsque je fais une erreur, c'est son image que je revois et qui me répète que je ne suis qu'une bonne à rien, une idiote dépourvue de bon sens.
Alors je continue de fuir, de marcher à grands pas vers les grilles du lycée. Je m'en veux tellement d'agir ainsi. Mais dès que je veux m'arrêter pour l'attendre et lui donner des explications, dès que je songe à ralentir, je revois mon père et ses insultes, mon père et son regard méprisant qui m'empêche d'être faible et de me retrouver en situation d'échec.
Et je crois bien que perdre Toge Inumaki est l'échec que je redoute le plus au monde. Même si j'ai conscience que c'est en fuyant comme ça que je risque véritablement de le perdre. J'ai le coeur lourd et les pensées dans le flou.
— Sashimi Yakisoba !
Soudain, je sens une poigne m'agripper le bras et me forcer à me retourner. Si je n'avais pas aperçu les mèches blanches de Toge Inumaki, sans doute l'aurais-je balancé au sol dans un réflexe de défense assimilé grâce à mes années d'aïkido. Je me sens mal lorsque je croise son regard perdu et blessé.
— Je suis désolée...
Je baisse la tête. Il me tient toujours le bras. J'entends quelques chuchotements autour de nous, notre petite course-poursuite a attiré les regards. Je sursaute en le sentant lâcher prise pour poser sa main sur mon épaule dans un geste doux et protecteur. Je relève la tête, mes sentiments au bord des yeux.
— Takoyaki ! s'exclame-t-il en me montrant son pouce en l'air, comme pour me réconforter.
J'ai du mal à contenir mes larmes. Alors que je l'ai sans doute blessé, que j'ai été égoïste et lâche, il cherche à me redonner la sourire sans même savoir la cause de mon problème. Il n'a toujours pas baissé son pouce, comme pour me dire que tout va bien, que tout ira bien. Comment les gens peuvent-ils le traiter avec autant de mépris ? Toge Inumaki est un ange que je ne mérite pas.
— Merci, lui dis-je en essuyant furtivement la petite perle d'eau qui s'est formée au coin de mon œil.
Il a suffi de ça, d'un pouce en l'air, d'un regard inquiet et d'un « takoyaki ! » pour balayer toutes mes interrogations, mes peurs et mes tourments. Il a suffi que je le regarde enfin droit dans les yeux pour que je me rende compte à quel point j'étais ridicule. Ses cheveux blancs et ses yeux violets ont remplacé dans mon esprit l'image de mon père. Je me suis sentie soulagée.
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Sashimi Yakisoba pour les intimes
FanfictionMoi, c'est Shiyomi Yoshida. Ce n'est pourtant pas un nom très compliqué, non ? Les sonorités s'enchaînent sans mal, et mon prénom est répandu, il est loin d'être surprenant. Pourtant, Toge Inumaki, mon voisin de classe, semble incapable de le pronon...